À la veille du printemps tourangeau, « Viva il cinema ! » offre un panorama de la production cinématographique italienne. Du 14 au 18 mars à Tours, la cinquième édition d’un festival atypique.
La Touraine ne fut pas au XXème siècle une région de forte immigration ouvrière italienne. Contrairement à la Lorraine, où fut créé il y a 40 ans le Festival du film italien de Villerupt… Outre un renfort de main d’œuvre pour le bâtiment, il s’est agi plutôt, dit-on, d’une immigration estudiantine parfois suivie d’une intégration très complète : en témoigne l’émouvante histoire de la jeune réalisatrice Elisa Zampagni qui, tombée amoureuse, n’est jamais repartie ! Joua également un fort attrait des habitants pour la langue de Dante et la culture cinématographique transalpine, largement relayé par les professeurs de lycée et d’université. Notamment Louis d’Orazio, ancien professeur de cinéma au Lycée Balzac, qui organisa avec l’association Dante Alighieri des cours avec projection, en collaboration avec la cinémathèque Henri Langlois dirigée par Agnès Torrens. Le très attractif Centre d’Études sur la Renaissance attira quant à lui de nombreux enseignants et chercheurs italiens qui tissèrent des liens avec la région. Grâce à cette convergence des énergies et à l’appui éclairé de Jean Gili, créateur du Festival d’Annecy, une première édition du Festival « Viva il cinema ! » vit le jour en 2014 réunissant 2300 spectateurs. En 2017, ils furent
près de 7000, l’édition 2018 devrait voir ce nombre s’accroitre encore.
Au programme, des films récents non distribués en France, des hommages à des grandes figures du cinéma italien (les Frères Taviani, Gianni Amélio et Stefania Sandrelli), des invités (acteurs et réalisateurs) et bien sûr la sélection des films en compétition… À l’affiche, parmi les cinq films en compétition, « Il padre d’Italia » en présence de son réalisateur Fabio Mollo qui propose un joli film miroir de notre époque : une sorte de road-moovie social et sentimental où le jeune Paolo, trentenaire un peu immature et très affecté par la rupture avec son compagnon, prendra sous son aile une jeune femme enceinte qui lui demande de l’aide. Le voyage plein de péripéties à travers l’Italie le transformera en lui forgeant le caractère. L’interprétation de Luca Marinelli est d’une grande justesse. Le film a d’ailleurs séduit à Villerupt où il obtint en
novembre 2017 le prix du jury et du jury jeune.
Hors compétition, on notera la prégnance d’une thématique dans nombre de films : les relations intergénérationnelles, pas seulement au sein de la famille. Elles sont traitées avec la « patte italienne », à savoir un mélange subtil de tendresse, d’humour et de dérision. Dans « Lasciati andare (Laisse-toi aller !) », une comédie vitaminée de Francesco Amato, Toni Servillo prête son talent à un vieux psychanalyste aigri et égocentrique au bord de la dépression qui se voit incité à faire du sport après un pépin de santé. Ne s’imaginant pas confronté en salle de sport à de jeunes éphèbes musclés, il prend un coach personnel. En l’occurrence, une jeune espagnole très exubérante mais peu claire dans sa tête qu’il ne supporte pas au début. Finalement l’un avec la tête, l’autre avec le corps, ils se remettront sur pied mutuellement. Avec « Tutto quello che vuoi (Tout ce que tu voudras) », le réalisateur Francesco Bruni aborde un sujet qui a touché sa famille : la maladie d’Alzheimer. Entre un vieux poète atteint de la maladie et un jeune homme désœuvré, un transfert s’opérera : énergie et vitalité d’un côté, connaissances et
transmission de l’autre, améliorant les perspectives de vie de chacun. Un film tendre et touchant sur un sujet délicat.
