Le 02 novembre, au théâtre Adyar et en direct, le peintre Wozniak met en images les notes du Chevalier de Saint-George. Un immense musicien et compositeur, un fils d’esclave à l’extraordinaire destin musical. Un concert exceptionnel dirigé par Alexis Roy à la tête de L’Ensemble Parisien, avec le violoniste antillais Romuald Grimbert-Barré et la soprano Christine Rigaud.
« Passionnant, un rôle qui me colle à la peau, le temps de l’esclavage fait aussi partie de mon histoire », s’exclamait avec grande sincérité Loïc Felix, le ténor guyanais qui interprétait en 2005 le Chevalier de Saint-George. Fier de prêter corps et voix, à l’heure de la création mondiale en Avignon de l’opéra « Le Nègre des Lumières », à ce personnage emblématique. Sur un livret écrit par Alain Guédé et les musiques du « Mozart noir », une œuvre d’une grande intensité humaniste et lyrique pour que le génial musicien, compositeur et chef d’orchestre que la couleur de peau renvoya aux oubliettes de l’histoire, soit enfin connu et reconnu du grand public.
Saint-George ? Un personnage hors du commun, une véritable célébrité de son temps choyée par les grands comme par les petites gens, homme de cour comme des faubourgs, un génie aux multiples facettes : brillant cavalier et grand escrimeur, galant danseur et fatal séducteur, franc-maçon et révolutionnaire, violoniste virtuose et talentueux compositeur… Le seul tort de l’enfant né en Guadeloupe en 1739 ? Être mulâtre, fruit des amours interdites entre une esclave sénégalaise débarquée des cales d’un navire négrier et un riche propriétaire terrien installé aux Antilles. La chance de sa vie ? La fierté que Guillaume-Pierre Tavernier de Boulogne éprouve pour un fils aux talents précoces. Quoique métis, le petit d’homme est donc confié dès son retour en métropole aux meilleurs précepteurs et bénéficie de l’éducation d’ordinaire réservée aux rejetons de l’aristocratie de sang et de rang.
A l’aube de ses vingt ans, il brille par ses qualités de corps et d’esprit : meilleur escrimeur du royaume de France, virtuose du violon et chef d’orchestre adulé par les foules parisiennes ! Au point que Louis XVI envisage en 1776, sur l’insistance de Marie-Antoinette dont il fut le maître de musique, de le nommer à la direction de l’Académie royale de musique, le futur Opéra de Paris. Un « Noir » dans le fauteuil de Lulli et de Rameau ? À la nouvelle, quelques divas mal embouchées orchestrent alors une véritable cabale contre le « demi-nègre », déclarant publiquement dans un placet que « leur honneur et la délicatesse de leur conscience ne leur permettraient jamais d’être soumises aux ordres d’un mulâtre ».
La polémique enfle. À l’égal de la querelle des « Bouffons » hier et de la future « bataille d’Hernani » demain… Des jardins de Versailles à ceux du Palais-Royal, elle embrase le tout-Paris jusqu’à ce que le roi recule devant l’ampleur de la contestation. « Cet épisode constitue sans doute la première grande affaire de racisme de la société moderne », souligne Alain Guédé, biographe de Saint-George et fondateur de l’association qui se bat pour la réhabilitation de sa mémoire et de son œuvre. Pour le journaliste du Canard Enchaîné, « c’est le premier interdit professionnel de l’histoire liée à la discrimination raciale ». Et d’affirmer qu’« avec l’affaire Saint-George, le monde civilisé est invité pour la première fois à répondre à une question de fond : quand on ne les réduit pas à l’état de bétail ou de domestique, les Noirs peuvent-ils développer les mêmes qualités que les Blancs ? »
Face à Saint-George, la réponse ne prête même pas à débat : homme des Lumières, franc-maçon éclairé, ardent défenseur de la Révolution en 1789, il composera au total 12 symphonies, 25 concertos pour violon, un concerto pour clarinette, 18 quatuors à cordes et divers opéras, déclenchant les passions à la direction d’orchestre et imposant un style musical qu’on finira par confondre avec celui de Mozart, son contemporain. C’est peu dire de la grandeur et du talent du personnage ! « Les valeurs dont Saint-George est porteur sont des valeurs qu’il nous faut continuer à défendre », reprend Alain Guédé. « Saint-George est un personnage fabuleux, tant pour son humanisme que pour sa musique. C’est pourquoi notre association se bat pour réhabiliter sa mémoire et inviter à la (re)découverte de cet oublié de l’histoire pour cause de racisme ». Une victime de la double peine au lendemain de sa mort en 1799 : Saint-George est banni des manuels, tant par les historiens que par les musicologues, lorsque le perfide Napoléon rétablit l’esclavage en 1802 !
Un vrai défi à relever donc, pour l’association « Le concert de Monsieur de Saint-George », en organisant ainsi moult manifestations : permettre à un public mélomane ou non de goûter aux grandes œuvres du répertoire, réhabiliter la mémoire d’un artiste de haute stature, signifier à chacun que la couleur de peau n’est pas une référence sur l’échelle du talent, affirmer haut et fort qu’en chaque être humain sommeille un Mozart blanc, noir ou basané, qu’il est interdit d’assassiner… « L’œuvre et la vie du « Nègre des Lumières » invite chacun à prendre son destin en main », souligne avec force conviction Alain Guédé, « chacun est invité à se battre, comme Saint-George l’a fait durant la Révolution Française, pour un idéal de solidarité et de liberté ». Yonnel Liégeois
Wozniak, un peintre à la baguette
Plasticien d’origine polonaise, dessinateur au Canard Enchaîné, peintre et caricaturiste, Wozniak est un artiste aux multiples facettes ! Réalisateur de clips et de films d’animation, il crée ses premières palettes musicales en compagnie du chanteur et musicien Mano Solo. Sa rencontre en l’an 2000 avec Archie Sheep, le légendaire créateur du « free jazz », est déterminante : pour la première fois, en concert et en direct, il livre ses dessins sur grand écran ! Pour récidiver aujourd’hui au théâtre Adyar, sur les musiques du « Mozart noir » interprétées par L’Ensemble Parisien, avant que le spectacle ne s’envole pour la Guyane. Une rencontre haute en couleurs, explosive et créatrice, entre deux grands humanistes éclairés : après l’invention du ciné-concert, en avant-première le « concert-peinture » !