Entrez ici, Missak et Mélinée !

Quelques semaines après l’adoption d’une loi stigmatisant immigration et immigrés, le 21 février, Missak et Mélinée Manouchian font leur entrée au Panthéon. Quand vingt-deux étrangers, fusillés, meurent pour la France, un événement d’une haute portée symbolique. Contre racisme et xénophobie

C’est en 1915 que se noue ce qui fera de Missak Manouchian l’un des héros de la Résistance française. Un fils de paysans arméniens d’Adiyaman, dans le sud de la Turquie. L’enfant de neuf ans est, avec son frère Karapet, l’un des seuls survivants d’une famille victime du massacre ordonné par les Jeunes-Turcs, au pouvoir à Istanbul. Recueillis par une famille kurde, les frères Manouchian sont pris en charge par la communauté arménienne, qui leur trouve un point de chute dans un orphelinat de Jounieh, dans un Liban sous mandat français. S’il y est formé au métier de menuisier, le jeune Missak voue une passion à la littérature qui se double d’un talent d’écriture.

La France, nation bienfaitrice

Il n’échappe pas à la culture française qui baigne le Liban de l’époque et lui fait apparaître la France comme une nation bienfaitrice. Au point qu’il passe par une filière clandestine qui lui permet de débarquer à Marseille en 1925. Il travaille quelques mois aux chantiers navals de La Seyne-sur-Mer (Var), avant de décider de gagner Paris, où il est embauché comme ouvrier tourneur dans les usines Citroën. Son frère meurt en 1927, ce qui accentuera son isolement. La crise économique du début des années 1930 le met au chômage. Il partage alors son temps entre les activités sportives et la littérature. On le retrouve bientôt parmi les fondateurs de la revue Tchank (L’effort), qui précède le lancement de Machagouyt (Culture) dans laquelle il publie, outre ses premiers écrits, des traductions en arménien d’Hugo, Verlaine et Baudelaire.

La manifestation d’extrême droite du 6 février 1934 marque un tournant dans sa vie. Sensibilisé aux relents xénophobes exprimés ce jour-là, il adhère – comme beaucoup d’immigrés – au PC-SFIC (futur PCF). On le retrouve rédacteur en chef de l’hebdomadaire communiste en langue arménienne Zangou (du nom d’un fleuve d’Arménie) édité sous les auspices du HOC, un comité de soutien à l’Arménie où il fait la connaissance de Mélinée, une secrétaire-dactylo qu’il épouse en 1936. Née dans une famille de fonctionnaires de l’Empire ottoman, arménienne d’origine, apatride comme Missak, Mélinée avait moins de trois ans lorsque ses parents ont été tués, victimes du génocide. Orpheline, elle a été recueillie avec sa sœur Armène par une mission protestante de Smyrne, puis déportée vers Thessalonique et placée dans un orphelinat de Corinthe. Comme une centaine de milliers d’Arméniens, Mélinée et sa sœur débarquent à Marseille en 1926, envoyées par le Comité américain du Secours arménien. Ayant repris ses études en 1929, elle s’installe à Paris où elle croise la route du futur Charles Aznavour. Elle adhère au PCF en 1934.

Arrêté le 16 novembre 1943, fusillé le 21 février 1944

La dissolution des organisations liées au PCF décrétée en 1939 mène à la première arrestation de Missak. Libéré, il est intégré à l’armée et envoyé dans une usine de la région de Rouen, jusqu’à son retour à Paris en 1940, dans la clandestinité. Arrêté une deuxième fois en 1941, il est interné au camp de Royallieu, à Compiègne, puis libéré, faute de charges. C’est en février 1943 que Missak Manouchian est rattaché, pour conduire la guérilla urbaine en France, aux FTP-MOI (Main-d’œuvre immigrée), mouvement lié à l’Internationale communiste fondé en 1942 – et au sein duquel Mélinée, entrée en résistance dès 1940, remplira la fonction de pourvoyeuse d’armes. À ce titre, il supervise le 28 septembre 1943 l’exécution du colonel SS Julius Ritter. Il est arrêté le 16 novembre 1943, torturé puis remis avec 22 de ses camarades aux autorités allemandes, qui organisent le 19 février 1944 un procès à grand spectacle dans les salons parisiens de l’hôtel Continental.

L’acte d’accusation reprend 92 attentats commis en 1943, imputés aux groupes FTP-MOI dont les effectifs dépassent à peine une soixantaine d’hommes et de femmes. Les condamnations à mort tombent le 20 février et sont exécutées le lendemain au Mont Valérien. Seule femme du groupe, déportée, Olga Bancic est guillotinée à Stuttgart le 10 mai 1944. Les murs de Paris se couvrent alors d’une « affiche rouge » de propagande sur laquelle figurent les portraits de dix condamnés : deux Hongrois, quatre Polonais, un Italien, un Français, un Espagnol et un « chef de bande » arménien. Mélinée décède le 6 décembre 1989 après avoir publié les poèmes de Missak à titre posthume. Historien et directeur de recherches au CNRS, Denis Peschanski juge la panthéonisation importante à double titre, « elle reconnaît le rôle joué dans la Résistance tant par les étrangers que par les communistes ». Alain Bradfer

Le 21/02, la cérémonie sera retransmise à la télévision. Enterré au cimetière parisien d’Ivry, le cercueil de Missak Manouchian remontera la rue Soufflot, couvert d’un drapeau français. Un parcours de lumière pavera le chemin du résistant jusqu’au pied du Panthéon où est prévu un spectacle son et lumières. À l’intérieur de l’édifice républicain, le chef de l’État prononcera l’oraison funèbre. Nikol Pachinian, premier ministre de l’Arménie, sera présent.

