Le 25/05, à l’espace Sorano de Vincennes (94), Sylvie Dorliat joue Soie. L’adaptation du livre d’Alessandro Baricco, mis en scène par William Mesguich. Une fantasque et sulfureuse histoire d’amour, tissée de sensuels fils entre imaginaire et réalité.
Entre les plis d’un tissu chatoyant et fin, Alessandro Baricco a tiré les fils d’un texte d’une sublime poésie entre rêve et réalité, plaisir d’un amour partagé et songe d’une passion fantasmée ! Aussi journaliste et musicien, auteur de l’étonnant Novecento, le romancier italien décrit en ce bref et court roman les quatre voyages entrepris par un certain Hervé Joncour en quête de précieux vers à soie. Des monts du Vivarais au Japon, un voyage long et périlleux en 1860, surtout un choc entre deux mondes et deux cultures…
Seule en scène, en peu de gestes sous une lumière tamisée, Sylvie Dorliat joue de sa voix enveloppante et caressante pour nous conter Soie, dans le cadre du festival Vincennes en scène. Une histoire fantastique dont nous ne dévoilerons le mystère, la rencontre entre deux êtres que langue et coutume séparent. Une femme et un homme qui se dévisagent et se frôlent, s’échangent d’étranges billets, s’éprouvent d’une passion commune sans jamais la consommer… Des pages enivrantes de sensualité du roman, le metteur en scène William Mesguich en a extrait les plus douces saveurs dont la comédienne se fait l’interprète. Une peu banale histoire d’amour, tant pour un fil à la texture d’une extrême finesse que pour une femme aux traits d’une extrême délicatesse. Yonnel Liégeois
Soie, d’après Alessandro Baricco : adaptation et jeu Sylvie Dorliat, le 25/05 à 20h30, Espace Soranode Vincennes.
En cette première quinzaine de mai, se sont déroulées deux manifestations de belle facture : le Festival des langues françaises à Rouen (76), le festival À vif à Vire (14). Des initiatives qui font la part belle aux écritures contemporaines et tentent de conquérir de nouveaux publics. Avec audace et jeunesse
Il fait beau en Normandie, le soleil brille en ce quartier de la Piscine du Petit-Quevilly ! Sur l’éphémère estrade de bois installée en plein air, prennent place nombreux jeunes et enfants. Quelques adultes égarés, passants attirés par l’attroupement et la musique d’ambiance, se joignent au public. Une bande d’apprentis-comédiens du cru, avec énergie et enthousiasme, frappe symboliquement les trois coups : une mise en scène minimaliste pour faire entendre des paroles venues d’ailleurs, en l’occurrence du Congo Brazaville. Ils renouvelleront leur prestation trois jours durant. En d’autres lieux, ce sont des propos surgis d’Iran, de Guadeloupe, de Guyane et de Haïti qui squattent le devant de la scène : un éloge, appuyé et cosmopolite, à la langue française ! « En cette cinquième édition du festival tourné vers les Caraïbes, de nouveau nous entendons célébrer toutes « les langues françaises» dans leur diversité et faire découvrir des auteurs éloignés géographiquement et peu souvent programmés », commente Ronan Chéneau.
Le programmateur de l’événement, et artiste permanent au CDN Normandie-Rouen, se réjouit en outre du fidèle partenariat instauré avec le prix RFI Théâtre (Radio France Internationale), ce grand prix littéraire décerné chaque année aux Francophonies de Limoges. « C’est une grande voix haïtienne contemporaine, Gaëlle Bien-Aimé, que nous accueillons cette année ». Dont la metteure en scène Lucie Berelowitsch crée Port-au-Prince et sa douce nuit. Dans une capitale dévastée, tant par les séismes que par l’errance politique et les bandes mafieuses, un jeune couple s’interroge : fuir ou rester ? De leur passion partagée à l’amour viscéral éprouvé pour leur terre, l’aspiration à la liberté et au bonheur fissure leur devenir… Une mise en scène épurée, chaude et colorée, où chantent les accents créoles. Servie par deux comédiens d’une incroyable puissance évocatrice (Sonia Bonny, Lawrence Davis), d’une irradiante et sensuelle humanité : il nous tarde déjà de retrouver ce spectacle sur les scènes hexagonales !
Et c’est aussi Lucie Berelowitsch, directrice du CDN de Vire, que nous retrouvons à l’entrée du Préau où de joyeux lurons, garçons et filles, ont installé leurs tréteaux pour le festival À vif. Une manifestation en direction de la jeunesse adolescente qui prend les affaires en main en ouvrant les festivités avec quelques saynètes de leur cru sur le parvis du théâtre… Changeant, à grande vitesse, de genre et de tenue pour décliner ces fameuses Métamorphoses, le thème de l’édition 2023 ! « Notre festival se veut un endroit de rencontre et de fête théâtrale ouvert à tous les âges où les adultes communiquent avec les plus jeunes », témoigne la metteure en scène. Il est une certitude, comme l’écrit notre consœur Marie-Céline Nivière non sans humour, à Vire on ne prend pas les adolescents pour des andouilles ! Ils viennent d’Alençon, de Caen et du Havre pour présenter au public leurs improvisations, acteurs aussi aux premières loges pour dialoguer avec les grands lors de tables rondes ou de rencontres en bord de scène. Car il est une autre certitude, jeune ou adulte, la ou les métamorphose(s) touche(ent) chacune et chacun quel que soit son âge : dans le corps et l’esprit, la tête et les jambes !
Pour illustrer justement ce qui bouge, change et se transforme, Julie Ménard propose Dans ta peau. Sous l’appellation « conte musical fantastique », elle tente d’illustrer la métamorphose de Sybille qui, musicienne devenue star iconique, s’interroge sur son devenir au lendemain d’un amour perdu. Un décor tantôt appartement tantôt scène de concert, des lumières vives et colorées qui aveuglent le public ou enveloppent les protagonistes, une musique rock chère à Romain Tiriakian qui alterne entre douceur et saturation, la voix tantôt parlante tantôt chantante de Léopoldine Hummel au visage masqué et à l’étrange costume : quand la métamorphose se transforme en énigme, le spectateur risque d’y perdre tous ses sens ! En tout cas, petits et grands, ils sont nombreux au rendez-vous de cette atypique fête théâtrale. Qui essaime avec succès hors des lieux balisés et convenus, de cours d’école en lycée agricole. Yonnel Liegeois
Dans ta peau, texte et mise en scène de Julie Ménard : les 19-20 et 21/05 au festival Théâtre en mai, CDN Dijon-Bourgogne.
Jusqu’au 4 juin, en Île-de-France, la Biennale internationale des arts de la marionnette offre un panorama de la création contemporaine. Une 11ème édition de la Biam, avec des personnages et des histoires pour grandes personnes : quand la marionnette devient enfin adulte !
Les premiers spectacles rattachés à cette discipline remontent au XVIIe siècle en France. « Aujourd’hui, ils témoignent de révoltes et de combats pour plus d’égalité, de solidarité et de liberté. La jeune génération d’artistes a choisi la manipulation et l’image pour nous exhorter à réfléchir et nous mettre en garde », pointe Isabelle Bertola, la directrice duMouffetard labellisé Centre national de la marionnette, qui organise et coordonne avec plusieurs partenaires la Biennale internationale des arts de la marionnette (Biam). Jusqu’au 4 juin, 39 spectacles différents, joués 138 fois au total dans 18 villes d’Île-de-France, offriront un large panorama d’un art en mutation.
Cette 11ème édition a notamment enfilé joggings et baskets pour se mettre aux couleurs des JO de Paris 2024. Des « formes olympiques », comme À vous les studios, sont ainsi proposées gratuitement dans certaines vitrines de commerces, explique Benjamin Ducasse, de la compagnie les Maladroits. « C’est l’histoire d’un coureur cycliste racontée en direct à la télévision », dit-il. « Les artistes et les sportifs ont des questionnements communs », poursuit Isabelle Bertola, « qu’il s’agisse de la diversité sur les pistes ou les scènes, du handicap, du genre, de l’égalité hommes-femmes, etc… ».
Les Maladroits ont présenté aussi Joueurs, une pièce qui questionne « l’art, la politique, l’amitié et l’engagement militant à travers le conflit entre Palestine et Israël ». Dans ce cas, la compagnie pratique un théâtre d’objets. « L’utilisation d’ustensiles de la vie quotidienne employés sans les transformer, mais en détournant leur sens, est un langage qui casse des barrières et démontre que le théâtre, et plus largement le concert ou l’opéra ne sont pas réservés à certains publics », affirme Benjamin Ducasse.
