La Hongrie de Viktor Orbán

Comment le régime de Viktor Orbán, qualifié d’illibéral, s’est-il installé et enraciné en Hongrie ? Quelle est la spécificité de l’extrême droite hongroise et, au-delà, de l’ancienne Europe de l’Est ? Le livre d’Amélie Poinssot, Dans la tête de Viktor Orbán, nous permet d’y voir plus clair.

Régimes autoritaires, restrictions du champ de la démocratie, politiques nationalistes et anti-migrants… En Hongrie, comme en Pologne, les droites extrêmes ou extrêmes droites sont arrivées au pouvoir et s’y enracinent. Avec des conséquences graves pour leur société, pour les droits des citoyens et notamment ceux des travailleurs. Mais aussi pour l’Europe elle-même. Pourtant, à Budapest, le Premier ministre Viktor Orbán, a su se faire réélire à la tête de la Hongrie, qu’il dirige d’une main de fer depuis 2010, et où sa politique a généré une société très clivée. Comment comprendre la spécificité de ces régimes, de leurs idéologies, de leurs pratiques ? D’où vient Viktor Orbán ? Comment a-t-il construit sa popularité en Hongrie, un pays de 10 millions d’habitants, membre de l’UE depuis 2004 ? Quelle est sa vision de l’Europe ? C’est à ces questions que répond le livre, très documenté, d’Amélie Poinssot, Dans la tête de Viktor Orbán. Un ouvrage qui s’inscrit dans la collection très bien venue d’Actes Sud, avec des ouvrages de même nature sur Vladimir Poutine, le pape François, Marine Le Pen, Xi Jiping, Recep Tayyip Erdoğan, Bachar al-Assad…

C’est d’abord le « ciment anticommuniste », selon les mots de l’auteure, qui fait la spécificité de régimes comme celui de Budapest, nés après la chute du mur. Mais si Viktor Orbán, orateur audacieux, a d’abord émergé en défendant les libertés, la société civile, le pluralisme, et en réclamant le départ des troupes soviétiques, il a ensuite consolidé son pouvoir avec son parti, le Fidesz, en développant une propagande nationaliste. Affirmant que « ce n’est pas à une politique de redistribution sociale que les gens s’identifient, mais à l’histoire de leur pays », en construisant un narratif national qui réécrit l’histoire, en glorifiant les « racines chrétiennes » du pays mais aussi de tout le continent. En refusant aussi tout accueil des réfugiés voués à la vindicte populaire, et en prenant à son compte une vision sociétale ultraconservatrice  (qu’il s’agisse du mariage, des droits des femmes…) qu’il dénonçait pourtant autrefois.

Pour parvenir à ses fins, Viktor Orbán a muselé tous les contre-pouvoirs, dont la presse, mis sous contrôle le système judiciaire, restreint le rôle du Parlement. Il se revendique « illibéral » mais sa politique économique et sociale, elle, se révèle en réalité ultralibérale. Au plus grand bénéfice du patronat, qu’il s’agisse de l’organisation ou du temps de travail, ou du droit lui-même. Il en va ainsi de la loi qualifiée par l’opposition et les syndicats d’« esclavagiste », qui « fait passer le seuil annuel d’heures supplémentaires dans les entreprises de 250 à 400, avec une latitude pour l’employeur de ne les payer qu’au bout de trois ans ». Nationaliste, Viktor Orbán n’en est pas moins européen. En partie parce que la Hongrie, devenue membre de l’UE en 2004, est bénéficiaire nette de l’aide financière de l’Union. Mais aussi parce qu’il y défend une vision du monde, et de la place qu’y occupe l’Europe, semblable à celle qu’il déploie en Hongrie. Son credo ? Une Europe chrétienne, qu’il dit menacée par les migrants et dont il se présente comme le défenseur suprême. Dès lors, il n’a que faire des mises en garde des eurodéputés ou de la Commission européenne contre ses violations des « valeurs fondatrices » de l’UE. D’autant que toute éventuelle condamnation suppose l’unanimité des États membres et que Budapest jouit, notamment, du soutien de Varsovie. Au point que Jarosław Aleksander Kaczyński, le chef du PiS (Droit et justice) au pouvoir en Pologne et Vice-président du Conseil des ministres, l’a pris pour modèle.

Érigeant des murs idéologiques autant que réels aux frontières du pays, l’homme fort de Budapest se veut aussi en croisade en Europe. Dont il entend faire basculer le centre de gravité vers l’Europe centrale. Pour autant, ami ou allié de Donald Trump, de Jair Bolsonaro ou de Benyamin Netanyahou (lequel amnistie les campagnes électorales d’Orbán fleurant l’antisémitisme, pourvu qu’il défende la politique d’Israël), Viktor Orbán entend se distinguer des extrêmes droites d’Europe de l’Ouest, comme le RN en France, même s’il a pu flirter avec Mattéo Salvini quand celui-ci était au pouvoir en Italie. Car, en dépit de sa propre politique, il ne juge pas l’ex-FN assez fréquentable, même s’il a avec lui des affinités idéologiques et des contacts importants. Alors que le RN s’est lancé dans une entreprise de « dédiabolisation », le Fidesz, le parti de Viktor Orbán, fait au contraire dans la surenchère. Après avoir quitté le Parti populaire européen (PPE) en mars 2021, le Premier ministre hongrois appelle à la création d’une nouvelle force de droite européenne pour « notre type de personnes » qui veulent protéger leurs familles et leur patrie. Les mobilisations contre la loi « esclavagiste » indiquent-elles le début d’un changement dans la société hongroise ? Elles ont permis en tout cas la convergence de nombreux secteurs de la population. Après des années à la tête du pays, pour la première fois le Fidesz doit aujourd’hui affronter des oppositions actives. Isabelle Avran

Dans la tête de Viktor Orbán, d’Amélie Poinssot (Éditions Actes Sud, 192 p., 19€50).

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