L’amour de l’art, ou l’art de détourner l’image

Jusqu’au 20/01 au Théâtre de la Bastille (Paris 11e) puis du 24 au 27/01 au 104 (Paris 19e), Stéphanie Aflalo et Antoine Thiollier proposent L’amour de l’art. Sous couvert d’une conférence sur l’art, le tandem facétieux s’amuse à balader le public d’un faux semblant à l’autre. Rires et interrogations sur la culture sont au rendez-vous.

On s’attend à du sérieux, avec ce titre emprunté à l’essai de Pierre Bourdieu et André Darbel sur les inégalités sociales de l’accession à l’art. D’autant que Stéphanie Aflalo inscrit ce spectacle dans un projet au long cours, Récréations philosophiques, qui entremêle théâtre et philosophie, réunissant ainsi les deux disciplines qu’elle a étudiées. Après Histoire de l’œil, adapté du roman de Georges Bataille, et Jusqu’à présent, personne n’a ouvert mon crâne pour voir s’il y avait un cerveau dedans, inspiré de la philosophie de Wittgenstein, la comédienne et metteuse en scène s’est associée à Antoine Thiollier pour créer en 2022 L’Amour de l’art, au Studio-Théâtre de Vitry.

Rien de philosophique, en apparence, chez ces deux médiateurs culturels un peu benêts qui se présentent maladroitement devant nous. L’une tirée à quatre épingles en tailleur rouge et escarpins façon années soixante, l’autre en tenue moins soignée. Ils nous font attendre sans raison puis, en guise de préambule, ils s’excusent d’éventuels dérapages dus à des « rétroversions » anatomiques ou des handicaps émotionnels. Syndromes qui affectent œil, bras, hanches, cerveau, continence urinaire, jusqu’à leurs prestations qui pourraient être « rétroversées « sous l’influence de l’observateur », à savoir le public.

Parodier les codes et détourner les images 

Après une trop longue entrée en matière, qui met cependant les spectateurs dans leur poche, Stéphanie Aflalo et Antoine Thiollier en viennent au fait. Ils se lancent, lasers en main, dans le décryptage de tableaux de maitres (Rembrandt, Chardin, Caravage…) et, faisant fi des références académiques, ils nous en donnent une lecture extravagante et anachronique, usant de digressions triviales pour illustrer leurs propos. Parmi les peintures, un bon nombre de Vanités, dont ils esquivent le message : memento mori, souviens-toi que tu es mortel. Ce défilé sinistre de crânes et d’ossements finit par déclencher une crise d’angoisse chez la conférencière… Effet comique garanti avec ce malin détournement d’images qui renvoie à la manipulation dont elles font l’objet, notamment sur les réseaux sociaux.

Ce n’était pas le but premier de cette réflexion sur l’art menée par Stéphanie Aflalo. Par ce simulacre de conférence qui s’appuie sur la cuistrerie langagière de certains guides souvent infantilisants, le spectacle se moque gentiment de la manière dont le musée, malgré une volonté́ d’inclusion, renforce par un discours « savant » un sentiment d’illégitimité chez les non initiés. « Ce qui m’intéressait, c’était de laisser de la place à des discours non contraints », dit la metteuse en scène, « et si les conventions du monde de l’art étaient ridicules ? ». Les deux compères tournent aussi en dérision leur propre aspect physique et vestimentaire, en particulier Stéphanie Aflalo qui se critique elle-même comme un tableau imparfait, avec un humour décapant. Elle nous rappelle les dérives d’un théâtre conceptuel en croquant un oignon : jusqu’où l’amour de l’art ne mène-t-il pas !

Nous ne verrons pas le dernier tableau à commenter. Les comédiens se contentent de nous le décrire, et petit à petit, s’élabore l’image d’une assemblée hétéroclite d’anonymes plus ou moins bien peints, éclairés ou flous… Scrutant la salle, ils nous renvoient l’image que les spectateurs offrent à leur vue… Les regardeurs regardés : belle rétroversion de focale ! Ce bel exercice de détournement, drôle et finement joué, se trouve parasité par les préliminaires laborieux et les commentaires racoleurs qui ramènent au jeu d’acteur. Dommage, car le rire est au rendez-vous et L’Amour de l’art renferme quelques piquantes pépites.  Et de quoi nous interroger sur le regard que nous portons et le discours que nous tenons sur la culture, notamment sur le théâtre. Mireille Davidovici

L’amour de l’art : Jusqu’au 20/01 au Théâtre de la Bastille (Paris 11e) puis du 24 au 27/01 au 104 (Paris 19e).

De L’amour de l’art à Notre vie dans l’art

Dans le cadre du Festival d’automne, Ariane Mnouchkine a confié les clefs du Théâtre du Soleil au dramaturge américain Richard Nelson. Qui propose jusqu’au 03/03, écriture et mise en scène, Notre vie dans l’art. Le sous-titre intégral de la pièce, interprétée par la troupe de la Cartoucherie ? Conversations entre acteurs du Théâtre d’Art de Moscou pendant leur tournée à Chicago, Illinois en 1923… Une journée de repos pour la troupe dirigée par l’emblématique et célèbre metteur en scène Constantin Stanislavski, l’occasion d’échanger pour les comédiens, entre une tasse de thé et deux verres de vodka, sur les bienfaits et aléas de ce cycle de représentations aux États-Unis ! Un spectacle donné en bi-frontal, qui autorise à jeter un œil sur l’assistance qui lui fait face… Et de repérer alors l’ennui, voire un certain malaise qui se propage à l’écoute d’échanges ni percutants ni convaincants, énoncés sans ferveur ni passion ! Du théâtre documentaire qui manque de puissance et de profondeur, alors qu’il y aurait tant à dire et à montrer sur Stanislavski, sur son parcours et son discours sur la place, l’enjeu et le jeu de l’acteur. Yonnel Liégeois

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