Judith Rosmair face au rideau !

Jusqu’au 21 janvier, au Théâtre de la Colline (75), Judith Rosmair propose Curtain Call ! (Tombée de rideau). Un spectacle où se mêlent fantasmes et réalité, mémoire et insomnie à la veille d’une première théâtrale où elle endosse le rôle d’Anna Karénine, l’héroïne de Tolstoï. De la crise de nerfs à la crise d’identité.

Demain est un grand jour ! Veille de première pour l’adaptation théâtrale du roman de Tolstoï, veille stressante pour celle qui endosse le rôle-titre, doit assumer le destin tragique d’Anna Karénine… Impossible de trouver le sommeil, difficile de mémoriser son texte, terribles doutes sur ses qualités d’interprétation ! Seule en scène, gisante dans la pénombre sur la table haute faisant office de couche, la comédienne égrène avec force quelques propos échevelés, appels angoissants à sa mère et délires mortifères de l’héroïne de papier. Côté cour, s’élèvent les notes discordantes d’un trombone. Images furtives et littéraires, erre en gare une femme désemparée : sons d’une loco vapeur, le train est annoncé, le suicide avancé… Lumières, Judith Rosmair se redresse, demain sur scène elle fera face à Vronski, son compagnon de jeu. Anna Karénine doit vivre, Anna Karénine vivra !

Tantôt frêle et désemparée, tantôt lucide et combative, l’auteure et interprète nous entraîne dans une hallucinante histoire entre fantasmes et réalité, revêtant avec conviction les divers habits de son « seule en scène » : la chapka d’Anna Karénine, le gilet élimé de sa mère disparue… Voix, musiques et chansons se mêlent en cette nuit de tous les dangers où se refuse le sommeil, où le corps flotte en semi inconscience et divague l’esprit entre souvenirs heureux à la lecture du roman de Tolstoï et dures contingences à l’apprentissage du texte. Le destin de la comédienne sera-t-il à l’identique de l’héroïne de Tolstoï, suicidée sous la plume du romancier ? Doit-elle poursuivre cette relation amoureuse avec son partenaire de scène interprétant Vronski, beau et con tout à la fois comme le chanterait Brel ? Que penser de sa propre mère autant aimée que détestée, soi-disant partie sans laisser d’adresse au temps d’avant, juste décédée d’une tumeur au cerveau ? Comment réagir à la découverte de ce journal intime dont elle entame la lecture en cette nuit cauchemardesque ? L’hier et l’aujourd’hui se brouillent et se télescopent, comment faire face ici et maintenant ?

Découverte en France dans Tous des oiseaux, la pièce de Wajdi Mouawad où elle interprétait le rôle de Norah, formée au Conservatoire de Hambourg et multi primée sur les scènes allemandes, Judith Rosmair déploie tout son talent en ce monologue aussi singulier qu’étrange. Une poignante plongée dans les tréfonds d’une conscience révoltée et malmenée par les soubresauts de l’existence, nuit blanche et sombre doute quand le rideau de scène se la joue frontière entre vie et mort. Lumineuse, virevoltante sur cet assemblage de tables qui lui sert d’estrade, colérique ou ingénue, espiègle ou désespérée, elle compose un subtil duo avec Johannes Lauer, l’émérite musicien qui scande la partition. Yonnel Liégeois

Curtain Call ! : Jusqu’au 21/01, du mercredi au samedi à 20h, le mardi à 19h et le dimanche à 16h. Spectacle en allemand surtitré en français. Théâtre de la Colline, 15 rue Malte Brun, 75020 Paris (Tél. : 01.44.62.52.52).

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