Histoires d’ici et d’ailleurs, chapitre 2

C’est sous le signe des combats et des destinées, souvent tragiques, que s’est déroulée la rencontre littéraire du club de lecture de la médiathèque de Mézières (36). Bande dessinée, document, roman ou polar : il y en a pour tous les goûts ! Philippe Gitton

Les fossoyeurs, de Victor Castanet (éd. Fayard, 400 p., Prix Albert Londres 2022, 22€90)

« L’auteur est quelqu’un de courageux. Il a subi des pressions. Une proposition de quinze millions d’euros lui a été faite pour ne pas sortir ce livre », précise Yvette

Après trois ans d’investigations, Victor Castanet livre une plongée inquiétante dans les secrets du groupe Orpéa, leader mondial des Ehpad et des cliniques. Truffé de révélations spectaculaires, ce récit haletant et émouvant met au jour de multiples dérives, bien loin du dévouement des équipes d’aidants et de soignants, majoritairement attachées au soutien des plus fragiles. Personnes âgées maltraitées, salariés malmenés, acrobaties comptables, argent public dilapidé… Nous sommes tous concernés.

Trois ans d’investigations, 250 témoins, le courage d’une poignée de lanceurs d’alerte, des dizaines de documents explosifs, plusieurs personnalités impliquées… Victor Castanet est journaliste d’investigation indépendant. Durant trois ans, il a résisté à toutes les pressions pour livrer ce document éprouvant, tirant peu à peu les ficelles d’une incroyable enquête. Au nom de son grand-père.

Une femme, d’Annie Ernaux (éd. Gallimard, 112 p., 7€50)

« Un texte fort qui retrace la destinée d’une femme et traite de la complexité des sentiments », estime Philippe

Après avoir écrit sur la mort de son père dans La place, Annie Ernaux récidive avec la perte de sa mère – Une femme. Parler de la femme de son imaginaire, mais aussi de la femme réelle, celle qui a existé en dehors d’elle, mettre en mots le portrait d’une femme, comme pour « mettre au monde sa mère ». Dessiner son parcours, son enfance en Normandie, son milieu modeste, ouvrier, la volonté de s’élever, d’être commerçante, indispensable pour les autres, mais être au-dessus. Pousser sa fille à faire des études, à réussir, à s’en sortir et basculer dans le monde bourgeois, d’où vicieusement la mère se sentira exclue, flouée, déçue… Le portrait qu’Annie Ernaux fait de sa mère est écrit au plus juste, sans tendance lacrymale, contrairement à La place qui m’avait davantage touché.

Une femme est aussi tendre et attendrissant, toutefois la maladie de la mère laisse une traînée presque amère. Cette femme forte et lumineuse devenue démente, dit-elle… Dans un autre livre, Je ne suis pas sortie de ma nuit, l’auteur s’étend plus à ce sujet. Il y a cependant de très beaux passages sur cette maman, quittée la veille devant Jacques Martin pour apprendre sa mort le lendemain à dix heures. La honte, la colère, le ras-le-bol, la culpabilité. C’est une petite fille qui parle aujourd’hui, qui se sent seule et abandonnée, orpheline. Aussi ce livre est une très belle déclaration d’amour, pleine de délicatesse et d’acuité. « Il fallait que ma mère, née dans un milieu dominé, dont elle a voulu sortir, devienne histoire pour que je me sente moins seule et factice dans le monde dominant des mots et des idées où, selon son désir, je suis passée ». Juste monnaie de la pièce…

L’Anglais qui voulait nettoyer la France, d’Edmund Platt et Natacha Neveu (éd. Librinova, 313 p., 19€90)

« L’enthousiasme de cet anglais est communicatif et responsabilisant. On ne regarde plus les déchets de la même façon après avoir lu ce livre », concède Philippe

En 2017, Edmund Platt, alias l’Escargot Anglais, s’est lancé dans un tour de France de 8. 000 kilomètres en auto-stop pour ramasser les déchets qu’un Français sur trois jette chaque jour de sa voiture. Déterminé à dénoncer haut et fort le problème des déchets et son impact désastreux sur la planète, tout comme celui du plastique qui étouffe nos océans et notre société de consommation défaillante, Eddie délivre un message honnête, juste, extrêmement puissant et plein de vérités qui dérangent. Très attendu par les médias et les fans, son premier livre détaille l’essentiel de son périple sur les routes du pays des cuisses de grenouilles et de l’apéro.

Seul avec son sac à dos, sa pince à déchets et son insatiable soif de bière, l’Escargot Anglais a voyagé pendant trois mois autour de l’Hexagone. Son récit chamboulera votre manière de voir la vie, et peut-être même vos priorités. Le temps, ce n’est pas de l’argent. C’est bien plus précieux que ça, bordel de merde ! Ce livre est une aventure humaine, une montagne russe parsemée de rebondissements auxquels n’importe qui peut s’identifier. Riche en spontanéité, amusant et révélateur, L’Anglais qui voulait nettoyer la France est la gifle et le coup de fouet ultimes dont nous avons tous besoin.