Le couple Manouchian rejoindra le caveau numéro XIII de la crypte du Panthéon. Une plaque sera apposée en l’honneur de leurs 22 autres camarades FTP-MOI, ainsi que de leur chef Joseph Epstein, pour marquer l’entrée symbolique du groupe dans le sanctuaire de la République. Trois vers d’Aragon et un extrait de la dernière missive de Missak Manouchian y seront également gravés.

Ce même jour, à 16h, CGT et PCF donnent rendez-vous à la population devant le 11 rue Plaisance (75014, Paris), dernier domicile de Missak Manouchian avant son arrestation. Avec les prises de parole de Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT et de Fabien Roussel, secrétaire national du PCF. Quant à la municipalité de Montreuil (93), elle organise le 24 février à 11 h, esplanade Missak Manouchian, une cérémonie d’hommage aux 22 fusillés.

Strophes pour se souvenir

En 1955, Louis Aragon publie, dans L’Humanité, Strophes pour se souvenir, un poème qui sera repris dans Le Roman inachevé. Sous le titre L’Affiche rouge, Léo Ferré le met en musique en 1961. Chanson reprise par Lény Escudero, Marc Ogeret, HK, Feu Chatterton...

Vous n’avez réclamé la gloire ni les larmes Ni l’orgue ni la prière aux agonisants

Onze ans déjà que cela passe vite onze ans Vous vous étiez servi simplement de vos armes

La mort n’éblouit pas les yeux des Partisans Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes

Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants L’affiche qui semblait une tache de sang

Parce qu’à prononcer vos noms sont difficiles Y cherchait un effet de peur sur les passants

Nul ne semblait vous voir français de préférence Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant

Mais à l’heure du couvre-feu des doigts errants Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE

Et les mornes matins en étaient différents Tout avait la couleur uniforme du givre

À la fin février pour vos derniers moments Et c’est alors que l’un de vous dit calmement

Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand

Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses Adieu la vie adieu la lumière et le vent

Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses

Quand tout sera fini plus tard en Erivan Un grand soleil d’hiver éclaire la colline

Que la nature est belle et que le cœur me fend La justice viendra sur nos pas triomphants

Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline Et je te dis de vivre et d’avoir un enfant

Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent Vingt et trois qui donnaient leur cœur avant le temps

Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir

Vingt et trois qui criaient la France en s’abattant. Louis Aragon

Spartaco Fontanot, Montreuillois fusillé aux côtés de Manouchian

Né en 1922 à Monfalcone en Italie, arrêté en 1943 à Montreuil (93) et fusillé le 21 février 1944 au Mont-Valérien. Trois dates qui résument la brève vie de Spartaco Fontanot.

Ses parents, militants antifascistes, quittent en 1924 une Italie devenue mussolinienne et passent par le département du Nord avant de s’installer à Nanterre pour y retrouver des cousins. Le jeune Spartaco passe son CAP de tourneur en nourrissant un rêve d’ingénieur qui butte sur les faibles moyens de la famille. Embauché comme tourneur par la maison Bellanger, à Courbevoie, il adhère à la CGT et sympathise avec le Parti communiste. Sans se départir de ses ambitions, il s’inscrit aux cours du soir et du dimanche des Arts et Métiers. En 1943, recherché par la police de Vichy (son père et sa sœur ont déjà été arrêtés), il se rapproche des Jeunesses communistes et rejoint les rangs des Francs-tireurs et partisans (FTP), avec Paul pour pseudonyme et 10166 pour numéro de matricule. Intégré au 3e détachement des FTP, il est de ceux qui, le 4 mai 1943, lancent des grenades sur le siège parisien du Fascio, le parti mussolinien. Cet acte perpétré, d’autres s’enchaînent.

Arrêté et torturé par la police française

Le 10 juillet 1943, il est du groupe qui lance des explosifs sur la Feldkommandantur de Choisy-le-Roi. Fin juillet, il participe à l’attentat manqué contre le général von Schaumburg, commandant du Gross Paris. Le 20 octobre, il envoie des grenades contre un restaurant de la rue Caumartin fréquenté par les Allemands. Les FTP ont fait de lui un tireur d’élite. Les inspecteurs de la brigade spéciale de la préfecture de police de Paris mettent un terme à ses activités en l’arrêtant à son domicile du boulevard Aristide-Briand, à Montreuil. Nom et adresse figuraient sur un document tombé aux mains de la police française. Torturé dans les locaux de la préfecture, jugé avec ses 22 camarades de la FTP-MOI, les 23 condamnés à mort. L’affiche rouge, placardée par les Allemands dans les rues de Paris, lui impute douze attentats. Spartaco Fontanot est fusillé, le 21 février 1944 au Mont-Valérien. A.B.

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