Rue du Monde ? Plutôt une avenue, pavée de beaux livres pour la jeunesse. Une maison d’édition originale et innovante, fondée par Alain Serres et une bande de souscripteurs en 1996. Quand l’invention créatrice explose entre les pages, ça décoiffe chez les Mickeys !
Il était une fois en pays d’Oil… un gentil Prince, bel et beau, amoureux du vert des arbres comme des vers des trouvères. Dans le parc du château, il aimait rassembler souvent les enfants, ceux de la Cour et de ses servants. Pour leur conter de folles histoires, mieux encore, leur en donner à lire et écrire… Souvenez-vous, Brel, le grand Jacques et poète comme lui, chanta ce qui aurait pu lui servir de devise : “ Fils de bourgeois ou fils d’apôtres tous les enfants sont comme les vôtres, Fils de César ou fils de rien tous les enfants sont comme le tien ”…
Reprenons : il était une fois un jeune instituteur, Alain Serres, le premier de son espèce en ces années 80 à enseigner en classe maternelle. Nommé, à sa sortie de l’École Normale de Versailles, dans une classe du Val Fourré à Mantes la Jolie… Que faire avec des enfants en bas âge, à l’époque déjà sans repères ? Leur raconter des histoires bien sûr, mieux encore les écrire soi-même à un moment où le livre “ jeunesse ” bouillonne de vitalité et d’inventivité : c’est ce qu’entreprend l’intrépide instituteur et conteur, bon prince pour ses petits élèves. Qui publie une cinquantaine de livres chez les éditeurs réputés du secteur jeunesse, avide de transmettre aux enfants quelques clefs de la connaissance sous forme pédagogique, surtout ludique et artistique. Dans les années 95, la disparition de nombreuses petites maisons d’édition, dont La Farandole, lui fait craindre le pire pour l’avenir de la création en ce secteur littéraire. Le dynamique raconteur d’histoires lance alors une souscription auprès de divers partenaires pour créer une maison et éditer un premier livre sous le nouveau label. Pari gagné en 1996 : “ Rue du Monde ” voit le jour, “ Le grand livre des droits de l’enfant ” fait un tabac au Salon du livre de jeunesse de Montreuil, plus de 50 000 exemplaires vendus en dix ans !
D’emblée, presse et libraires s’intéressent à ce qui se mijote dans le chaudron magique sis “ Rue du Monde ” : le livre pour enfants pourrait-il donc être tout aussi ludique que citoyen, porteur autant d’imaginaire que de sens ? “ Notre projet initial n’était pas d’imposer un système de valeurs entre nos pages ”, commente Alain Serres, “ mais de proposer aux enfants un regard critique sur le monde qu’ils habitent, les inviter à s’y inscrire et à s’y construire en référence à quelques repères qui sont patrimoine commun : le sens de la fête, du partage et de l’amitié ”. Un exemple, texte à l’appui ? “ Même les mangues ont des papiers ”, conçu par Yves Pinguilly et Aurélia Fronty, raconte l’histoire de Momo et Khady, deux enfants africains désireux d’embarquer pour l’autre monde… Las, sans papiers, impossible de débarquer, contrairement à la cargaison de mangues si convoitées de l’autre côté et en règle avec les autorités ! Sans manichéisme, mais avec une riche palette de couleurs, un tel ouvrage nous renvoie ainsi à la récente lutte des “ sans-papiers ” de Cachan, de Limoges ou d’ailleurs. L’album invite surtout les enfants à ouvrir le dialogue avec les parents sur les causes de l’immigration clandestine.
Le ciel est – il pour autant au beau fixe sur la tête du secteur du livre de jeunesse ? Alain Serres, ce fils de cheminot et ancien instituteur reconverti en éditeur, le confirme, l’édition Jeunesse en France est incontestablement la meilleure du monde. Il n’empêche, “ la pression économique est très forte, régulièrement on apprend qu’un grand groupe a encore avalé un petit éditeur indépendant. Ces mammouths de l’édition tirent les prix vers le bas, au point que nous ne pouvons plus suivre surtout si, comme Rue du Monde, nous continuons à fabriquer nos livres en France ”. Ce qui permet à une telle maison d’asseoir sa pérennité économique ? Le soutien du réseau de la lecture publique, libraires et bibliothèques, qui applaudit à la “ valeur ajoutée ” citoyenne et artistique d’albums tels que “ Je vous aime tant ” illustré par Olivier Tallec et “ Le plus grand des petits cirques ” d’Aurélia Grandin. Le directeur de “ la plus grande des petites maisons d’édition ”, en son écrin de verdure de Voisins – le – Bretonneux, regrette toutefois que l’effort des BCE, les bibliothèques de comité d’entreprise, ne soient pas encore à la hauteur de ses espérances, “ elles qui auraient les meilleures raisons historiques et idéologiques de faire mieux et autrement ”.
Pourtant la solidarité, Rue du Monde, on connaît : droits d’auteur de “ On vous écrit de la terre ” reversés à l’Unicef, 1000 ouvrages offerts à des enfants en difficulté lors de la Journée nationale des droits de l’enfant, organisation de l’opération “ L’été des bouquins solidaires ” depuis 2004 avec le Secours populaire permettant d’offrir des bouquins aux gamins qui ne partent pas en vacances… Alors, les enfants, faîtes le geste qui sauve : prenez papa et maman par la main, poussez la porte de votre libraire, quittez les lieux avec un album de la Rue du monde solidaire et bonne lecture, petits et grands ! Yonnel Liégeois
Rue du Monde, 5 rue de Port-Royal, 78960 Voisins – le – Bretonneux (Tél. : 01.30.57.90.82).