Steinlen, Montmartre et le peuple

Jusqu’au 11/02, à l’occasion du centenaire de sa mort, le Musée de Montmartre consacre une grande exposition à Théophile-Alexandre Steinlen. Personnage emblématique du Montmartre de la fin du XIXe siècle, un vibrant hommage à cet artiste inclassable et protéiforme, dessinateur-graveur-peintre-sculpteur, qui n’appartint qu’à une seule école : celle de la liberté.

Originaire de Lausanne (1859) en Suisse, Théophile-Alexandre Steinlen s’établit dès son arrivée en 1881 à Montmartre, qu’il habite et arpente sans relâche jusqu’à sa mort en 1923. Le peintre Adolphe Willette, avec qui il reste ami toute sa vie, lui fait découvrir les hauts-lieux du quartier, et notamment ses fameux cafés et cabarets. En signant l’affiche iconique La Tournée du Chat Noir, il est irrévocablement associé au Montmartre bohème et anarchiste de la fin du XIXème siècle, considéré comme l’un des les plus fidèles témoins de l’histoire et de l’atmosphère de la Butte. Porté par des idées de justice et d’égalité universelles, Steinlen rêve un monde meilleur et espère l’avènement d’une société nouvelle. Avec ferveur et éloquence, humour et gravité, ironie et tendresse, l’artiste n’a de cesse d’utiliser son crayon pour faire valoir la revendication politique et sociale de son temps. Son œuvre extrêmement prolifique et multiforme est engagée au service du peuple, son principal sujet : « Tout vient du peuple, tout sort du peuple et nous ne sommes que ses porte-voix », écrit-il.

Steinlen compte parmi les dessinateurs de presse les plus prolifiques de la fin du XIXe siècle. Dans le contexte de l’essor des périodiques illustrés entrainé par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, il gagne principalement sa vie comme illustrateur. Au cours de sa carrière, il exécute des dessins pour une vingtaine de revues françaises et internationales. Il laisse ainsi plusieurs milliers de dessins ; pour le seul Gil Blas illustré, entre 1891 et 1900, il en réalise 703. Il est le principal illustrateur du Mirliton, journal associé au cabaret fondé par Aristide Bruant. Entraîné dans les faubourgs par ce dernier, Steinlen met en scène le peuple des rues mais aussi la société de spectacles du XIXe siècle, sur un ton humoristique, ironique et parfois grave.

Dans le contexte des années 1890, des grands mouvements sociaux de la Troisième république, du scandale de Panama, de l’Affaire Dreyfus et de la montée en puissance des mouvements socialistes et anarchistes, Steinlen prend ses distances avec le Chat Noir. Il travaille avec des personnalités et organes de presse aux positions radicales, sans pour autant s’attacher clairement à un parti politique. Méfiant envers toutes les chapelles, Steinlen croit en la mission sociale et politique de l’art, comme voie et voix vers un monde meilleur. Tout au long de sa carrière, il s’engage au service du peuple. Son arme est son crayon : il l’utilise pour railler et dénoncer les pouvoirs politiques, religieux et bourgeois, considérés comme les tyrans modernes. À travers des œuvres allégoriques de la Révolution populaire – Le Cri du Peuple (1903) et Le Petit Sou (vers 1900) – ou des compositions naturalistes, Steinlen dénonce la misère sociale, les conditions de vie du petit peuple et toutes les formes d’oppression. Dans la lignée des artistes réalistes, tels que Daumier, Grandville ou Balzac, Steinlen réalise une véritable typologie des travailleurs. Paysans, blanchisseuses, porteuses de pain, terrassiers, charretiers, mineurs, trieuses de charbon… sont représentés avec vérité dans leur milieu de manière naturaliste et synthétique.

Marqué dès sa jeunesse par les idées de Zola, l’artiste se rend sur le terrain pour y prendre des notes et mieux saisir les physionomies, attitudes et habitudes des travailleurs dans leur milieu. Il visite ainsi les mines de Courrières en 1906, lors du drame qui conduit plus d’un millier de mineurs à la mort, pour observer les travailleurs. Il se fait le témoin de la vie populaire contemporaine. En 1902, Steinlen milite pour la constitution d’un syndicat des artistes peintres et dessinateurs dont il prononce le discours d’adhésion à la CGT en juillet 1905. En 1904, il adhère à la Société des dessinateurs et humoristes dont, en 1911, il est un des présidents d’honneur. En 1907, il figure parmi un comité constitué pour ériger une statue à Louise Michel. À 64 ans, le 14/12/1923, Théophile-Alexandre Steinlen décède à Paris d’une crise cardiaque. Propos croisés de Geneviève Rossillon (présidente du Musée de Montmartre), Fanny de Lépinau (directrice) et Leïla Jarbouai (commissaire de l’exposition)

Théophile-Alexandre Steinlen, l’exposition du centenaire : Jusqu’au 11/02, au Musée de Montmartre, 12 rue Cortot, 75018 Paris. Ouvert tous les jours, de 10h à 18h (Tél. : 01.49.25.89.39). Le catalogue de l’exposition (coéd. Musée de Montmartre et In fine, 176 p., 29€). L’artiste qui aimait les chats, l’histoire inspirante de Théophile-Alexandre Steinlen, un album de Susan S. Bernardo, illustrations de Courtenay Fletcher (éd. In fine, 32 p., 19€).

1 commentaire

Classé dans Documents, Expos, Pages d'histoire

Une réponse à “Steinlen, Montmartre et le peuple

  1. Pingback: [DERNIERS JOURS] d'une exposition à ne pas rater : direction le Musée de Montmartre ! - In Fine éditions d'art

Laisser un commentaire