Violoniste de renom international, tant en musique classique qu’en jazz, Didier Lockwood est décédé d’une crise cardiaque le 18 février à l’âge de 62 ans. En 2004, il nous accordait un entretien exclusif à l’occasion du festival « Les nuits des musiciens ». Près de quinze ans plus tard, ses propos ont gardé toute leur pertinence et leur saveur. En hommage au grand artiste à l’archet polyphonique, Chantiers de culture s’en fait l’écho.
Yonnel Liégeois – Vous êtes originaire de Calais. Votre enracinement dans cette région du Nord vous a-t-elle influencé ?
Didier Lockwood – Très certainement. Je suis issu d’une famille anglo-saxonne qui a immigré à Calais à la fin du XIXème siècle, d’une mère peintre amatrice, d’un père instituteur et professeur de violon qui faisait partie de l’ensemble municipal. J’ai hérité d’une éducation plurielle, tournée autant vers l’art que le sport. La région du Nord est porteuse d’une riche tradition musicale dont je me suis nourri. Enfant, j’ai joué dans l’harmonie municipale, à la batterie.
Y.L. – D’où votre engouement pour une musique éclectique, tant classique que jazz ?
D.L. – Ce qui m’intéresse avant tout, c’est partir à la rencontre d’une palette de sonorités. Entreprendre un authentique voyage aussi bien terrestre que céleste, quel que soit le type de musique que j’interprète. J’ai débuté ma carrière professionnelle à l’âge de seize ans, aujourd’hui je fête mes trente ans de métier (en 2004, ndlr) ! J’ai beaucoup voyagé mais l’Inde demeure le pays qui m’a le plus marqué, tant humainement que musicalement. Jouer ou composer, je ne m’en lasse pas en dépit des années, j’éprouve toujours autant de plaisir à rencontrer le public. J’aime innover, tout en restant fidèle aux sources, et à ceux qui m’ont précédé : Grappelli, Piazzola, ou le percussionniste Billy Cobham, véritable légende vivante du jazz des années 70-80… J’aime ces métissages qui font la richesse de notre patrimoine musical, j’éprouve un égal plaisir à écouter Yehudi Menuhin que Miles Davis.
Y.L. – Vos récentes productions discographiques, « Hypnoses » et « Globe-Trotter », en attestent d’ailleurs ?
D.L. – Le titre même de l’album, « Hypnoses », renvoie à un art raffiné, presque mystérieux. Dans ces mélodies composées pour servir de grands textes, René Char – Louis Aragon – Georges Perec entre autres, et une grande voix, celle de Caroline Casadesus, j’y ai mêlé toutes les influences musicales dont je suis redevable, de Richard Strauss au jazz. Avec « Globe-Trotter », je tente à ma façon de faire un premier bilan. Trente ans de voyages sur tous les continents, trente ans de voyage en musique… Un double album qui fait la part belle aux musiques du monde, à ces musiques métissées que j’affectionne par excellence. Où j’ai découvert d’ailleurs au fil du temps que les musiciens de jazz sont très réceptifs, très ouverts aux divers styles musicaux. J’en suis de plus en plus convaincu, un bon musicien de jazz est souvent bien plus compétent qu’un musicien classique proprement dit dans l’analyse musicale, dans la captation du sens.
Y.L. – Aujourd’hui artiste de renom international, quel regard portez-vous sur vos consœurs et confrères musiciens, « intermittents » du spectacle ?
D.L. – Je n’oublie pas le temps où je faisais « la manche » pour vivre de mon métier. Même au temps du groupe « Magma »… Le système de « l’intermittence », un droit auquel un artiste peut prétendre, a connu de multiples dérives. S’il ya eu beaucoup d’abus de la part d’employeurs peu scrupuleux, il faut reconnaître qu’il y a beaucoup de misère chez les saltimbanques. Il serait essentiel de créer de nouveaux lieux où les musiciens puissent s’exprimer, où ils pourraient aussi rencontrer de nouveaux publics. Pourquoi ne pas exiger de l’audiovisuel qu’il fasse une vraie place à la culture, à la musique ? Certes, il y a les conservatoires de musique, mais ce sont souvent des lieux où règne le conservatisme plus que des endroits vraiment ouverts à la découverte des musiques du monde. Je suis outré par le peu de place accordé à l’enseignement artistique et musical dans les écoles. On dirait que nos gouvernants redoutent que les enfants acquièrent un esprit créatif, ouvrent leurs yeux et leur intelligence aux dimensions de la planète. Propos recueillis par Yonnel Liégeois
Auréolé d’une « Victoire de la musique » en 1985, interprète et compositeur de grand talent, Didier Lockwood publiait en 2003 « Profession jazzman, la vie improvisée » : ses souvenirs de musicien professionnel. En novembre 2017, est sorti « Open Doors », son ultime CD. Avec André Ceccarelli à la batterie, Antonio Farao au piano et Darryl Hall à la contrebasse… Sur cet album aux douze titres, à la tête du « All Star Quartet », Didier Lockwood fait merveille. Rendant hommage au jazz et à ses sources d’inspiration, dans la diversité de leurs expressions. « Un album pour apprendre à voir l’invisible, entendre les silences, atteindre un ailleurs, aiguiser nos sens, rêver éveillés et alors redécouvrir le monde, lavés de nos préjugés », commentait le regretté violoniste. Y.L.