« Nous parlons désormais de marionnettes, en même temps d’objets, d’images, de machineries, bref, c’est tout un théâtre de la manipulation qui met en avant non pas l’acteur-manipulateur mais la forme, la matière, qu’elle soit figurative ou pas », confirme la directrice du théâtre le Mouffetard. Une analyse que partage aussi Johanny Bert, qui conçoit des spectacles pour adultes mais aussi parfois pour le jeune public. « Dans un type de théâtre intégrant des objets ou/et des marionnettes, la qualité de l’interprétation doit être excellente« , insiste- t-il. « Afin que le spectateur soit entièrement conquis, il est demandé au comédien-manipulateur beaucoup d’humilité, car c’est la marionnette qui capte l’attention, pas lui (ou elle) ».
Écrivain et spécialiste de cet art, Paul Fournel se réjouit de ce renouveau. « Depuis dix ou quinze ans, on ne peut plus parler d’une, mais de multiples esthétiques de cette forme théâtrale, et cette recherche constante de la différence fait la force de la marionnette contemporaine ». Ce que ne contredit pas l’Italienne Marta Cuscunà, artiste internationale invitée de cette édition avec trois de ses créations qui bousculent les imaginaires.
Les évolutions interpellent les formes mais aussi les contenus et quelques-uns, comme Paul Fournel, qui a jadis consacré sa thèse de doctorat au Guignol lyonnais, considèrent que ces formes nouvelles gagneraient souvent à faire davantage appel aux auteurs contemporains, « ce qui permettrait de conforter dans les mots toute l’audace qui se déploie à travers les objets et les figurines ». Il faut se souvenir, pointe aussi Johanny Bert, que « Guignol, à l’origine, donnait des coups de bâton aux gendarmes et aux propriétaires lyonnais qui se faisaient du fric sur le dos des canuts, avant d’être récupéré par la bourgeoisie. Maintenant, il cogne le voleur et le conduit au gendarme »…
Avec Hen, présenté dans cette Biam et repris dans cette version révisée au théâtre parisien de l’Atelier en mai, comme pour sa récente création, la (Nouvelle) Ronde, Johanny Bert s’affirme dans ces évolutions de la marionnette, loin de l’idée que cette discipline serait réservée à un public d’enfants. Il rend hommage à l’un de ses maîtres, qui contribua beaucoup à la naissance de la marionnette moderne, Alain Recoing (1924-2013), lequel appelait à défricher les pistes « d’un spectacle complet », avec entre autres le soutien convaincu du metteur en scène Antoine Vitez, qui dirigeait alors le Théâtre de Chaillot où il fit entrer le spectacle de marionnettes. Johanny Bert, qui vient d’entamer les répétitions d’un opéra inspiré par le film de Wim Wenders les Ailes du désir (1987), avec « quatorze marionnettes à taille humaine », affirme encore que « les petits pantins pour les petits enfants, synonyme de théâtre au rabais, ce doit être fini et bien fini ». Gérald Rossi
Les spectacles de la Biam se déroulent à Paris, Pantin, Argenteuil, Bagnolet, Bobigny, La Courneuve, Choisy-le-Roi, Cormeilles-en-Parisis, Eaubonne, Fontenay-sous-Bois, Ivry-sur-Seine, L’Île-Saint-Denis, Montreuil, Noisy-le-Sec, Pontault-Combault, Saint-Denis, Saint-Michel-sur-Orge et Stains (Tél. : 01.84.79.44.44)
Jusqu’au 30/04, au Théâtre Public de Montreuil (93), Pauline Bayle, la nouvelle directrice, inaugure ses « Quartiers d’artistes ». Avec une carte blanche offerte au Munstrum Théâtre, la compagnie de Louis Arene et Lionel Lingelser qui présentent trois de leurs spectacles : Zypher Z, les Possédés d’Illfurth et Clownstrum.
Onze ans après avoir créé leur compagnie à Mulhouse, Louis Arene et Lionel Lingelser posent leurs valises, leurs décors, leurs rêves, leurs envies et leurs faux nez tout un mois à Montreuil, en Seine-Saint-Denis. Avec leur Munstrum Théâtre, ils sont invités par Pauline Bayle, désormais directrice du TPM, le Théâtre public de Montreuil. Les voilà premiers artistes associés de cette grande maison fièrement dressée sur la place Jean-Jaurès, au centre de la cité, en face de l’hôtel de ville. Ils inaugurent un rendez-vous qui sera annuel, une carte blanche à une équipe artistique dénommée Quartiers d’artistes.
De toute façon, le théâtre est la maison des monstres
Trois spectacles sont à l’affiche :Zypher Z, Les possédés d’Illfurthet Clownstrum. Les trois résument un peu le travail de cette compagnie qui, au fil du temps, cultive des univers aussi étranges que son nom. « Un jour, se souvient Lionel Lingelser, c’était dans sa cuisine, j’ai demandé à ma grand-mère comment se disait “monstre” en alsacien. Elle a prononcé un mot impossible, mais, à la sonorité, on s’est dit de suite : voilà, ce sera Munstrum. C’était évident autant que poétique ». Et puis, comme le dit Pauline Bayle, « de toute façon, le théâtre est la maison des monstres. D’ailleurs, qu’est-ce qu’un monstre » ?
« C’est notre fil rouge, poursuit Louis Arene. Nous le déclinons poétiquement, prenant en compte les angoisses contemporaines, notamment dans la jeunesse, de l’effondrement de nos civilisations. Il faut se sortir de ce climat anxiogène, des représentations mortifères qui nous sont souvent imposées, en se posant la question : qu’est-ce qu’on invente pour après ? » Point de vue que précise encore Lionel Lingelser : « Il nous appartient de prendre à bras-le-corps cette situation, et aussi de lui insuffler de l’humour. C’est capital. N’oublions jamais que la figure du monstre est un catalyseur d’émotion, comme une loupe pointée sur ce que nous sommes tous,sur ce que nous sommes en train de vivre. Nos fables se situent toujours dans ces univers partagés, sur fond de fable écologique. Dans Clownstrum, ces personnages qui cherchent de l’eau sont à fond dans l’actualité… » À Montreuil, le Munstrum Théâtre veut toucher « tous les publics, notamment jeunes », et entend faire partager son univers à tous, à travers ses spectacles, mais aussi avec une exposition, des rencontres ou encore toute une nuit « de fête et de musiques » avec le collectif parisien queer Aïe.
Changer d’âge comme de genre
Formés au Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris, Louis Arene et Lionel Lingelser ont l’habitude, avec l’ensemble de la compagnie, de faire intervenir dans leurs créations la musique aussi bien que la danse, les arts plastiques, avec une constante formidable, les masques. « Ils sont un des plaisirs du comédien, affirme Louis. Ils permettent de changer d’âge comme de genre. En même temps, ils sont un mystère, une fascination pour le spectateur. Cette seconde peau permet de réaliser de grands écarts entre le comique et le tragique, le sacré et le profane, le kitsch et le sublime, que ce soit un masque neutre ou un nez de clown ». Tous sont fabriqués par Louis Arene. Au sortir du Conservatoire, disent-ils ensemble, « nous étions très avides d’aller vers un théâtre physique ; le masque nous a permis d’aller vers cette énergie particulière au plateau ».
Depuis 2017, ils sont artistes associés à la Filature, scène nationale de Mulhouse. À compter de septembre 2023, le Munstrum entamera aussi un compagnonnage avec les Célestins, un théâtre de Lyon. Même chose l’an prochain avec le TJP, le théâtre Jeune public de Strasbourg. « Cela nous permet de travailler sur de nouveaux territoires, et de faire tourner nos créations ». La saison prochaine la troupe doit reprendre 40 Degrés sous zéro, une farce glaçante à partir de l’Homosexuel ou la difficulté de s’exprimer et des Quatre Jumelles, contes inspirés à Copi par les années de dictature péroniste. Le Munstrum envisage aussi de reprendre un classique, le Mariage forcé, de Molière, créé en 2022 à la Comédie-Française à la demande d’Éric Ruf, l’administrateur.
Et les monstres n’ont pas fini de chatouiller les orteils des classiques ! « Nous travaillons, sans doute pour 2025, avec le maître incontesté du théâtre, celui qui parle aux étoiles, William Shakespeare », précise Louis Arene. Et ce sera Makbeth. Volontairement avec un K. Louis et Lionel affirment leur « envie de retrouver là toute la troupe au plateau, dans une démarche qui sera forcément artisanale, mais avec une machinerie très importante. Dans les temps difficiles qui sont les nôtres, nous voulons toujours animer la flamme de la joie ». Avec quelques monstres ? Même pas peur. Gérald Rossi
Quartiers d’artistes : Jusqu’au 30/04 au TPM, trois spectacles du Munstrum Théâtre. Avec exposition, projections, rencontres-débats.
