Et Picasso peint Guernica !

Le 26 avril 1937, en pleine guerre civile espagnole, les bombardiers allemands anéantissent la petite ville basque de Guernica. Pour la première fois dans l’histoire moderne, une population civile est sciemment massacrée par les militaires. A Paris, Picasso peint son célèbre tableau. En réponse à l’horreur.

 

 

Fouler des pieds les ruines, marcher sur les décombres d’une ville sous lesquels on imagine les corps ensevelis… Dans le parcours de cette originale salle du Musée de la Paix à Guernica ( Gernica y Luno en espagnol, Gernika-Lumo en langue basque) où le sol est vitre transparente, certains visiteurs déambulent ainsi avec d’infinies précautions, osant à peine marquer le pas, tant l’émotion est forte !

guernica2En ce mois d’avril 1937, la guerre civile en Espagne fait rage depuis neuf mois déjà. Le général Franco, soutenu par une partie de l’armée, n’a pas admis le choix de ses concitoyens et s’oppose par la force, depuis juillet 36, au gouvernement républicain sorti démocratiquement des urnes. Au nord du pays, le Pays basque commence à souffrir des conséquences de la guerre civile. Mobilisation et rationnement touchent toutes les familles, des réfugiés commencent à affluer, la frontière avec la France est proche… Dans ce contexte particulier, la petite ville de Guernica représente plus qu’une paisible bourgade, plus qu’un point anodin sur la carte du conflit. « Gernika est la capitale spirituelle du Pays basque, s’attaquer à Gernika c’est vraiment s’attaquer à un symbole », rappelle Iratxe Momoitio Astorkia, la jeune directrice du Musée de la Paix. Celui d’un peuple à l’esprit libre et indépendant, celui d’un pays à l’identité forte et reconnue ”. Franco ne s’y trompe pas, les historiens attestent qu’une réunion s’est tenue à Hendaye quelques jours avant le bombardement entre généraux franquistes et militaires allemands.

Le 26 avril, c’est jour d’affluence à Gernika, c’est jour de marché. C’est le jour que choisit la Légion Condor, la sinistre unité aérienne créée par Hitler, pour piquer sur la ville : obus, bombes incendiaires, mitraillage des civils en déroute par des vols en rase-mottes… En près de quatre heures, 50 tonnes de bombes et 3000 engins incendiaires lâchés ! Ville anéantie, gigantesque incendie, près de 300 morts et des milliers de blessés : l’horreur est à son comble. Comme le souligne Alain Serres dans Et Picasso peint Guernica, le superbe ouvrage qu’il publie chez Rue du monde, “ le bombardement de Guernica marque l’histoire des hommes : il est le premier qui vise, non pas une cible militaire, mais une population aux mains nues ”.guernica1

En son atelier des Grands – Augustins à Paris, à la lecture de la presse Picasso découvre l’ampleur de la tragédie. C’est décidé, en réponse à la commande que lui a passé la République espagnole pour la prochaine Exposition internationale qui ouvrira bientôt à Paris, Picasso peindra “ Guernica ”. Le 1er mai 1937, il se met au travail et couche sur le papier ses premiers croquis : un cheval hennissant, une tête de taureau, un visage d’enfant… Dès les premiers jours, s’impose aussi à l’esprit du peintre l’idée d’une grande fresque : au final, près de huit mètres sur quatre ! Grâce aux dizaines de documents contenues dans le livre conçu par Alain Serres, chacun plonge alors véritablement dans le processus de création. “ Une démarche passionnante ”, avoue l’auteur, “ tel ce tout premier dessin de Picasso lorsqu’il apprend l’événement : la porteuse de lumière y apparaît déjà comme si, dans la nuit de l’horreur, l’artiste ne veut surtout pas perdre espoir ! Plus d’une centaine d’esquisses suivront, c’est important que les enfants en particuliers découvrent ce colossal chantier ”. Pour Alain Serres, il est évident que l’immersion dans l’élaboration de l’œuvre met à mal un point de vue un peu primaire mais fort répandu : “ c’est facile de faire un Picasso ! ”.

Proximité géographique oblige, la ville française d’Hendaye fut aussi durement ébranlée, tant par les événements de la guerre d’Espagne que par le bombardement de Guernica. “ Dès l’été 1936, Hendaye assistait depuis les berges de la Bidassoa à la bataille et à l’incendie d’Irun, la ville frontière voisine.  Seul un pont nous sépare, ou nous réunit ”, témoigne Marie-Carmen Nazabal, la maire – adjointe à la culture. “ Beaucoup comprirent que l’arrivée massive des avions d’Hitler et de Mussolini annonçait la seconde guerre mondiale. L’arrivée massive de réfugiés a fait ainsi de notre ville une cité d’accueil, beaucoup de ces réfugiés se sont installés définitivement à Hendaye et bon nombre d’Hendayais aujourd’hui en sont les descendants. Pour moi comme pour mes frères et sœurs, Guernica est tout un symbole, mon père y est né ! ». Yonnel Liégeois

 

guernica3Picasso, le livre

“ Ce qui importe avec ce livre, c’est permettre aux petits et grands de cheminer avec un artiste à la parole multiple qui n’hésite pas à pousser un cri contre la barbarie ”, témoigne avec force Alain Serres. Outre que “ Et Picasso peint Guernica ” soit un formidable outil pour apprendre à lire un tableau dans la foulée du souffle créateur d’un artiste, l’ouvrage invite aussi chacun, à la suite de Picasso, à prendre plume ou pinceau pour imaginer de nouveaux “ Guernica ”, en peinture – en littérature – en musique – en film, pour secouer les consciences engourdies. Comme l’affirme Alain Serres, “ le monde a plus que jamais besoin d’art et de culture pour ne pas perdre le nord ”. Un livre de référence, un bel objet à se procurer d’urgence qui, dans un double mouvement, place d’emblée le lecteur au cœur de l’idée de résistance et au sommet de l’inventivité artistique (Éditions Rue du monde, 56 p. dont une quadruple page centrale reproduisant le célèbre tableau, 70 images et photographies, 19€80).

 

guernica4Gernika, le musée

“ Au Musée de la paix de Gernika, nous recevons beaucoup de groupes scolaires. Et des visiteurs adultes, majoritairement en provenance de Catalogne, d’Angleterre, d’Allemagne ou de France ”, souligne Iratxe Momoitio Astorkia, philologue de formation et directrice du musée. “ Notre projet muséologique, mis en œuvre depuis 1998 ? À partir de l’événement tragique d’avril 1937, proposer une thématique centrée sur la culture de la paix et organisée autour de trois questions : qu’est ce que la paix ? Qu’est ce que l’héritage de Gernika ?  Qu’en est-il aujourd’hui de la paix dans le monde ? ”. En lien avec chercheurs et historiens, le musée participe aussi à la collecte de la mémoire des derniers survivants, organise colloques et expositions en partenariat avec les musées étrangers, tel celui du Mémorial de Caen. Le rêve de la jeune directrice ? Dans son souci d’éducation à la paix, rénover la partie du musée consacrée au conflit basque… “ Il nous faut sortir de l’amalgame entre terrorisme et identité basque. Moi qui, depuis mon enfance, suis habituée à vivre dans le conflit, je suis en même temps fière de diriger ce musée dévolu à la construction de la paix. Ici comme ailleurs, il reste encore beaucoup de chemin et de travail à faire, le musée y contribue, pour ouvrir le dialogue et sortir de la spirale de la souffrance et de la mort ”.

Musée de la paix, Foru Plaza 1, 48300 Gernika-Lumo (ouvert du mardi au dimanche. Tél. : (34) 94 627 02 13).

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