Jusqu’au 24/06, au Théâtre de la Bastille (75), Jacques Bonnaffé propose L’Oral et Hardi. Un spectacle totalement déjanté sur les textes qui le sont tout autant de Jean-Pierre Verheggen, l’iconoclaste écrivain et poète belge. Deux « agités du buccal » qui, forts d’un imaginaire débridé, se jouent des mots dans un grand éclat de rire.

« Que notre langue soit rebelle aux trop sages oreilles, qu’elle leur paraisse trop insurrectionnelle au besoin, pourvu qu’elle soit tout le contraire de celle des politiciens » : cette maxime de Jean-Pierre Verheggen, méritant lauréat du prix Nobelge, Jacques Bonnaffé la fait sienne. Pour l’incarner, avec force humour et talent, en cet inénarrable L’Oral et Hardi au Théâtre de la Bastille… En 2009 déjà, ce même spectacle aujourd’hui revisité valut un Molière à l’incurable bonimenteur quand il déclama sur scène les textes à l’architecture proprement iconoclaste du trublion wallon. Une plume qui file à bride abattue entre érudition et humour, se moquant des règles du langage comme un cheval fou dans un jeu de scrabble, une cavalcade épicée entre sauts de mots et obstacles lexicaux. Une écriture qui prouve que l’esprit de dérision se révèle puissante arme de subversion !

Une verve qui déverse et chute les mots à grande vitesse, à rougir de honte les eaux du Niagara… De la salle à la scène, de cour à jardin, outre d’impromptus tours et détours en coulisses, l’hardi Ch’ti court, saute, gambade, se dépense sans compter. Ne cessant jamais, fort de son accent du Nord, de parler, haranguer, proférer, déclamer, apostropher le public de ses hautes considérations poético-philosophiques… « Je suis un handicapé de la langue, un languedicapé de naissance », confesse Jean-Pierre Verheggen. Une affirmation qui ravit le récitant voltigeur, appréciant les « odes homériques, transes linguistiques, morceaux de bravoure et discours manifestes » de l’atypique wallon. Un baroudeur verbal qui chevauche avec gourmandise, crinière au vent, monts et vallons poétiques.

Ticket chic pour allocution poétique, est-il précisé en sous-titre choc. Publicité mensongère, erreur de casting : se déploie en fait un époustouflant marathon verbal, un « métingue » à sulfureuse portée politique ! La stupeur du public monte et enfle, sa jubilation aussi, face à l’avalanche de déclarations-interpellations-énumérations. Époumonées allegro presto, sans répit ni repos, entre sauts de cabri pour l’interprète et coups de langue pour les textes… Bonnaffé ? Un obsédé du verbe, un déjanté du vers, un allumé du buccal qui transpire à gros mots à tout vouloir dire sur le tout et le rien, surtout sur l’essentiel : que la poésie est fille rebelle, que la rime subvertit autant la grammaire des bien-disants que le monde des bien-pensants.

L’Oral et Hardi ? Entre hilarité débridée et sérieux assumé, de l’écrire au dire, une plongée surréaliste dans l’imaginaire pour un lâcher prise salutaire ! Yonnel Liégeois