Sorti le 25/01 sur les écrans, Divertimento retrace l’extraordinaire parcours de Zahia Ziouani et de sa famille. Sous les traits de Oulaya Amamra (Zahia) et Lina El (Fettouma), la réalisatrice Marie-Castille Mention-Schaar brosse le portrait des deux sœurs, jumelles et musiciennes : du conservatoire de Pantin en banlieue parisienne, dans le 9-3, au prestigieux lycée parisien Racine ! Niels Arestrup incarne à la perfection le maître, le grand chef d’orchestre Sergiu Celibidache. L’autre grande qualité du film ? Pour les séquences musicales, la réalisatrice a filmé de vrais instrumentistes plutôt que des acteurs. Pour tous les amoureux de la diversité culturelle, les mélomanes néophytes ou aguerris, un beau film à voir et à écouter ! Yonnel Liégeois
Une exception dans le monde de la musique, Zahia Ziouani est devenue cheffe d’orchestre. Malgré les embûches, élevée en Seine-Saint-Denis par des parents venus d’Algérie, elle crée son ensemble symphonique. Au micro de France Inter, retour sur son parcours.
Pantin en banlieue parisienne, la ville où Zahia Ziouani a grandi, là où elle vit toujours… C’est là où les parents, immigrés algériens, se sont installés dans les années 1980. Des parents mélomanes : quand il arrive en France, le père achète très vite un transistor. Branché sur France Culture, il devient un grand amateur de musique classique (Mozart et Beethoven) et d’opéra (La Flûte enchantée, les Noces de Figaro). Quand Zahia et sa sœur jumelle Fettouma ont 8 ans, leur mère veut les inscrire au conservatoire de musique de Pantin, mais il ne reste qu’une place. C’est leur petit frère qui l’obtiendra. Qu’à cela ne tienne, la maman accompagne son fils, elle suit tous les cours. De retour à la maison, elle les prodigue à ses filles. Quand des places se libèrent en cours d’année, les jumelles peuvent intégrer le conservatoire sans avoir perdu de temps. Au fur et à mesure de sa formation, Zahia s’épanouit en cours de guitare mais elle envie sa sœur qui, au violoncelle, a accès à l’orchestre. Elle choisit alors l’alto, l’instrument à cordes placé au centre des orchestres symphoniques !
Elle redouble d’efforts pour pouvoir intégrer l’orchestre du conservatoire. Et le rôle de chef la fascine de plus en plus. Elle emprunte des conducteurs d’orchestre à la partothèque du conservatoire. C’est un déclic, elle découvre un monde qui semblait l’attendre, comme une évidence, mais aussi comme un rêve inatteignable. Tous les chefs d’orchestre qu’elle découvre sont des hommes âgés, pas des jeunes femmes comme elle. Pour continuer leur parcours de musiciennes douées, les sœurs Zahia et Fettouma intègrent le prestigieux lycée Racine à Paris, qui propose des horaires aménagés pour les jeunes musiciens de haut niveau. Difficile pour elles de faire leur trou, tant elles sont vues comme « les filles qui viennent de banlieue ». Mais leur détermination et leur talent forcent l’admiration. L’autre déclic ? La rencontre lors d’une masterclass avec le grand chef roumain Sergiu Celibidache qui lui dit de s’accrocher « parce que souvent les femmes manquent de persévérance« . Il n’en fallait pas plus pour motiver encore plus Zahia.
Une fois ses diplômes obtenus, Zahia se rend compte qu’il sera difficile pour elle de trouver un poste de chef d’orchestre. Elle a l’idée de créer son propre ensemble, la femme d’à peine vingt ans fonde Divertimento avec les meilleurs musiciens qu’elle côtoie à Paris et en Seine-Saint-Denis.. Pas un projet « socio-culturel », avant tout un orchestre professionnel reconnu sur le plan musical… Avec Fettouma et son frère, elle organise des tournées et décide d’installer cet orchestre en Seine-Saint-Denis. Un engagement politique, militant : faire le pari du 93. La cheffe défend l’idée que les habitants des banlieues ont droit à la même qualité, au même accès à ce qui est exigeant, ce qui est beau. Malgré les difficultés matérielles : le département n’a pas les infrastructures pour accueillir un orchestre symphonique, pas de salle assez grande. D’où l’obligation de se délocaliser pour répéter en formation, par exemple à la Seine Musicale des Hauts-de-Seine. Sa vocation ? Aller jouer dans les salles les plus prestigieuses comme auprès des publics les plus défavorisés.
Zahia Ziouani, un symbole ? Elle répond modestement qu’elle se voit surtout comme un message d’espoir. Son parcours doit inspirer les jeunes filles qui ont des grands rêves. Elle passe du temps dans les collèges et les lycées pour dire aux jeunes que tout est possible, à condition de travail et d’exigence. Si les politiques la saluent souvent, elle n’est pas dupe, mais elle veut se servir de cette attention pour faire avancer les projets culturels dans les quartiers défavorisés. Son histoire inspire le cinéma : en ce mois de janvier sort Divertimento, le film qui retrace son parcours et celui de sa sœur. Un film qui parle de jeunes des banlieues populaires qui réussissent, une victoire pour Zahia. Amélie Perrier
En ces heures troubles et troublantes, comédiens, musiciens et écrivains, plasticiens et magiciens ne cessent de rêver, chanter, créer. Régulièrement actualisée, une sélection de propositions que Chantiers de culture soutient et promeut. Yonnel Liégeois
– Jusqu’au 05/03/23, au Théâtre du Lucernaire, Ariane Ascaride présente Du bonheur de donner. Sagement assise derrière son pupitre, délicieusement accompagnée à l’accordéon par le talentueux David Venitucci, la comédienne lit, et chante parfois, les poèmes de Bertolt Brecht. Une facette trop méconnue du grand dramaturge allemand… C’est en présentant un extrait de La bonne âme du Se Tchouan qu’elle signa son entrée au Conservatoire, c’est encore sous la direction de Marcel Bluwal qu’elle devint la magnifique Jenny de Mahagonny ! Un compagnonnage au long cours avec Brecht, dont elle exhume aujourd’hui pour les jeunes générations beauté de la langue, musique des textes, sens des valeurs telles que fraternité et solidarité. « J’ai relu beaucoup de poésies de Brecht qui est toujours présenté comme un auteur austère, sérieux et théorique », confesse la comédienne, « on connaît moins sa bienveillance, son humour et son sens du spectacle ». Un joli récital, tout en délicatesse et finesse. Sur l’accueil de l’autre notre semblable, sur le bonheur d’être juste dans un monde qui ne l’est pas. Avec ce rappel, lourd de sens par les temps qui courent, pour clore la soirée : « Celui qui combat peut perdre, celui qui ne combat pas a déjà perdu ».
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– Jusqu’au 24/01/23, au Théâtre de la Bastille, Samantha van Wissen interprète Giselle… Les trois points de suspension sont d’un intérêt capital : non pas le fameux ballet écrit par Théophile Gautier, mais la pièce de François Gremaud, cet inénarrable petit Suisse qui nous avait déjà enchanté avec sa désopilante Phèdre ! (ne pas oublier le point d’exclamation…) en ce même lieu ! Accompagnée de quatre jeunes musiciens virtuoses (violon, harpe, flûte et saxophone), la danseuse et comédienne nous conte avec humour et grâce la genèse de ce fameux ballet créé en 1841, sommet de l’art romantique. Une performance de haute volée pour celle qui doit danser et parler sans jamais perdre le souffle, endosser tous les personnages de l’oeuvre, dialoguer avec la musique et le public entre entrelacs et entrechats… Un succulent pas de côté pour pointer avec justesse, souvent avec une subtile ironie, incohérences et mièvreries du livret, se moquer du tutu de la belle Giselle, se gausser de la prétendue virilité du héros ! Prodigieuse Samantha van Wissen qui captive et hypnotise le public près de deux heures durant, égérie suspendue aux pointes des points de suspension de la ballerine à la funeste destinée ! Avec, au sortir de la représentation, le « livret » de François Gremaud offert à chacun.
– Jusqu’au 24/05/23 sur France.tv, Olivier Ayache-Vidal et Agnès Pizzini présentent L’affaire d’Outreau. En quatre épisodes, le récit de l’incroyable fiasco judiciaire qui aura duré quatre années de procédure et deux procès pour arriver à l’acquittement de treize personnes innocentes ayant fait trois ans de prison… Entre documentaire et cinéma, la série décortique erreurs, égarements et fourvoiements d’un système judiciaire englué dans une logique mortifère : d’un petit juge engoncé dans ses certitudes à traiter l’affaire du siècle à un procureur qui valide une instruction menée au pas de charge.Une série réussie entre horreur et sidération, stupeur et réflexion.
