Chagall, le peintre de la liberté

Jusqu’en janvier 2024, à Roubaix (59), le musée La Piscine propose Le cri de liberté, Chagall politique. Le parcours d’un artiste au cœur des soubresauts de l’histoire du XXe siècle. Une spectaculaire exposition où dessins et peintures révèlent son idéalisme, sa foi inébranlable en l’harmonie et la paix universelle entre les hommes.

C’est la quatrième exposition que la Piscine de Roubaix consacre à Chagall. Cette fois, l’approche croise peinture, engagement artistique, histoire de l’art et Histoire pour présenter un « Chagall politique » à l’aune du parcours singulier de cet artiste. 140 œuvres sont mises en relation à partir d’un travail minutieux d’archives et de nouvelles traductions croisées pour saisir l’essence même de la réflexion de l’artiste sur son art, mesurer sa conscience politique et son humanisme constant tout au long de sa vie.

Né en 1887 à Vitebsk, autrefois dans l’Empire russe, désormais en Biélorussie, Marc Chagall traverse le XXe siècle fort de sa culture juive, russe et, plus tard, française. Le judaïsme familial de tradition hassidique, un courant rigoriste, prône une communion joyeuse avec Dieu. Chagall s’y réfère souvent, tout en instaurant un rapport libre avec la religion, sans dogmatisme, y puisant une spiritualité à la fois respectueuse et facétieuse où les souvenirs d’enfance, joyeux et colorés, s’invitent dans la plupart de ses tableaux. Chagall apprend son métier à l’académie des Beaux-Arts de Saint-Pétersbourg, où il croise l’enseignement de Léon Bakst, rendu célèbre à Paris pour ses décors et costumes des ballets russes de Diaghilev.

Une explosion de couleurs primaires

Paris, capitale des avant-gardes, l’attire. Il y séjourne une première fois au tout début du siècle dernier, se lie d’amitié avec Cendrars, Apollinaire, le couple Delaunay. Il ne cesse de faire des allers-retours entre la France et la Russie, s’imprégnant de tous les courants artistiques, du fauvisme au cubisme, fréquente assidûment le musée du Louvre. De retour en Russie, il va connaître la Première Guerre mondiale et la révolution bolchevique à laquelle il adhère, mais il s’éloigne très vite de ceux qui veulent imposer un nouvel académisme, aussi « révolutionnaire » soit-il. Retour à Paris, séjours à Berlin, Chagall ne cesse de peindre et sa peinture se distingue par cette explosion de couleurs primaires, de personnages fantaisistes, d’animaux familiers humanisés, de paysages aux perspectives renversées.

Ce « jeune homme joyeux et insouciant », comme il se définissait, peint le tragique, celui des pogroms, de l’exil des juifs d’Europe et la montée de l’antisémitisme dans l’entre-deux-guerres. Son Autoportrait aux sept doigts (1912) – clin d’œil au chandelier à sept branches ou à ce proverbe yiddish : celui qui a sept doigts est très habile – le met en scène, silhouette cubiste chic devant une toile en devenir où l’on devine son village natal avec fermière aérienne et vache et, dans un coin du tableau, Paris et sa tour Eiffel. Il parsème ses tableaux de mots écrits en yiddish, qu’il considère comme une langue vivante et révolutionnaire – le Juif en vert (1914) et le Juif rouge (1915) –, peint des décors pour le Théâtre juif de Moscou (1921).

Le marchand d’art et éditeur Vollard lui commande des gouaches et eaux-fortes pour illustrer les Fables de La Fontaine (1926), puis des illustrations pour la BibleAu-dessus de Vitebsk (1922) impressionne par sa composition, ses disproportions volontaires et ses a-plats de couleur : cet « Homme de l’air » symbolise à la fois le rêveur, le vagabond, la figure du juif errant, l’artiste lui-même. Sa silhouette sombre plane au-dessus d’une ville recouverte d’un manteau de neige. La douceur du paysage contraste avec le destin de celui toujours prêt à partir, son baluchon jeté sur l’épaule.

Une humanité en lévitation

Autre thème qui traverse l’œuvre de Chagall, le cirque. Ce motif y est récurrent sous les aspects féeriques, carnavalesques ou folkloriques, Chagall percevant la Révolution comme une fête joyeuse. Évidemment, cela ne sera pas du goût de certains commissaires politiques, qui verront dans ses peintures des images immorales. Cela n’empêchera pas Chagall de peindre les circassiens et animaux avec des palettes de couleurs primaires où le jaune soleil côtoie le rouge matissien et des bleus profonds. Entre le sacré et le profane, entre la tradition et l’avant-garde, l’artiste ne renoncera jamais aux couleurs, à la vie, à l’art.

Qu’il s’attaque à la Guerre (1943) ou, plus tard, à la Commedia dell’arte (1959), il peint une humanité en lévitation, des hommes et des femmes flottant au-dessus de la Terre, des animaux familiers et pourtant mystérieux. Il fut à la fois « prophète et témoin engagé de son temps » comme l’écrit Bruno Gaudichon, le directeur de la Piscine, qui nous convie, à travers cette exposition d’une très grande richesse, à une relecture sensible de l’œuvre et de l’engagement de l’artiste. « Le peintre assis devant sa toile, a-t-il jamais peint ce qu’il voit ? » écrivait Aragon, dans les Oiseaux déguisés, poème mis en musique et interprété par Jean Ferrat. Marie-José Sirach

Le cri de liberté, Chagall politique : Jusqu’au 07/01/24 (du mardi au jeudi 11h-18h, le vendredi 11h-20h, les samedi et dimanche 13h-18h) à La Piscine de Roubaix. Une exposition coproduite avec la Fundación MAPFRE (à Madrid, du 31/01 au 05/05/24) et le Musée National Marc Chagall (à Nice, du 01/06 au 16/09/24). Le catalogue est paru chez Gallimard (312 p., 35€). Le site officiel : marcchagall.com

Poster un commentaire

Classé dans Expos, Pages d'histoire

Laisser un commentaire