Femmes de Palestine

Les 08 et 09/06, au Printemps des Comédiens à Montpellier (34), le Théâtre national palestinien Al Hakawati a joué l’Assemblée des femmes, d’après Aristophane. Dans une mise en scène très habile, des témoignages de femmes rencontrées en Cisjordanie viennent percuter le texte original. Une façon autre de prendre le pouls d‘une société sous occupation israélienne.

À ciel ouvert, au cœur de la magnifique pinède du domaine d’O, la nuit tombe doucement quand résonnent des mots qui font mouche : « L’égalité entre les femmes et les hommes est une affaire de droits », « Non à la violence, aux mariages forcés », « Les politiciens sont des tricheurs et des corrompus ». Sur un plateau quasiment nu, sur trois draps en guise d’écrans, sont projetés des visages de femmes, interviewées seules ou rassemblées, rencontrées à travers toute la Cisjordanie. Cette Assemblée des femmes aujourd’hui, d’après le récit d’Aristophane écrit vers 392 avant J.-C., a gardé toute sa nécessité et sa puissance. Ils sont huit pour en témoigner (Iman Aoun, Fatima Abu Alul, Shaden Saleem, Ameena Adileh, Nidal Jubeh, Mays Assi, Firas Farrah et Nicola Zreineh), cinq comédiennes et trois comédiens du Théâtre national palestinien Al Hakawati (le conteur, en arabe).

Le spectacle est coréalisé par Roxane Borgna, Jean-Claude Fall et Laurent Rojol. On connaît les difficultés de création et de circulation des artistes palestiniens que la guerre a rendues encore plus phénoménales, mais tous ont pu faire le voyage jusqu’à Montpellier. Le théâtre Al Hakawati, seul théâtre de Jérusalem-Est, a été cofondé en 1984 par François Abou Salem, disparu en 2011, permettant à des acteurs palestiniens de se former et de travailler avec des metteurs en scène internationaux. Adel Hakim (1953-2017), codirecteur avec Élisabeth Chailloux du Théâtre des Quartiers d’Ivry, y avait notamment créé l’Antigone, de Sophocle, prix de la critique du meilleur spectacle en langue étrangère en 2013. Porté par la Manufacture Cie Jean-Claude Fall et Nageurs de nuit, avec le soutien de l’Institut français de Jérusalem, le projet de cette Assemblée de femmes a commencé en 2021, à travers des ateliers artistiques et la réalisation d’un film.

On retrouve ici des portraits et extraits d’entretiens réalisés à Jéricho, Bethléem, Naplouse, Ramallah, Hébron… Le recueil d’une parole rare dans une société où les femmes de toutes générations doivent affronter conjointement l’occupation, la discrimination israéliennes et les tabous de leur propre société patriarcale. Sur le mode des Athéniennes, elles décident à quelques-unes de se rassembler la nuit tombée pour prendre la place des hommes à l’Assemblée et construire une société où le travail salarié sera supprimé, où il n’y aura plus d’héritage, où « tout sera à tous ». Où la présidence du pays reviendra à une femme. Un programme politique qui passe par dérober les habits de leurs maris durant leur sommeil et les voilà méconnaissables, en pantalons et vestes noirs, avec chapeaux, barbes et moustaches postiches.

Elles ont laissé au chevet des époux endormis leurs propres robes qu’ils n’auront pas d’autre choix que de porter, renversant ainsi les rôles dans des images fortes dont l’incidence n’est pas anodine, la pièce ayant tourné en Cisjordanie auprès de tous types de public. Cette construction très habile, de satire politique et de document anthropologique, se répercute sur scène entre les protagonistes, dans les relations nouées avec les femmes à l’image qui occupent aussi l’espace et la parole de la représentation. On y entend l’analyse des verrous d’une société dont « la liberté est entravée par l’occupation », où il y a des lois censées protéger les femmes mais « qui ne sont pas appliquées », où les violences familiales et sexuelles sont dissimulées. Au-delà de ce constat, on entend aussi l’espoir d’une population où « les mères donnent aujourd’hui plus d’espace à leurs filles pour s’exprimer ».

Émancipation et transmission, insoumission et combat sont les maîtres mots de ce programme politique et artistique dont les actrices, reléguant les acteurs au second plan, prennent les spectateurs à témoin, allant au plus près à leur contact, guettant leur réaction. « D’habitude, à la fin du spectacle, on danse, on chante, on fait la fête et on partage la soupe que nous avons faite avec les spectateurs. Avec ce qui se passe aujourd’hui en Palestine, on n’a pas le cœur à faire la fête ». Et Iman d’ajouter alors : « Dans notre société, lorsqu’il y a des morts, on partage le deuil avec un café noir, c’est ce café qu’on va vous offrir ». Plus que jamais le théâtre renvoie au réel. Marina Da Silva

Le Printemps des Comédiens : jusqu’au 21/06. Domaine d’O – Micocouliers, 178 Rue de la Carriérasse, 34090 Montpellier (Tél : 04.67.63.66.67).

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