– Jusqu’au 05/02/23, au Théâtre de la Tempête, Simon Falguières présente Les étoiles. Lors des obsèques de sa mère, un jeune homme perd la mémoire, plus encore il perd l’usage des mots qui permettent de donner sens à sa vie, d’exister dans son rapport aux autres. Le temps passe et s’écoule sans lui, hors de lui, confiné dans son lit où seuls fantasmes et poésie entretiennent son imaginaire. Absent au monde qui s’agite autour de lui, aux relations qui se défont ou se nouent entre famille, amis ou voisins… Rêves et réalité font bon ménage sur le plateau, les dieux grecs ou indiens sont convoqués, Bergmann et Tchekhov aussi ! Le metteur en scène use de tous les artifices à sa disposition (masques, pantins, changements à vue, décors mouvants) pour emporter le public dans cette originale expédition onirique qui fait la part belle à notre inconscient inavoué, cette quête de l’inaccessible étoile chantée si puissamment par le grand Brel. Le temps s’écoule et s’effiloche à la recherche des mots perdus pour le héros endormi, tandis que la vie s’agite autour de lui. Entre le réel et l’imaginaire, Falguières ne tranche pas, à chacune et chacun de lier l’un à l’autre, de faire sien ces deux pans de l’existence dans un déluge de bons mots et de belles images, tous emportés par l’énergie d’une troupe ( Agnès Sourdillon, Charlie Fabert, Stanislas Perrin…) convaincue et convaincante en cet incongru voyage.
– La plateforme de la Cinémathèque française, Henri, du nom de son fondateur Henri Langlois, poursuit l’aventure initiée au temps du confinement ! Au menu, des projections en exclusivité, des œuvres à voir ou revoir, une centaine de films à découvrir… Mais aussi quelques 800 vidéos (leçons de cinéma avec les plus grands cinéastes, acteurs, actrices et technicien.nes au monde, conférences…) à regarder, ainsi que plus de 500 articles à lire ou relire.
– Jusqu’au 12/02/23, au Théâtre de la Colline, Isabelle Lafon présente Je pars sans moi.Pieds nus, comme égarées devant le public qui leur fait face, les deux comédiennes s’avancent sur la petite scène du théâtre. Seule éclaircie dans le noir de salle, une porte prête à s’ouvrir ou se fermer au gré des mots dits ou balbutiés… « Des mots d’une femme internée en 1882 à Sainte-Anne, les Impressions d’une hallucinée extraits de la revue L’Encéphale, Isabelle Lafon et Johanna Korthals nous dirigent aux frontières du désarroi mental », alerte le dossier de presse.Une juste précision qui emporte le public dans un délire verbal, un dialogue à la frontière de l’audible et pourtant d’une incroyable puissance jouissive et poétique ! Les deux femmes parlent et s’interpellent, se fuient ou s’enlacent, s’affrontent et s’éprouvent au gré d’un dialogue nourri des écrits et paroles de grands spécialistes de la folie, Gaëtan de Clérambault au XIXème siècle et Fernand Deligny un siècle plus tard. C’est intense, beau, lumineux, ce désir et cette volonté de mettre en lumière les paroles de celles et ceux que l’on considère malades, inaptes pour trop aimer l’autre, l’indicible, l’inaccessible ou l’éthéré. Délicatesse et humour s’invitent sur le plateau, une heure de plaisir limpide et fécond avant de franchir la porte, peut-être, qui séparent le monde des bien pensants avec celui que l’on considère à tort des morts vivants.
– Né sous François Ier en 1530, l’emblématique Collège de Francenous invite à explorer gratuitement plus de 10 000 documents (leçons inaugurales, cours annuels des professeurs, entretiens filmés…). Sur Chantiers de culture en 2016, notre consœur Amélie Meffre suggérait déjà d’aller butiner dans cette incroyable caverne aux trésors qu’est le Collège de France !
– Du 26 au 29/01/23, au Théâtre national de Nice, Sylvain Maurice présente La campagne. Qui est vraiment cette inconnue que Richard prétend avoir recueillie en bord de route pour la conduire en pleine nuit à son domicile ? Telle est la question que pose son épouse avec insistance… Le couple a fui la ville pour s’installer, lui médecin elle femme à la maison s’affairant à des découpages pour les deux enfants, au calme de la campagne. Dans le bonheur de vivre et la sérénité ? Un leurre, pour l’auteur anglais Martin Crimp ! Une pièce acide et amère sur les non-dits d’une vie de couple, où la routine semble avoir étouffé le désir, où le mensonge semble avoir gagné force de loi. Les petits malheurs et grandes peurs d’une famille embourgeoisée qui nous passionnent grâce à l’écriture de Crimp : d’une porte qui s’ouvre sur une vérité pour se refermer sur une autre, jamais nous ne saurons le fin mot d’une histoire auxmultiples rebondissements. Un triangle amoureux traité en énigme policière, où Isabelle Carré éclaire la scène de son grand talent en épouse toute à la fois naïve et lucide, complice d’une relation amoureuse qui semble avoir perdu de son intensité au fil du temps. Avec, comme à l’accoutumée dans les mises en scène de Sylvain Maurice, un superbe traitement des mouvements et des lumières.
Jusqu’au 27/02/23, la fondation Louis Vuittonprésente l’exposition Monet-Mitchell. Un regard croisé, d’une intense luminosité, entre les deux artistes peintres, Claude Monet et Joan Mitchell, où nature et couleurs aiguisent l’imaginaire et le pinceau de l’un et de l’autre. « Impression » pour l’un, « feeling » pour l’autre : bleues, jaunes, rouges, verts ou mauves, les couleurs explosent d’une salle à l’autre. Jusqu’au final éblouissant, d’un côté L’Agapanthe triptyque monumental de Monet, de l’autre dix tableaux de Mitchel issus du cycle La grande vallée ! Magistral, éblouissant, vu la foule qui se presse aux portes du musée, la réservation est vivement recommandée.
– Jusqu’au 22/03/23, au 100 – établissement parisien, culturel et solidaire, René Loyon présente Le misanthrope. Quelques chaises disséminées sur le plateau pour tout décor, le metteur en scène demeure fidèle à ses principes : le texte seul, tout le texte, rien que le texte ! Et pas n’importe lequel, celui de Molière où un homme, perclus de sa suffisance et de son intégrité, se refuse à toute passion amoureuse et à toute connivence avec le monde qui l’entoure… Un bel exercice de style où Loyon se fait maître en la matière osant déjouer le temps en jouant de l’âge de ses interprètes : des vingt ans de Célimène à l’heure où Molière situe son chef d’oeuvre, nous voilà en présence de personnages entre la cinquantaine et la soixantaine finissantes mis à l’épreuve d’une jeunesse révolue et d’un désir par trop émoussé. Que nenni, nous prouvent les interprètes, d’une audace et d’une vivacité à toute épreuve, rivalisant de talent pour mettre à l’honneur une belle langue déclinée en majestueux alexandrins ! Du plaisir renouvelé à goûter un classique du répertoire, libéré des fioritures soit-disant indispensables à l’heure de la modernité.
Du 16 au 18/11, au CDN de Thionville (57), Jean Boillot propose La terre entre les mondes. Un texte de Métie Navajo au terme d’une résidence en pays indien, sur fond d’expropriation des terres et de disparition de la culture Maya. Du Mexique à l’ailleurs, entre réalisme et poésie, un joli conte sur le partage des ressources, la préservation de la planète et l’émancipation des femmes.
L’une est fille de paysans indiens. Fière de sa culture et de son parler Maya, « la langue des oiseaux »… L’autre est fille de colons mennonites, à la foi rigoureuse et férus d’agriculture intensive… Cecilia et Amalia, la brune et la blonde aux cultures radicalement différentes, sympathisent au fil de leurs rencontres. Au point de partir ensemble à la découverte du monde, de l’autre côté de la forêt, en tout cas de ce qu’il en reste après déforestation et vastes plantations de soja !
En fond de scène, un immense arbre, siège des esprits et refuge pour la grand-mère fidèle aux valeurs ancestrales, morte-vivante qui s’en vient visiter en songe Cecilia, sa petite-fille. Chants, couleurs et senteurs envahissent alors l’espace du théâtre Jean-Vilar de Vitry (94), à l’heure où les deux jeunes femmes s’affrontent et confrontent leur mode de vie, leurs croyances et aspirations. Des dialogues d’une simplicité déroutante et pourtant porteurs d’une haute valeur ajoutée : le respect de la nature, le respect des cultures, le respect de la femme… Métie Navajo use d’un propos d’une belle lucidité et clarté. Un message politique au sens vrai du terme, une mise en scène aux couleurs chatoyantes d’une élégante finesse.
