Extrême droite et roman noir

Avec la publication de son roman Menaces italiennes, l’écrivain et journaliste Jacques Moulins conclut une trilogie inaugurée en 2020 sur l’extrême droite en Europe. L’occasion pour l’auteur d’alerter sur le danger terroriste qu’elle représente.

Jean-Philippe Joseph – Votre trilogie est consacrée à l’extrême droite en Europe : ses réseaux, ses financements occultes, sa haine de l’étranger… Pour quelles raisons avez-vous choisi ce sujet ?

Jacques Moulins – Disons qu’il s’impose à moi, comme à tous. L’extrême droite progresse depuis des années, accède au pouvoir dans de nombreux pays. Ce n’est pas un phénomène passager, il est illusoire de penser qu’on peut la noyer dans des alliances, comme l’imaginait Konstantin von Neurath, ministre des Affaires étrangères de Franz von Papen, puis d’Adolph Hitler. Par mon travail dans une agence de presse qui couvre toute l’Europe, je rencontre des gens de milieux très différents. Des verrous ont clairement sauté. On entend des choses que l’on n’entendait pas avant. Quand je retourne à Marseille, peut-être la ville la plus cosmopolite en France, je suis sidéré par le racisme qui s’exprime.

J-P.J. – Sommes-nous confrontés, selon vous, à une résurgence des années 1930 ?

J.M. – L’extrême droite garde une stratégie de conquête par les urnes, avec les moyens qu’on lui connaît : la désignation d’un bouc émissaire – les juifs hier, les migrants aujourd’hui -, la désinformation, l’instrumentalisation des peurs, des colères, du ressentiment. La différence est qu’elle est désormais incarnée par des femmes : Giorgia Meloni, présidente du Conseil des ministres en Italie ; Alice Weidel, numéro 1 de l’AFD (parti politique allemande de la droite populiste, ndlr) ; Marine Le Pen en France, qui a plus ou moins réussi à gommer les aspects clivants de son père. Les choses peuvent aller vite. Regardez l’Italie : Meloni avait fait 26% au premier tour des élections de septembre 2022, la disparition de la droite absorbée par la Ligue et Forza Italia a fait le reste.

J-P.J. – Vous abordez aussi les liens avec les groupuscules de l’ultradroite, leurs méthodes basées sur le rançonnage numérique, la violence, le noyautage des groupes de supporteurs de foot…

J.M. – C’est une tradition en Italie : qu’il s’agisse de l’ultradroite, de la gauche, de l’extrême-gauche ou du centre, tous ont investi des groupes de tifosi (supporteurs italiens). Mais la violence est une composante forte de l’ultradroite. Ses membres sont très organisés, très présents dans les villes autrefois acquises à Mussolini, comme Bergame ou Gênes. Cette dernière compte deux clubs, dont l’un des groupes de supporteurs était tenu par Matteo Salvini, vice-président du Conseil des ministres et dirigeant de la Ligue (parti d’extrême droite italien, ex-Ligue du Nord).

J-P.J. – Cette nébuleuse s’appuie également sur les milieux intellectuels représentés dans votre livre par l’universitaire Pietro Ferreri, qui rêve d’un ordre nouveau…

J.M. – Une partie de l’intelligentsia italienne a toujours affiché sans complexe sa sympathie pour le Duce. Ces penseurs inspirent l’ensemble de l’extrême droite européenne.

J-P.J. – Le roman noir interroge souvent les dérèglements économiques et sociaux. Moins l’extrême droite…

J.M. – En effet ! Le genre parle d’individus, souvent marginalisés, moins d’organisations. C’est ce qui m’intéressait : créer par la littérature un imaginaire pour comprendre ce qui se passe.

J-P.J. – Y aura-t-il une suite à la trilogie ?

J.M. – Non, je ne voulais pas d’un personnage de flic récurrent. Derrière Deniz Salvère, le chef de la cellule antiterroriste, il y a une équipe. Des femmes, des hommes qui vont prendre vie. Propos recueillis par Jean-Philippe Joseph

Jacques Moulins est né à Montpellier en 1959. Entre 1975 et 1981, il poursuit des études d’histoire et de philosophie à la Sorbonne, qu’il achève avec un doctorat. De 81 à 86, il devient journaliste au quotidien régional La Marseillaise. En 1987, il confonde Naja, une agence de presse d’information générale dont il dirige la rédaction.

Il publie Le réveil de la bête en 2020, chez Gallimard, le premier volet de sa trilogie. Suit Retour à Berlin un an plus tard, puis le dernier opus, Menaces italiennes, en février 2023.

Poster un commentaire

Classé dans Documents, Littérature, Pages d'histoire

Laisser un commentaire