Gianni Amelio est l’un des réalisateurs à l’origine du renouveau du cinéma italien dès les années 7O-80. Il n’a cessé, depuis, de proposer des œuvres majeures sur des sujets sociétaux et parfois politiques. On lui doit notamment « Porte aperte » et « L’America ». Le festival tourangeau nous propose son adaptation du roman posthume d’Albert Camus, « Le premier homme » avec Jacques Gamblin, et un film plus intimiste « La tenerezza (La tendresse) » dans lequel Lorenzo, homme mûr méfiant et introverti, parvient à nouer avec un jeune couple de voisins des relations chaleureuses qu’il n’a pas avec ses propres enfants avec lesquels il est en conflit. La tonalité du film est pleinement dans le titre et l’on retrouve la sensibilité et la subtilité de ce talentueux réalisateur. Dans « La vita in commune », Edoardo Winspeare propose une comédie loufoque et grinçante sur un sujet sérieux : Filippo Pisanelli est le maire désabusé d’une commune au nom déprimant (Disperata…!). Passionné de littérature et de poésie, il donne des cours en prison. Il y fera une rencontre qui, contre toute attente, l’aidera à lutter contre
les tentatives de bétonnage des côtes magnifiques de sa région, le Salento.
À l’affiche également, le dernier film des Frères Taviani, « Una questione privata (Une affaire personnelle) », avec le plaisir de revoir « Good Morning Babylonia » et surtout leur inoubliable « Notte di San Lorenzo »… Projections en présence de Paolo Taviani et de son épouse, la costumière Lina Nerli qui a travaillé pour Francesco Rosi, Bernardo Bertolucci, Marco Bellocchio et Marco Ferreri. Elle a été récompensée par le « David di Donatello » des meilleurs costumes, l’équivalent de notre César français, pour « Habemus Papam » de Nanni Moretti. Parmi les films documentaires proposés, notons celui du collectif Sikozel consacré à « Ernest Pignon-Ernest et la figure de Pasolini » dans lequel l’artiste-plasticien fait participer les habitants d’Ostie, Matera et Naples à un travail de mémoire collective.
Dans ce programme très varié, chacun fera son choix. « Viva il cinema ! », encore jeune festival consacré au septième art transalpin, s’imposera sans nul doute dans les prochaines années. Pour l’heure, il est l’occasion, ludique et printanière, d’une originale balade culturelle au cœur de la Touraine. Chantal Langeard
À noter encore :
Dans le cadre du Printemps des Poètes, du 15 au 17/03 se déroule à Bezons (95) la septième édition du Festival Ciné Poème ! Trois jours durant, Poésie et Cinéma sont mis à l’honneur à travers une programmation riche, variée et accessible pour tous les âges. Le festival ouvrira avec Credo, une création de Tchéky Karyo, Zéno Bianu et Jean-Michel Roux. En marge des projections, les Prix Laurent Terzieff, Prix de la Jeunesse et Prix du Public seront décernés par un jury présidé par Marie-Christine Barrault.
Pour cette édition 2018, en hommage à Jackie Chérin, homme de culture, militant syndical et politique disparu en juin 2017, le Prix du public devient le Prix du public Jackie-Chérin. « C’est à cet ami que nous devons l’existence de Ciné Poème à Bezons. En tant que directeur du Printemps des Poètes, quand je lui ai confié mon rêve de créer un festival de courts métrages en lien avec la poésie », confie Jean-Pierre Siméon, « parce que je le savais l’esprit ouvert et si engagé dans la cause de l’art pour tous, Jackie immédiatement attentif a entrepris de persuader Dominique Lesparre, le maire de Bezons, du bien-fondé de cette aventure ». Et de poursuivre : « Il est certain que c’est grâce à des personnes comme lui, à l’engagement résolu, réfléchi et généreux, que l’on peut espérer en une politique de la culture qui ne soit pas que déclaration d’intention mais offre en actes et au risque de déplaire la chance d’un progrès collectif des consciences nourri de l’apport de l’art ».
Un festival de courts métrages vraiment atypique qui mêle et unit avec bonheur stylo et caméra, poésie et cinéma ! Yonnel Liégeois