Est ainsi offert aux spectateurs, tous sens en éveil, un plaidoyer humaniste d’une incroyable puissance « poïétique ». La symbolique illustration du qualificatif choyé par le regretté Édouard Glissant, le romancier et poète antillais qui célébrait la partition du « Tout-Monde » au défi des particularismes locaux ou régionaux ! Du Mexique à l’ailleurs, entre réalisme et poésie, un joli conte fantastique sur le partage des ressources et des richesses, la préservation de la planète et l’émancipation des femmes. Vraiment, un spectacle d’une rare beauté. Yonnel Liégeois
C’était, du 8 au 11/11, au théâtre Jean-Vilar de Vitry dans le cadre des Théâtrales Charles-Dullin qui proposent, jusqu’au 12 décembre, trente spectacles dans vingt-cinq villes du Val-de-Marne (Rens.. : 01.48.84.40.53). En tournée à Thionville, les 16-17 et 18/11 ; à Vitry-le-François, le 01/12 ; à Saint-Michel-sur-Orge, le 08/12. La Terre entre les mondes est paru aux éditions Espace 34.
À voir aussi :
– Nerium Park : Dans une mise en scène de Véronique Bellegarde, un texte de Josep Maria Miro, les 17 et 18/11 à l’espace Bernard-Marie Koltès de Metz (54). Un couple heureux, nouveau locataire d’une résidence en construction… Jusqu’au jour où un individu squatte le local à vélos de ce lotissement demeuré en déshérence au fil des mois ! Un thriller social (chômage, licenciement, détresse humaine) au dénouement tragique, à l’heure où l’amour s’effiloche et les signes extérieurs de richesse s’étiolent.
– Politichien : Dans une mise en scène et interprétation de François Jenny, l’adaptation du Bréviaire des politiciens du cardinal Jules Mazarin. Jusqu’au 26/11, au théâtre Les Déchargeurs (75). D’une cruauté et d’une hypocrisie à peine supportables, les préceptes d’un fourbe prélat pour quiconque veut accéder au pouvoir mais surtout le garder… Hors toute morale, le cynisme d’un homme de foi qui croyait surtout en la puissance des honneurs et de l’argent. « Toute ressemblance avec… » demeure d’une brûlante actualité !
Édité par la Revue d’histoire du théâtre, André Benedetto, la chute des murs rend hommage au fondateur du Théâtre des Carmes en Avignon. Explorant l’apport trop méconnu du dramaturge à l’art théâtral, ce riche ouvrage collectif révèle son engagement sans compromission.
Le 13 juillet 2009, en plein cœur du Festival d’Avignon, on apprenait la mort d’André Benedetto. Cette année-là, il jouait dans son Théâtre des Carmes, qu’il avait fondé au début des années 1960, la Sorcière, son sanglier et l’inquisiteur lubrique.
Sa disparition soudaine marque la fin d’une histoire, d’une aventure théâtrale audacieuse, à contre-courant du théâtre bourgeois qu’il conspuait, dès 1966, dans un manifeste où il revendiquait « les classiques au poteau » et « la culture à l’égout ». Plus qu’une simple provocation, l’affirmation d’un théâtre populaire, écrit sur le vif de l’Histoire, joué par des comédiens professionnels et amateurs. Dans le théâtre de Benedetto, on croise des Palestiniens, des Vietnamiens, des Africains-Américains, Che Guevara, Rosa Luxemburg, Nelson Mandela ou Giordano Bruno. Mais aussi des dockers, des cheminots et toutes sortes de prolos. Sans oublier les représentants du grand capital.
Dans le théâtre de Benedetto, on parle, on entend la langue de la révolte et de la solidarité. Cette langue emprunte à l’espagnol, à l’italien, à l’occitan, au français. Jamais, au grand dam des puristes de la diction académique, son théâtre ne cherche à masquer son accent, un accent qui charrie la dialectique marxiste, révolutionnaire. Que ce soit dans Emballages, Napalm, Statues, Zone rouge,la Madone des ordures, les Drapiers, le Siège de Montauban, Mandrin, Geronimo, Jaurès, la voix, Un soir dans une auberge avec Giordano Bruno… ou encore Médée, son théâtre casse les codes, manie la dialectique. Ses personnages sont nos semblables, nos frères de colère et de combat, des personnages qui foncent, hésitent, se trompent, recommencent, refusent l’ordre établi, l’injustice, ne se soumettent pas. André Benedetto ne nous a pas légué un théâtre clés en main pour révolutionnaires en panne d’utopie. Son théâtre dérange, nous dérange, car il n’hésite pas à nous mettre face à nos propres contradictions.
André Benedetto n’est pas le créateur du off d’Avignon, il est le créateur d’un théâtre politique et poétique, qui emprunte à la langue populaire, paysanne, prolétaire, révolutionnaire. Une langue où l’humour s’invite là où on ne s’y attend pas, où l’autodérision est présente, y compris dans les moments les plus tragiques ; une langue poétique qui n’assène pas mais révèle et s’adresse au public sans flagornerie. Dès son installation, la troupe de Benedetto joue dans les rues de la cité et hors les murs de la ville, pratiquent la « décentralisation » en s’invitant dans les quartiers populaires et forcément excentrés, là où la bourgeoisie avignonnaise ne s’aventure pas, dans cette fameuse « zone rouge »…
L’ouvrage est un « cahier » édité par la Revue d’histoire du théâtre. Petit par son format, il s’avère d’une grande richesse, tant par les contributions de Lenka Bokova, Kevin Bernard, Émeline Jouve et Olivier Neveux que par les documents et photographies inédits qu’il contient. Marie-José Sirach
André Benedetto, la chute des murs, un cahier de la Revue d’histoire du théâtre (144 p., 11€).
Jusqu’au 15/10, à Nanterre (92), Christophe Rauck présente Richard II, de William Shakespeare. Le directeur du Théâtre des Amandiers s’attaque à l’une des pièces shakespeariennes les plus denses. Dans une scénographie imposante et impressionnante, Micha Lescot campe un monarque imprévisible et mélancolique.
Pleins feux sur Bolingbroke et Mowbray. Plantés dans leur rond de lumière, ils s’accusent mutuellement de trahison. Dans l’ombre, le roi écoute, interrompt, tente de calmer le jeu, en vain. Devant l’imminence d’un duel dont l’issue est incertaine, Richard II prend la décision de bannir à vie Mowbray et condamne son cousin Bolingbroke à six années d’exil en France. Un an plus tard, Jean de Gand, le père de Bolingbroke, qui fut l’un des précepteurs de Richard, meurt. Richard s’approprie tous les biens de son oncle pour alimenter les caisses du royaume et partir guerroyer en Irlande. Mal lui en prit. Bolingbroke revient avant l’heure de son exil. Soutenu par une partie des nobles qui craignent de se faire dépouiller à leur tour, acclamé par le peuple exsangue, il se débarrasse des derniers alliés de Richard qui se retrouve isolé. Capturé, Richard II abdique. Incarcéré, il sera assassiné par Exton, un proche de Bolingbroke, lequel devient ainsi Henry IV.
Assassinats, guerres et exils
L’histoire est un rien complexe avec ses trente personnages, ses assassinats, ses guerres et autres exils. La tragédie de Shakespeare, qui augure une tétralogie, si elle revêt un aspect historique évident, ne faillit pas à la règle dont sont porteuses toutes ses autres pièces. À savoir un questionnement permanent sur le pouvoir, sur ce qui fonde ou pas sa légitimité, auquel se greffent ses corollaires : trahison, conspiration, corruption, loyauté. Ce grand tout interroge de plein fouet la politique, le cœur de l’appareil politique et ses coulisses, hier et aujourd’hui. Voilà pourquoi Shakespeare nous est si contemporain.
Tel est le parti pris de Christophe Rauck dans sa mise en scène, nerveuse, énergique, qui s’approche au plus près de tous ces enjeux. À grande fresque, grand plateau. C’est comme si le metteur en scène avait repoussé les murs du gymnase Aubanel pour laisser à découvert un immense plateau où sont disposés des gradins amovibles manipulés à vue, où des tulles vont délimiter et ouvrir les aires de jeu, et sur lesquels seront projetées quelques scènes en gros plans ou une mer déchaînée aux mouvements hypnotiques (scénographie d’Alain Lagarde). Si les enjeux de la pièce nous échappent quelque peu au démarrage – il est vrai que nous ne sommes pas anglais et que nous connaissons mal cette histoire –, nous sommes très vite rattrapés par la force qui émane de cette intrigue dont la figure centrale, Richard II, est portée par un Micha Lescot majestueux dans son costume blanc qui, de sa longue silhouette, domine la pièce de bout en bout. Incroyable acteur qui se métamorphose à vue, tantôt mélancolique, tantôt colérique, à la fois monarque qui inspire le respect pour soudain se comporter en enfant gâté. Imprévisibles, ses décisions prennent de court ce qui lui reste de cour, lui-même naviguant à vue au milieu des trahisons qui sont légion.
