Jusqu’au 17/12, au théâtre de La Tempête (75), Margaux Eskenazi présente Gilles ou qu’est-ce qu’un samouraï ?. Un spectacle conçu à partir d’extraits de la conférence de Gilles Deleuze (1925-1995), intitulée « Qu’est-ce que l’acte de création ? ». Filmée, elle fut énoncée en 1987 devant les élèves de la Fémis, l’École nationale supérieure des métiers de l’image et du son.

On est heureux d’emblée qu’une jeune femme, Margaux Eskenazi, prenne de nos jours fait et cause pour celui qui a tellement concouru à créer des concepts tous azimuts, à ses yeux l’essentielle mission du philosophe. Le spectacle, Gilles ou qu’est-ce qu’un samouraï ?, est un parfait exercice d’admiration, au cours duquel on voit Margaux Eskenazi se mettre à l’école du bushido intellectuel de l’auteur de Logique du sens, entre autres courants traités qui lui valurent reconnaissance et contestation.

Lazare Herson-Macarel incarne le philosophe avec feu et nous, spectateurs, devenons pour une heure dix les étudiants de jadis. Ils découvraient notamment, grâce à lui, « l’image-mouvement » au vu d’extraits projetés du film d’Akira Kurosawa les Sept Samouraïs (1954), mis en perspective avec Shakespeare et Dostoïevski, dont le grand cinéaste nippon fut, en actes, l’analyste idéal. L’acteur bondit en scène, comme celui qu’il figure bondissait, de son propre aveu, dans les concepts, les affects et ce qu’il nommait les « percepts ». Cela s’inscrit sur un espace bifrontal avec, au milieu, comme un petit cirque assorti de quatre mâts mobiles. Le musicien Malik Soarès, en robe orange de moine shintoïste, ponctue l’action réflexive des percussions et du chant recto tono, qui maintient sans faillir la note grave.

Un vif plaisir d’intelligence en partage s’affirme chemin faisant, au fur et à mesure que se dévoile la maïeutique propre à Deleuze, et sa défense est illustration de l’art envisagé sous l’angle de la résistance résolue, jusque et y compris face à la mort, au lieu que la communication ne consiste qu’en la paresseuse répétition de mots d’ordre. La profération scandée de la Ballade des pendus, de François Villon, dans sa sublime violence médiévale à goût d’éternité, s’avère enfin tel l’exemple cardinal de cette leçon, qui semble toujours inaugurale d’un art poétique au plus haut prix. Gilles Deleuze aimait le théâtre, comme il chérissait toutes les manifestations artistiques aptes à contrebattre « la prétention de l’État à être l’image intériorisée d’un ordre du monde, et à enraciner l’homme ». Jean-Pierre Léonardini
Gilles ou qu’est-ce qu’un samouraï ?, de Margaux Eskenazi : Jusqu’au 17/12, au Théâtre de la Tempête. Les 26 et 27/01/24, au Théâtre de Châtillon. Le 03/05/24, au Théâtre Antoine-Vitez d’Ivry. Le texte de Gilles Deleuze est paru aux Éditions de Minuit, dans l’ouvrage Deux régimes de fous et autres textes.





