Bussang, Cyrano à l’assaut

Jusqu’au 02/09, à Bussang (88), le Théâtre du Peuple met en scène pour la première fois Cyrano de Bergerac, la pièce d’Edmond Rostand. Portée par une magnifique troupe d’acteurs, cette tragédie romantique du XIXe siècle soulève émotion et enthousiasme.

Les étés se suivent et ne se ressemblent pas. Soleil radieux l’an dernier pour le Hamlet flamboyant de Simon Delétang, avec Loïc Cordery dans le rôle-titre, temps presque hivernal pour cette ouverture du théâtre vosgien avec Cyrano de Bergerac adapté et mis en scène par Katja Hunsinger et Rodolphe Dana, fondateurs de la Yanua Compagnie. Cela n’a pas empêché le public d’être au rendez-vous. Avec huit cents places réservées pour chacune des vingt-deux représentations, la pièce phare d’Edmond Rostand, l’une des plus populaires et les plus jouées du répertoire, confirme son pouvoir d’attraction. Elle y a trouvé sa place, tandis que la nouvelle directrice du Théâtre du Peuple, Julie Delille et première femme à diriger la vénérable institution, prendra ses fonctions en janvier.

Librement inspiré de la vie et de l’œuvre de l’écrivain libertin éponyme, Savinien de Cyrano de Bergerac, Rostand écrivit sa pièce entre 1896 et 1897, un an après la fondation par Maurice Pottecher du Théâtre du Peuple (1895), mais seul l’Aiglon y fut monté, bien plus tard, en 1994, par François Rancillac. Cette tragédie romantique avec son héros de cape et d’épée, au nez proéminent mais au cœur altruiste, avec sa foule de personnages – plus de quatre-vingts – se prête pourtant à merveille au lieu. Elle répond aussi à sa charte et à sa philosophie, qui exigent le mélange de comédiens professionnels et amateurs au plateau, distinguant toujours aujourd’hui « la pièce de l’après-midi », où les amateurs sont les plus nombreux, de « la pièce du soir », avec seulement des professionnels.

« C’est un roc ! C’est un pic ! C’est un cap ! Que dis-je, c’est un cap ? C’est une péninsule ! »

Pour Katja Hunsinger, qui y joua en tant que comédienne amateur il y a trente ans, puis avec Rodolphe Dana, en 2008, dans Hop là ! Fascinus, c’est la réalisation d’un rêve. Ils ont adapté ensemble la pièce fleuve en cinq actes, écrite en près de mille six cents vers, la ramenant à trois heures avec entracte en supprimant scènes et personnages sans rien enlever au rythme et à l’écriture de Rostand. C’est Rodolphe Dana qui interprète avec panache et émotion Cyrano et donne la pleine mesure de ses tourments. Amoureux depuis l’enfance de sa cousine Roxane, il n’a jamais osé déclarer ses sentiments par peur d’être rejeté à cause de ce nez dont il déclare : « C’est un roc ! C’est un pic ! C’est un cap ! Que dis-je, c’est un cap ? C’est une péninsule ! » Lorsqu’elle lui apprend qu’elle est éprise de l’un de ses hommes, Christian (Olivier Dote-Doevi), un cadet de Gascogne, il s’incline et ira même jusqu’à prêter sa voix et sa plume à son rival. Laurie Barthélémy interprète une Roxane complexe séduite par la beauté de Christian mais plus encore par la poésie et la fougue de Cyrano, qu’elle mettra plus de quatorze ans à découvrir. Antoine Kahan fait du comte de Guiche – qui convoite également Roxane – un antihéros. Tous les autres rôles ont été pris en charge par les comédiens amateurs… Ensemble, ils incarnent la rencontre entre une œuvre, un lieu, une équipe. Tous jouent collectif et font magnifiquement entendre un texte où les répliques fusent.

Barbara et Jean Ferrat viennent décaler le classique des alexandrins. La scénographie artisanale d’Adèle Collé et les costumes d’Irène Jolivard voilent et dévoilent les acteurs. La césure viendra juste après l’entracte, en deuxième partie. Envoyés à la guerre contre les Espagnols, Cyrano et ses hommes sont épuisés et affamés. Roxane, à cheval, a bravé le danger pour venir les rejoindre. L’ouverture du fond de scène tant attendue, qui tient les spectateurs en haleine, se donne dans toute sa beauté et son magnétisme. S’y joueront la mort de Christian puis celle de Cyrano. Du fond de la forêt vosgienne, nous parvient donc, forte et claire, la voix des comédiens : de chacun d’entre eux, aucun n’a de micro ! On est alors saisi par ce théâtre puissant et organique. Marina Da Silva, photos Cristophe Raynaud de Lage

Cyrano de Bergerac : jusqu’au 02/09, du jeudi au dimanche à 15H00. Théâtre du peuple, 40 rue du Théâtre, 88540 Bussang (Tél. : 03.29.61.50.48). Rens : info@theatredupeuple.com

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Classé dans Littérature, Rideau rouge

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