Un monarque entre failles et trahisons
Il se pensait invincible, monarque de droit divin, il ne comprend que trop tard que le retour de Bolingbroke scelle à jamais son destin de roi soudain maudit. Car Bolingbroke va tirer sa légitimité du peuple et de ses alliés. Pour Rauck, ce combat presque fratricide entre ces deux-là, qu’un lien sanguin lie à jamais, annonce la fin d’un cycle, la légitimité n’étant plus d’ordre divin. La scène d’abdication de Richard II est fulgurante à bien des égards. Le roi prend soudain conscience des trahisons, mais aussi de ses propres failles, de son incapacité à avoir su anticiper ce qui allait advenir. Alors, il joue avec sa couronne, l’enlève, la remet, la tend à Bolingbroke et la lui reprend. À cet instant, on sent un Bolingbroke hésitant, qui doute de sa légitimité, qui voulait juste récupérer ses biens, pas la couronne, mais poussé par le vent de l’Histoire, n’a pas d’autre choix que de succéder à son cousin. Dépouillé de ses habits de roi, Richard, « ce monarque plus malheureux que le malheur », comme l’écrivait Aragon, ce roi « unkinged » (non-roi), disait Shakespeare, ce roi qui embrassait la terre d’Angleterre à pleine bouche, renonce et son corps porte tous les stigmates de la mélancolie et de la perte.
Aux côtés de Micha Lescot, Thierry Bosc, qui interprète d’abord Gand puis le duc d’York, est incroyable de lâcheté et veulerie ; Éric Challier dans la peau de Bolingbroke, d’abord tout en force, parvient à trouver le juste équilibre ; Emmanuel Noblet, Aumerle, le fils de York sans cesse ballotté entre son père et sa mère (formidable Murielle Colvez), est terriblement humain. Si Cécile Garcia Fogel revêt avec majesté les habits de reine, chante sublimement dans son jardin, son jeu, sa voix si particulière semblent moins compatibles avec les deux autres personnages qu’elle joue, Salisbury et Exton. Nous ne pouvons citer toute la distribution, mais saluons les jeunes acteurs issus de l’École du Nord, qui furent à Lille vraiment à bonne école. Marie-José Sirach
Du 20/09 au 01/10, à Limoges (87) et alentour, se déroulent les Zébrures d’automne ! Sous la férule du metteur en scène et directeur, Hassane Kassi Kouyaté, un hymne à la francophonie dans une myriade de propositions artistiques et culturelles… De la Haute-Vienne à l’archipel caraïbéen, de l’ouest africain aux territoires ultra-marins, un festival aux saveurs épicées et aux paroles métissées.
« En ces temps identitaires, où certains remontent obstinément le cours du temps à la recherche d’une source « pure », où la complexité du monde n’a jamais provoqué de réponses aussi simplistes », commente Alain Van der Malière, le président des Francophonies, « il ne faut pas manquer ce rendez-vous de septembre à Limoges » ! Au menu, rencontres, débats, expos, musique, lectures, cinéma et théâtre : autant de propositions artistiques pour célébrer la francophonie, une langue et son pouvoir de création, dans une riche palette multiculturelle. Comédiens et musiciens de Guadeloupe et de Martinique, du Mali et de Guinée, de France et de Belgique, de La Réunion et de Haïti, femmes et hommes de toutes couleurs, ils sont au rendez-vous de cette nouvelle édition des Zébrures d’automne. Pour donner à voir et entendre, danser et chanter une humanité métissée et une fraternité partagée…
« Les Francophonies sont par excellence le lieu d’ouverture au monde. L’endroit où l’on peut côtoyer la différence qui nous fait autre », proclame avec enthousiasme Hassane Kassi Kouyaté, metteur en scène et directeur du festival. « La création d’expression française est d’une incroyable fraîcheur, qui mérite bien mieux qu’un simple clin d’œil. Déjà, pour la seule France, il faut savoir qu’en moult lieux d’Outremer on n’y trouve ni conservatoire, ni école artistique, parfois même pas de salle de théâtre ou de concert ». Selon l’homme de théâtre, il devient donc urgent d’insuffler une politique volontariste en ce domaine, se réjouissant que par leur existence les Francophonies bousculent les consciences dans le bon sens ! Qui ouvre ensuite son propos à un horizon plus large encore : veiller à ce que la francophonie ne se limite pas aux anciens pays colonisés ou aux membres de l’O.I.F, l’Organisation internationale de la francophonie. « L’Algérie n’en fait pas partie, on y parle encore français, à ce que je sache ! Mon parti pris ? Élargir la francophonie à tous les artistes créant en langue française ».
Le festival ouvrira les réjouissances le 20/09 par un hommage appuyé, et mérité, à Monique Blin disparue en janvier 2022. Une soirée en mémoire de celle qui, avec Pierre Debauche alors directeur du Centre dramatique national du Limousin, créera le premier festival des Francophonies en 1984 et le dirigera jusqu’en 1999 ! Sous sa houlette, émergeront des talents aujourd’hui reconnus : Robert Lepage, Wajdi Mouawad… Pour se clore, le 01/10, avec une « conversation » en compagnie de Daniel Maximin, le poète et romancier antillais qui partagera son regard sur les mondes artistiques et littéraires contemporains. Entre ces deux dates, dans un florilège de créations, quatre spectacles qui s’attarderont sur le territoire métropolitain : La cargaison du 22 au 24/11 au Théâtre du Point du Jour à Lyon, Anna, ces trains qui foncent sur moi les 13 et 14/10 à l’Opéra-Théâtre de Metz, Mon Élidu 09 au 13/05 au Glob Théâtre de Bordeaux, L’amour telle une cathédrale ensevelie du 11/11 au 11/12 au Théâtre de la Tempête à Paris. Yonnel Liégeois
Dans le cadre des Journées européennes du patrimoine, le 18 septembre, le Manoir des arts de Jaugette (36) honore un artiste majeur de la scène musicale française : Georges Brassens. Le spectacle de clôture de l’édition 2022 des rencontres musicales qui ont fêté dignement leur dixième anniversaire.
L’Auvergnat, les Bancs publics, les Copains d’abord et tant d’autres chefs-d’œuvre : Georges Brassens n’en finit pas d’inspirer les artistes ! Le Manoir des Arts propose de découvrir ou redécouvrir quelques-unes de ses chansons. Ce spectacle musical est présenté par la Compagnie Cadéëm, avec Laurent Montel, ancien pensionnaire de la Comédie Française (texte et chant), accompagné de Eva Barthas (saxophone), Josephine Besançon (clarinette) et Anthony Millet (accordéon). Les arrangements sont de François Bousch, un habitué de Jaugette où il s’est déjà produit, avec notamment, ses « Miroirs d’espaces ». Une création pour électronique et diaporamas, au cours de laquelle les spectateurs sont sollicités pour intervenir sur le déroulement musical par l’intermédiaire de leur smartphone. Le compositeur a créé une sorte d’alphabet sonore qui permet de transcrire en notes les textes envoyés par les téléphones.
La présence de François Bousch, lors du récital-hommage à Brassens, symbolise à merveille l’esprit du Manoir des arts : faire vivre un lieu de rencontres musicales où se croisent différents univers. C’est encore vrai pour cette année 2022. Le premier spectacle se déroula le 30 avril sur le thème « Les chefs d’œuvre du XXème siècle ». Au programme, le concerto pour main gauche de Ravel et le deuxième concerto de Prokofiev. En juillet, le festival Musique et Magie a offert plusieurs œuvres, dont « L’enfant et les sortilèges » de Maurice Ravel. Les festivaliers étaient également invités à écouter le quatuor des Ondes Martenot : un instrument électronique aux sonorités magiques, créé par Maurice Martenot et présenté au public en 1928 ! Quant au magicien Bruno Monjal, il posa son regard et son jeu sur toutes les musiques des grands compositeurs interprétées durant ces trois jours, notamment les deux concertos de Mozart pour piano et orchestre, le quintette à cordes n°2 de Brahms et les trois préludes de Debussy.
Des rencontres musicales achevées par une soirée jazz, en compagnie de Shai Maestro. Le pianiste de renommée mondiale se produit avec les plus grands jazzmen du moment. L’énoncé des œuvres et interprètes illustre qualité et virtuosité des programmes proposés à Jaugette, d’une année à l’autre. Brassens y prend naturellement toute sa place. Philippe Gitton
Sorti en salles le 24 août,Leila et ses frères est le troisième film de Saeed Roustaee. Tout à la fois saga familiale et portrait de la société iranienne contemporaine… En 2h40, le jeune cinéaste brosse une fresque vertigineuse inspirée de la réalité sociale de son pays. Un cinéma qui a du souffle.