Impact, d’Olivier Norek (éd. Pockett, 312 p., 8€)

Martine souligne l’efficacité du genre : un policier pour dénoncer les problèmes environnementaux

Ce n’est pas vraiment une dystopie, ni un « romanquête », mais un peu les deux à la fois. Fondé sur un impressionnant travail de documentation, Impact, le sixième roman d’Olivier Norek, recense et accole toutes les manifestations du dérèglement climatique de la dernière décennie pour imaginer une France en pleine crise, à l’aube de l’élection présidentielle de 2022. Virgil Solal, soldat des forces spéciales, sait à quel point ce monde (pré) apocalyptique peut être dangereux. Sa fille est mort-née à cause de la pollution atmosphérique. Il décide donc de faire payer ceux qu’il tient pour responsables : les grands ­patrons, les financiers, les politiques. Il devient alors un écoterroriste à la tête de Greenwar (sorte de branche armée de Greenpeace) dont la population soutient l’action.

Capitaine de la police judiciaire pendant dix-huit ans, Olivier Norek est l’auteur de quatre polars – Code 93, Territoires, Surtensions et Surface -, qui ont reçu plusieurs prix littéraires prestigieux et ont été traduits dans de nombreux pays. Ce n’est pas pour rien que cet écrivain s’est lancé dans l’humanitaire avant de devenir policier. Régulièrement, il lui prend l’envie de s’attaquer à des problèmes sociaux, comme ce fut le cas dans Entre deux mondes, bouleversant roman salué par la critique. Avec Impact, il va plus loin : son enquête s’étend au monde entier et concerne notre survie.

Un long, si long après-midi, d’Inga Vesper (éd. La Martinière, 416 p., 22€90)

« Un beau roman, pour moi qui n’en lis pas beaucoup », précise Michel

Dans un quartier riche et ensoleillé de Los Angeles, tout semble parfait. Mais la perfection n’existe pas, et là où il y a soleil, il y a ombre. Secrets et tragédies se cachent à chaque coin de rue. Dans une veine qui rappelle « La Couleur des sentiments » ou « Desperate Housewives », Un long, si long après-midi est un premier roman époustouflant au cœur d’une Amérique asphyxiée par son sexisme et son racisme ordinaires. C’est l’été 1959, les pelouses bien taillées de Sunnylakes, en Californie, cuisent sous le soleil. Dans la chaleur étouffante d’une trop longue après-midi, Joyce, une mère de famille comme on en rencontre dans les belles histoires du rêve américain, s’ennuie. Ses enfants crient, son mari va bientôt rentrer.

Les minutes rampent comme des limaces. Ruby, la femme de ménage de Joyce, rejoint la maison où elle doit effectuer ses dernières heures de travail de la journée. Mais Joyce a disparu et ne subsiste plus dans la cuisine qu’une mince tâche de sang sur le sol. On suspecte un crime, la femme de ménage noire et célibataire est toujours la meilleure des suspectes. Le fusible à faire sauter pour éviter que n’explose le grand miroir des faux semblants. Si ce n’est que Ruby a décidé de se saisir de son propre sort. L’émancipation féminine et raciale n’est pas encore à la mode, mais elle est déterminée à faire entendre sa voix.

L’Odyssée d’Hakim, un roman graphique de Fabien Toulmé (éd. Delcourt, trois volumes. De 264 à 280 p. selon chaque tome, 24€95 chacun)

« La qualité de la plume et du trait, alliée à la beauté de la cause, hante les pages de ce superbe roman graphique », témoigne Albert

L’histoire vraie d’Hakim, un jeune Syrien qui a dû fuir son pays pour endosser l’appellation « réfugié ». Un témoignage puissant, touchant, sur ce que c’est d’être humain dans un monde qui oublie parfois de l’être. L’histoire vraie d’un homme qui a dû tout quitter : sa famille, ses amis, sa propre entreprise… parce que la guerre éclatait, parce qu’on l’avait torturé, parce que le pays voisin semblait pouvoir lui offrir un avenir et la sécurité. Un récit du réel, entre espoir et violence, qui raconte comment la guerre vous force à abandonner votre terre, ceux que vous aimez et fait de vous un réfugié.

L’odyssée d’Hakim (1), de la Syrie à la Turquie : Hakim, jeune Syrien, raconte les circonstances qui l’ont conduit à quitter les siens pendant la guerre en Syrie et à chercher refuge en Turquie.

L’odyssée d’Hakim (2), de la Turquie à la Grèce : En Turquie, Hakim et sa femme Najmeh, réfugiés syriens, ont un fils, Hadi. De nouvelles difficultés séparent la famille et Hakim se retrouve seul avec son enfant. Il décide de faire appel à des passeurs pour traverser la Méditerranée sur un canot de fortune.
L’odyssée d’Hakim (3), de la Macédoine à la France : Enfin arrivés en Europe sain et saufs, Hakim et son fils Hadi affrontent désormais le rejet et la xénophobie ambiante sur le chemin qui les mène à la France. Ils rencontrent aussi des inconnus qui leur viennent en aide.

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