Trente ans après avoir fait chanter les chaines de l’usine Renault Billancourt, Nicolas Frize retourne à l’usine en toute « Intimité« ! Durant trois jours, chez P.S.A. à Saint-Ouen pour un concert d’acier… Cet artiste atypique n’en finit pas de nous ravir avec ses créations musicales insolites.
« Quel genre de musique fait-il ? En quoi consistent ses concerts ? » Avec Nicolas Frize, il est bien difficile de répondre à ce genre de questions ! L’artiste musicien ne fait qu’écouter ses contemporains, tant dans leur milieu professionnel que dans leur environnement quotidien.
De l’enfance, il a conservé la curiosité, la fraîcheur et l’impertinence malicieuse. Au fil du temps, s’y sont ajouté le goût du travail collectif, l’écoute de l’autre. Surtout le désir de mêler souffle, cris et murmures de la vie à des instruments musicaux, en confrontant également les voix anonymes à des chanteurs professionnels. Le caractère unique et éphémère de ses créations musicales les rend d’autant plus attrayantes : unique, car au départ il ne les proposait qu’une seule fois ! Victime du succès, il les décline maintenant sur trois ou quatre jours mais elles demeurent éphémères, il s’est toujours refusé à diffuser et à commercialiser des enregistrements de son travail. Impossible donc de le découvrir autrement qu’en « live », ce qui est à la portée de tous puisque ses concerts sont toujours gratuits. Pour lui c’est une évidence, « mon association « Les Musiques de la Boulangère » reçoit des subventions, je rends donc publiques les recherches que j’effectue avec des fonds publics ». Belle profession de foi pour cet artiste-citoyen qui n’a eu de cesse depuis ses débuts d’investir les lieux les plus divers : après le superbe « Paroles de voitures » des usines Renault, il affronta six mois durant le couple soignant-soigné au sein de l’hôpital Delafontaine à Saint-Denis pour que les soins accouchent de… tsoins-tsoins dans un spectacle bien nommé « Patiemment »…
L’aventure qu’il mena durant l’hiver 1992-1993 avec les détenus de la centrale pénitentiaire de Saint-Maur Châteauroux fut sans doute une des plus fortes. Celle ou le « citoyen » Nicolas Frize s’est le plus investi. Le projet était double : d’une part la préparation d’un spectacle « Passion profane » en fin de résidence comme toujours, mais d’abord une formation professionnelle aux métiers du son pour les seize détenus qui s’étaient portés volontaires, financée par l’I.N.A (l’Institut National de l’Audiovisuel). Quatre studios dotés d’équipements de haut niveau furent construits à ce effet, afin d’attirer par la suite les professionnels : de quoi fournir aux ex-détenus devenus techniciens un carnet d’adresses pour leur sortie. Il l’affirmait alors avec force, « je veux qu’ils sortent de là, non pas avec un casier judiciaire mais avec un curriculum vitae ! ». Qu’on se rassure, notre homme ne se complait pas uniquement dans la gravité, il prit un malin plaisir à un drôlissime « Concert de baisers » et à un frissonnant « Chant de la chair », un ballet de claques sur peau nue… Pour mener à bien toutes ces entreprises ambitieuses et ludiques, il faut bien sûr un sacré sens du contact et beaucoup de pédagogie afin d’établir un climat de confiance sans chercher à imposer un savoir. Avec les enfants, Nicolas Frize ne recule devant rien, c’est au sein de leur classe qu’il les fit travailler pour son projet « Tout contre ».
Le plus étonnant, lorsque l’on vit l’expérience de l’un de ses spectacles ? Découvrir sa direction d’orchestre, instrumental et humain : langage codé fait de mimiques, gestes insolites ou mouvements de lèvres… soudain un objet tombe bruyamment, tout le chœur s’esclaffe …. c’était sur la partition, c’était pour rire ! Il est hors de question de se prendre au sérieux et Nicolas Frize pourrait faire sienne cette savoureuse formule du critique Jean-Louis Bory, « l’art n’est pas obligatoirement intellichiant »…. Non, mais diablement intelligent dans son cas, il le prouve quelque soit le domaine investi. Preuve en est faîte encore une fois avec l’œuvre proposée prochainement, « Intimité« , point d’orgue d’une résidence de deux ans sur le site PSA Peugeot Citroën à Saint-Ouen. L’usine produit 800.000 pièces de structure automobile en acier par jour, se répartissant sur plus de 500 références différentes, conçues et usinées par 630 salariés ! Une aubaine pour l’imagination sans borne de notre artiste si proche de longue date du monde du travail. Il a trouvé là un « matériau » technique et humain particulièrement inspirant. Le projet s’articule sur différents axes : une anthropologie sonore de la vie du travail (ateliers, bureaux, etc..), des rencontres avec les personnels – ouvriers et cadres – tentant de leur faire restituer « comment chacun est sujet dans son travail », la création d’un « instrumentarium ». Le pari consiste à organiser musicalement, selon leurs caractéristiques de résonance et de timbre, des centaines de pièces automobiles.
D’autres actions artistiques sont commandées et programmées : le photographe Nabil Boutros témoignera par l’image des diverses étapes de l’initiative, l’écrivaine Hélène Amblard rassemblera les entretiens en vue d’un ouvrage. Mais ne pas oublier, bien sûr et avant tout, le 31/01 ainsi que les 1er et 2/02, l’œuvre musicale proposée au public (gratuit, mais réservation indispensable : 01.48.20.12.50) sous forme d’un concert déambulatoire en trois mouvements et trois lieux distincts : deux espaces de la ville de Saint-Ouen et la ZOF (Zone Flux) de l’usine, l’espace de stockage débarrassé pour l’occasion. Avec en bonus, l’invitation à visiter le site industriel à l’issue du concert. Bonne découverte à tous les « primo-accédants » ! Chantal Langeard