Son parcours de résistante durant la seconde guerre mondiale fut unanimement salué. Le 8 mai 2020, Cécile Rol-Tanguy s’est éteinte à Monteaux (41). Longue est la liste des épithètes qu’elle a recueillis : héroïque, courageuse, exemplaire. Militante engagée dès l’adolescence, indissociable de son mari Henri (colonel Rol), elle a écrit avec lui une belle histoire d’amour, de liberté et d’égalité.
À quoi une jeune sténodactylo – une profession balayée par la bureautique – pouvait-elle rêver dans les années trente ? Certainement pas de se retrouver dans les salons de l’Élysée et de se voir épingler la médaille de Grand Officier de la Légion d’Honneur par un président de la République quelque soixante-dix ans plus tard. Cécile Le Bihan était de celles-là. Une fois le brevet élémentaire décroché, elle s’inscrit au cours Pigier qui a formé des armées entières de virtuoses du clavier de machine à écrire, vous pose derrière la Remington ou la Japy et assure à tout le moins un début de carrière. Pour elle, en 1936, ce fut au syndicat des Métaux de la CGT de la région parisienne. La suite ? Une affaire de convictions et… la rencontre d’un homme !
Côté convictions, Cécile Le Bihan a de qui tenir. Son père François, ouvrier électricien, est passé par la SFIO (l’ancêtre du Parti socialiste) avant de rejoindre les rangs du Parti communiste après le congrès de Tours de 1920. Pétri de son idéal, il en a transmis les gènes à sa fille qui adhère à l’Union des jeunes filles de France (l’une des antichambres du Parti communiste) en 1936, l’année même de son embauche au syndicat des métallos. La rencontre ? Celle d’Henri Tanguy. Un ouvrier breton hautement qualifié, mais une forte tête qui a été virée de plusieurs entreprises pour y avoir monté des cellules du Parti communiste, des sections de la CGT et surtout y avoir suscité des mouvements de grève. Inscrit sur la liste noire du patronat local, il retombe sur ses pieds en accédant au secrétariat des métallos parisiens de la CGT en 1936. Cécile a tout juste 18 ans, Henri 28 : dix ans d’écart mais une foi commune dans la lutte contre ce fascisme qui ronge l’Europe. L’homme a effectué son service militaire dans un bataillon disciplinaire en Algérie et en est sorti soldat de Première classe. Il y a fait ses armes, qu’il mettra au service des Brigades internationales de la guerre d’Espagne dans lesquelles il embarque en 1937. Avec Cécile Le Bihan pour marraine de guerre. Ainsi naissent les idylles.
Henri Tanguy, de retour d’Espagne en 1939, blessé et avec un surnom de guerre « Rol » emprunté à son ami Théo abattu par les franquistes, épouse Cécile Le Bihan en avril. Lucide, son futur mari l’avait prévenue : « La guerre, c’est dans six mois… », une prémonition dont elle se moquait. En juin 1940, alors que les troupes allemandes déferlent sur Paris, leur première fille, Françoise, née sept mois plus tôt, meurt faute de soins appropriés à l’hôpital. Henri Tanguy, mobilisé sur le front, est introuvable. Démobilisé en août 1940, Henri Tanguy retrouve une épouse et un syndicat entrés dans une clandestinité partagée le temps que durera la guerre. De l’automne 1940 à l’été 1941, Cécile désormais Tanguy a repris son travail de dactylo et tape à la machine les bulletins de liaison entre les comités populaires de métallos. Son père, arrêté en 1941, déporté à Auschwitz, y meurt en 1942.
Le couple Tanguy, dont le mari se dissimule sous le surnom de Rol et son épouse qui s’appelle au gré des circonstances Jeanne, Yvette ou Lucie, est entré dans la Résistance. Lui, chez les Francs-tireurs et Partisans, elle, comme agent de liaison. Ils se déplacent de planque en planque et sauvegardent un semblant de vie de couple. Il organise les troupes, elle assure les liaisons. Qui soupçonnerait cette mère de famille poussant le landau d’Hélène, née en 1941 ou de Jean venu au monde deux ans plus tard, d’y dissimuler des armes ou des papiers dans le panier de topinambours et de rutabagas ?
Ainsi va la guerre, jusqu’au 18 août 1944 où celui qui est devenu le colonel Rol, chef pour la région parisienne des Forces françaises de l’Intérieur (FFI), installe son poste de commandement 26 mètres sous terre, dans les catacombes de Paris, Place Denfert-Rochereau. Cécile Tanguy (qui ne sera Rol-Tanguy qu’en 1970, lorsque qu’un décret admettra le double patronyme) y reprend du service. Penchée sur sa machine (une Remington ou une Japy ?), elle frappe ce mémorable appel à l’insurrection des Parisiens qui facilitera l’entrée dans la ville des troupes de la 2ème Division blindée de Leclerc : « Aux patriotes aptes à porter les armes (…) La France vous appelle ! Aux armes citoyens ! »
Après avoir vécu à Montreuil (93), Cécile Rol-Tanguy s’éteint à 101 ans dans la maison familiale de Monteaux, en Loir-et-Cher. Un 8 mai 2020, jour anniversaire de la fin de la seconde guerre mondiale : tout un symbole ! Alain Bradfer