Saeed Roustaee avait été remarqué en 2019 lors de la sortie de son deuxième film, La loi de Téhéran. Ce thriller nerveux plongeait le spectateur dans les bas-fonds de la société iranienne et dans les coulisses des services de police et de justice iraniens avec une énergie et un sens de la photographie saisissants.
Leila a la trentaine et porte à bout de bras ses parents et ses quatre frères. Frappée de plein fouet par la crise économique, la famille croule sous les dettes et encaisse les déconvenues des uns et des autres. Il y a différents profils : le sensible qui vient de se faire virer de l’usine de métallurgie mise à l’arrêt, le magouilleur candide qui va de combine foireuse en affaire bidon, le père de famille obèse qui n’arrive pas à subvenir aux besoins de sa famille nombreuse et le beau gosse, gentil mais sans cerveau. Pour les sauver du marasme, Leila voudrait acheter une boutique et lancer une friperie où ils travailleraient tous. Mais le patriarche a promis les 40 pièces d’or nécessaires à sa communauté afin d’en devenir le nouveau parrain, ce qui constituerait une reconnaissance sociale suprême. Entre poids des traditions culturelles et épanouissement individuel (ou simple pragmatisme économique), le scénario va emmener cette saga familiale dans une crise profonde, dont les ressorts s’avéreront plus complexes qu’une simple confrontation entre générations.
Crise économique et sociale
On se souvient de la spectaculaire scène d’ouverture de La loi de Téhéran : des milliers de drogués relégués dans de vastes terrains vagues et chassés par les forces de police. Ici, c’est la fermeture – manu militari – d’une usine de métallurgie par des forces de sécurité qui agit comme un uppercut. En quelques instants, le gigantesque monstre de fer se vide de ses petites mains dans un flux continu. Sous la menace de violences physiques, les ouvriers sont sommés de quitter les lieux. Pas de passage prévu par le bureau de la DRH, pas de licenciement en règle. Dehors, et basta.
Tout au long de son récit, Saeed Roustaee dépeint une société iranienne en proie à une grande violence économique. « [En Iran],on a pu observer lors des dernières décennies un développement d’une classe moyenne. Y compris dans des petites villes de province où les familles commençaient à atteindre un certain confort de vie (…), ce qui en a peu à peu fait le noyau dur de cette société, explique-t-il dans le dossier de presse du film. À partir de la présidence d’Ahmadinejad, cette structure a été totalement bouleversée. Cette classe moyenne a disparu au profit d’une fracture de plus en plus grande et d’un appauvrissement massif. À Téhéran, les gens qui vivaient dans des quartiers de moyenne gamme sont partis dans les périphéries, et, par effet mécanique, les gens très pauvres se sont retrouvés dans des endroits proches de bidonvilles. Seule une petite catégorie de personnes a réussi à s’enrichir ».
Les femmes, piliers sacrifiés
Leila est au cœur du titre, elle est aussi au centre du scénario. Ce personnage de femme, la trentaine, qui vit toujours chez ses parents et qui n’a d’autre vie que celle qu’elle met au service des siens, est à la fois un symbole de sacrifice et d’intelligence. Les comédiens sont remarquables, et Taraneh Alidoosti, qui incarne Leila, est époustouflante de vérité dans son rôle de sœur dévouée. Elle incarne la disponibilité, l’énergie, la sagacité. Au début du film, les scènes de l’usine qui se vide sont entrelardées avec celles où on voit Leila recevoir des ondes de choc à l’épaule. Dans l’intimité d’un cabinet de kinésithérapie, le réalisateur indique déjà qu’elle aussi a du plomb dans l’aile, à porter sur son dos le poids des siens.
Sans verser dans la caricature, le réalisateur charge parents et frères. Le père se comporte souvent comme un gamin, la mère se fait garante des traditions les plus patriarcales tandis que les frères, certes pas méchants, ne sont pas très futés non plus : une galerie de portraits attachante mais sombre. Action structurée par de nombreux rebondissements, récit tenu, personnages dessinés avec sensibilité, longs dialogues ciselés, sens des cadrages, plaisir d’une belle photographie… La réalisation de Saeed Roustaee est soignée, maitrisée, de bonne facture. Dominique Martinez
Du 26 au 31 août, à Cosne-sur-Loire (58), le Garage Théâtre propose la troisième édition de son festival d’été. Un lieu imaginé et conçu par le dramaturge Jean-Paul Wenzel et Lou, sa fille comédienne… Une décentralisation réussie en ce troisième millénaire et un souffle nouveau pour une programmation de haute volée.
Jean-Paul Wenzel n’est point homme à s’effondrer devant l’adversité ! Que la Drac Île-de-France lui coupe les subventions et l’envoie sur la voie de garage pour cause d’âge avancé ne suffit pas à l’intimider… Bien au contraire, jamais en panne d’imagination, avec le soutien de sa fille Lou et d’une bande de joyeux drilles, il retape « au prix de l’énergie de l’espoir, et de l’huile de coude généreusement dépensée » selon les propos du critique Jean-Pierre Léonardini, un asile abandonné pour voitures en panne : en 2020, les mécanos nouvelle génération inaugurent leur nouvelle résidence,le Garage Théâtre ! Loin des ors de la capitale, dans la Bourgogne profonde, à Cosne-sur-Loire, bourgade de 10 000 habitants et sous-préfecture de la Nièvre…
« J’avais envie de créer une nouvelle aventure de décentralisation », confie Jean-Paul Wenzel. « Grâce à Agnès Decoux, une amie de longue date qui habite Cosne, m’est venue l’idée de rechercher un lieu pour y fabriquer un abri théâtral et j’ai trouvé cet ancien garage automobile avec une maison attenante ».
Wenzel est connu comme le loup blanc dans le milieu théâtral. Comédien, metteur en scène et dramaturge, avec une bande d’allumés de son espèce, les inénarrables Olivier Perrier et Jean-Louis Hourdin, il co-dirige le Centre dramatique national des Fédérés à Montluçon durant près de deux décennies. Surtout, il est l’auteur d’une vingtaine de pièces, dont Loin d’Hagondange, un succès retentissant, traduite et représentée dans plus d’une vingtaine de pays, Grand prix de la critique en 1976. Loin de courir après les honneurs, l’homme de scène peut tout de même s’enorgueillir d’être deux fois couronné par la SACD, la Société des auteurs et compositeurs dramatiques : en cette année 2022 pour l’ensemble de son œuvre et quarante-cinq ans plus tôt, en tant que… jeune talent !
Depuis trois ans maintenant, le Garage Théâtre accueille donc à l’année des compagnies où le public est convié gratuitement à chaque représentation de sortie de résidence. À l’affiche également un printemps des écritures où, autour d’un atelier d’écriture ouvert aux habitants de la région, sont conviés des auteur(es) reconnus comme Michel Deutsch, Marie Ndiaye, Eugène Durif… Enfin, du 26 au 31/08, se tient le fameux festival organisé par la Louve, du nom de la compagnie de Lou Wenzel : au programme théâtre, musique et danse avec des spectacles ouverts à tous et de plus en plus plébiscités par le public.
« Cette nouvelle aventure de décentralisation est encourageante, elle promet un avenir joyeux », confie Jean-Paul Wenzel avec gourmandise. « Après la création du Centre dramatique de Montluçon et les Rencontres d’Hérisson (petit village de 700 habitants) dont j’ai partagé l’animation avec Olivier Perrier pendant 28 ans, ce désir de poursuivre un théâtre de proximité et d’exigence ouvert au plus grand nombre, tel le Théâtre du Peuple à Bussang, me tient toujours autant à cœur », avoue le dramaturge sans cesse à fouler les planches ! Qu’on se le dise : en novembre 2022, il squattera les Bouffes du Nord à Paris, lieu emblématique du regretté Peter Brook, dans Les couleurs de l’air du jeune auteur et metteur en scène Igor Mendjisky !
Confiant en l’avenir, Jean-Paul Wenzel l’affirme, persiste et signe, « le théâtre ne peut pas mourir » ! « J’ai fait toute ma carrière dans le théâtre public, je suis un enfant de la République ». Se désolant cependant qu’aujourd’hui « cette même République s’éloigne peu à peu de son rôle essentiel qui est de soutenir ce lien si précieux entre l’art et le peuple », élargissant son regard à tous les services publics en déshérence : éducation, hôpital, transports… « Un peuple sans éducation, sans culture, sans confrontation à l’art, est un grand danger pour la République », affirme-il avec force et moult convictions. Jean-Paul Wenzel ? Un grand homme des planches, un citoyen de haute stature. Yonnel Liégeois
Le Garage Théâtre, 235 rue des Frères-Gambon, 58200 Cosne-sur-Loire (Tél. : 03.86.28.21.93) le.garage.theatre@gmail.com
– Le 26/08 à 21h00 : « Le trouble fête », (cie La Louve). Scénario et mise en scène : Vivianne Théophilidés. Jeu : Lou Wenzel
– Le 27/08 à 20h30 : « Léo 38 ». Chant : Monique Brun. « C’est bouleversant, sans rien que l’amour le plus franc », Jean-Pierre Léonardini
– Le 28/08 à 19h00 : « Profession prophétesse » ou la prophétie dans mon boudoir. Adaptation et jeu : Valérie Schwarcz et Karine Dumont. Une production du Théâtre des Ilets, CDN de Montluçon, et du Théâtre des Lucioles, avec le soutien des Plateaux sauvages.
– Le 29/08 à 21h00 : « LUX » (cie Yma) : Qu’avons-nous fait des étoiles ? Conception- Chorégraphie : Chloé Hernandez. Interprétation-chorégraphie : Juliette Bolzer. Création vidéo-chorégraphie : Orin Camus. Création Lumière-régie générale : Sylvie Debare. Création Musicale : Fred Malle. Texte additionnel : Fabrice Caravaca
– Le 30/08 à 21H00 : « Colère Noire », de Brigitte Fontaine (texte édité aux éditions Les belles lettres/Archimbaud). Adaptation, mise en scène et jeu : Gabriel Dufay. Musique : Alice Picaud. Lumière : Juliette Oger-Lion. Régie son/vidéo : Anais Georgel
– Le 31/08 à 19h00 :Surprise avec Gilles David, de la Comédie Française. À21h00 :Close UP, de Koffi Kwahulé. Jeu : Denis Lavant. Saxophone : Camille Secheppet
« Écrire le théâtre d’aujourd’hui », telle est la devise de la Mousson d’été qui, du 23 au 29/08, se déroule en l’abbaye des Prémontrés à Pont-à-Mousson (54). Sous la direction artistique de Véronique Bellegarde, un festival original avec moult pépites à l’affiche.
En août 2020, la Mousson d’été, l’instigatrice de ces fameuses « rencontres théâtrales internationales », célébrait son 25ème anniversaire ! Au fil du temps, la manifestation s’est imposée comme le rendez-vous incontournable des nouvelles écritures du théâtre. Dans un contexte encore bien particulier pour cette nouvelle édition qui, jusqu’au 29 août, se déroule au cœur d’une crise sanitaire et climatique, sociale et internationale, durable… La mort au tournant, mais aussi la rage de vivre et de changer ce monde d’avant qui a fait son temps.
« C’est en 1995 que germa dans l’esprit de Michel Didym l’idée de créer en Lorraine une manifestation dont l’objet serait moins le spectacle à proprement parler, à l’instar d’autres festivals d’été, que l’exploration, passionnée mais sérieuse, de la production des auteurs du théâtre contemporain », rappelle l’historique de l’événement. « Pendant une semaine, à la fin du mois d’août, des textes inédits y seraient présentés sous des formes souples et légères : lectures, mises en espace, cabaret… ».
Pari osé, pari gagné ! Cette année encore, entreuniversité d’été et mises en espace-lectures programmées, la Mousson propose une suite de temps forts exceptionnels où le public, en toute convivialité, dialogue avec auteurs et metteurs en scène. Avec à la clef moult textes à découvrir, français et étrangers, à l’affiche demain sur les scènes européennes, servis par des interprètes de qualité et en présence d’auteurs aux diverses nationalités : l’ukrainien Serhiy Jadan, la roumaine Elise Wilk, l’australien Kendall Feaver, la française Mathilde Souchaud, l’italien Oscar De Summa, la suédoise Sara Stridsberg, l’espagnolJosep Maria Miró…
Spectateur néophyte ou averti, chacun est le bienvenu : de l’art à portée de tous dans une authentique ambiance de partage et de dialogue. Venez, venez donc à la Mousson d’été, dans le fabuleux décor de l’abbaye des Prémontrés ! Une semaine durant, elle vous donnera des nouvelles du théâtre du monde. Yonnel Liégeois, photos Boris Didym
DU GRAND ART AU CŒUR DE L’ÉTÉ…
Dans ces temps où l’Histoire semble basculer, des courants contraires nous secouent en tous sens avec le retour de vieux démons, de la barbarie. Mais apparaissent aussi des prises de conscience altruistes et responsables. Cette nouvelle Mousson est toute à l’écoute des bruissements de l’autre, de sa sensibilité et de sa différence. Comment se projeter encore, se réinventer devant les violences et les bouleversements qui embrasent le monde, comment recréer du lien là où il manque cruellement, de la parole là où elle est déchue, comment opposer quelque chose à la destruction ?
Les arts, la culture et l’éducation nous aident à nous repenser, à repenser l’altérité. Ils sont essentiels, ils nous offrent la possibilité de croire et d’imaginer d’autres histoires que celles qui nous sont imposées. Elles pourront modifier le réel à leur tour. Grâce à l’art, on peut se sentir citoyen.ne du monde au-delà des conflits et des frontières. Les auteur.rice.s et leurs traducteur.rice.s nous transmettent des joyaux inconnus jusqu’alors. Par la beauté du langage, ces fictions nous font voyager librement.
A travers ses choix de textes de toutes natures, la programmation, internationale, interroge les valeurs éthiques de la démocratie en Europe. Elle interroge aussi le couple, la famille, le bonheur, la place de la femme dans la société dont les modèles se déplacent, ici et ailleurs. Je vous invite à partager la joie et l’émoi d’entendre des paroles qui prennent corps pour la première fois. C’est ainsi qu’elles trouvent tout leur sens. Il nous revient d’écrire de nouvelles pages. VéroniqueBellegarde
Du 21 au 25 août, à Vassivière (23), le festival Paroles de conteurs accueille Armelle et Peppo. La conteuse et le musicien y font escale pour narrer l’incroyable épopée tzigane. Un récit de cinq heures décliné en autant d’épisodes.
Durant cinq jours, Armelle la conteuse Rom et Peppo le musicien voyageur font escale à Vassivière, au festival Paroles de conteurs pour y narrer l’épopée tzigane. Un récit présenté en cinq fois une heure. L’ambition est grande, à la mesure de l’amour qu’Armelle et Peppo portent à leur peuple. Il faut, à n’en pas douter, une sacrée dose de passion pour décider de relater de la sorte cette histoire. Entre mythes, légendes et réalité, l’histoire des tziganes et de leur trajectoire à travers les âges : nomades de tous temps, victimes de persécutions, souffrant souvent encore aujourd’hui d’une mauvaise réputation… « Descendants des Dieux, nous, les tziganes, avons fait le tour de la Terre. Nous avons traversé les guerres et nous sommes toujours là », clament-ils.
C’est par le conte que le couple de saltimbanques transmet la mémoire : une expression artistique par nature porteuse de rêve, d’évasion et d’imaginaire, qui donne à voir et à comprendre la tradition tzigane. Bien plus encore, il interpelle chaque individu parce qu’il touche à une dimension universelle. « Depuis la nuit des temps, les hommes ont migré et nous sommes toutes et tous le produit de ces voyages ». Le rappel n’est pas superflu. Il éclaire sur la manière dont s’est construite la civilisation humaine et invite à remettre à leur juste place ces familles qui mènent leur vie au rythme de leur déplacement.
Armelle et Peppo sont de ceux-là. Ils bougent pour mieux se raconter. En couple sur scène comme à la ville, la construction de leurs spectacles résulte d’un échange permanent, issu de leur complicité au quotidien. « Nous nous accordons sur la ligne directrice de nos spectacles, puis plus en détail. Progressivement, nous faisons nôtre le déroulement d’un récit, très peu écrit. Et puis, nous laissons une part importante à l’improvisation », explique Armelle. Musique et parole s’inspirent mutuellement pour narrer leurs histoires servies par la poésie et l’humour. Qui parlent de la vie des hommes et des rapports tissés entre eux, mêlant sens du partage et de l’amour mais aussi de la défiance.
Le voyage en roulotte, pour Armelle et Peppo ? Bien plus qu’un mode de transport, un mode de vie… Durant des années, ils ont sillonné la France et l’Europe en roulotte (une, puis deux avec la venue des enfants), présentant leurs spectacles au hasard de leurs rencontres : écoles, médiathèques, maisons de quartiers, lieux associatifs… Jusqu’à ce jour d’été 2007 où ils firent halte au festival de Vassivière, une journée qui changea leur existence ! Les contacts pris après leur prestation débouchèrent sur des contrats pour des horizons plus lointains. « Les avions et les trains ont remplacé les roulottes », souligne Peppo, le sourire aux lèvres. À la rencontre de nouveaux publics, ceux d’Outre-Mer (Guyane et Nouvelle-Calédonie) et de pays africains francophones comme le Burkina Faso mais aussi ceux de Grèce, du Liban et d’Angleterre. Philippe Gitton