Armand Gatti, de la vie à l’utopie

Le 26/04, à Montreuil (93), la librairie Folies d’encre rend hommage à Armand Gatti en compagnie d’Yves Pages et de Stéphane Gatti, son fils. Il y a un siècle, en 1924, naissait le grand dramaturge libertaire. En cette date anniversaire, avec son ouvrage Armand Gatti Théâtre-Utopie, Olivier Neveux analyse les apports de son théâtre, un théâtre d’émancipation au service de tous. Pour l’occasion, Chantiers de culture remet en ligne l’article que lui consacrait notre consœur Amélie Meffre au lendemain de son décès, en avril 2017.

Ouvrir le théâtre d’Armand Gatti (1924-2017), en parcourir les enjeux et l’histoire ; vérifier combien cette œuvre a innové, ses audaces et ses essais ; mesurer à quel point elle est portée par la mémoire des vaincus et, défiant le temps, dédiée à ce que leur défaite ne soit que provisoire… Cette écriture nous offre, pour aujourd’hui, des inventions dramaturgiques d’importance (le « théâtre des possibles », le « théâtre quantique »), sa démesure, et la tentative de révolutionner les rapports qu’entretiennent la scène et la politique.
Une question particulière guide la lecture d’Armand Gatti Théâtre-Utopie : comment se fait-il que Gatti qui n’a cessé de stigmatiser les limites du théâtre, ses insuffisances et ses réductions, n’a pour autant jamais cessé d’y revenir ? Qu’a-t-il, malgré tout, trouvé dans cet art qui méritait qu’il y consacre sa vie entière ? C’est, alors, à la recherche des choses extraordinaires que Gatti a demandé au théâtre d’accomplir que se consacre ce livre : son utopie pour le théâtre qui fait de celui-ci, peut-être, le lieu enfin trouvé de l’utopie.

Armand Gatti, Théâtre-Utopie (Éditions Libertalia, 268 p., 10€) par Olivier Neveux, professeur d’histoire et d’esthétique du théâtre à l’École normale supérieure de Lyon.

Le 26 avril à 19h, à la librairie Folies d’encre, Stéphane Gatti et Yves Pages présentent La voix qui nous parle n’a pas besoin de visage. Un recueil de chroniques et reportages (1946-1957) signés d’Armand Gatti et Pierre Jouffroy, alors jeunes journalistes au quotidien Le Parisien Libéré (Gallimard, 368 p., 22€).

Ciao, signore Gatti !

Le 19 avril 2017 à 18h30, la Maison de la Parole Errante, sise à Montreuil (93), rend un ultime hommage à Armand Gatti. Âgé de 93 ans, le célèbre baroudeur et metteur en scène a tiré sa révérence le 6 avril après une vie pleine de combats et de créations. Maquisard, parachutiste, journaliste, dramaturge, cinéaste, écrivain, le bel insoumis nous manque déjà.

« Fils d’Auguste Rainier Gatti, éboueur-balayeur, et de Letizia Luzona, femme de ménage, immigrés italiens, Dante Gatti grandit entre le bidonville du Tonkin à Monaco et le quartier Saint-Joseph de Beausoleil, porté par le regard d’un père, militant anarchiste, […] transfigurant la moindre réalité d’apparence triviale en conte fantastique, […] et celui de sa mère l’incitant à investir le monde du langage, à se l’approprier afin de pouvoir échapper à la stricte reproduction d’un sort social tracé d’avance. » La notice biographique, rédigée par Gilda Bittoun pour le Maitron des anarchistes, le fameux dictionnaire du mouvement ouvrier, commence fort. Normal, sa vie se conjugue par tous les temps, avec le A en toile de fond.

A comme Armand ! Ses parents l’avaient appelé Dante mais ce n’était pas assez français pour la mairie de Monaco en 1924. A comme Anarchie ! Une affaire de famille : outre l’engagement de son père, il confiait au micro de France Culture en 2010 que sur quatre de ses oncles piémontais, partis à Chicago, deux furent pendus parce qu’anarchistes. « Chez nous, dans ma famille, les armes sont les livres, les combats sont les mots, la révolution, c’est les mots ! ». A comme Aventure ! Celle de la résistance à l’adolescence quand on lui donnait du Don Quichotte puis du « Donqui », celle du journaliste engagé que des lecteurs récalcitrants du Parisien tout juste « libéré » nommaient « l’ondoyant macaroni », celle encore du métier de dompteur qu’il apprend pour réaliser l’enquête « Envoyé spécial dans la cage aux fauves » qui lui vaut le prix Albert Londres en 1954. L’aventure, encore, comme grand reporter en Amérique latine, au Guatemala notamment, où il rencontre le futur Che Guevara…

Armand Gatti le libertaire fut poète, cinéaste, metteur en scène, écrivain, dramaturge. Le Crapaud-Buffle, sa première pièce montée en 1959 par Jean Vilar au Théâtre Récamier, la seconde salle du TNP, fait scandale. Transgressant les règles de l’écriture et de la mise en scène, elle est boudée par la critique. En décembre 1968, malgré la médiation d’André Malraux et dans une mise en scène de Gatti lui-même au T.N.P. de Chaillot, La passion du général Franco encore à l’heure des répétitions est interdite, retirée de l’affiche sur ordre du gouvernement français à la demande du gouvernement espagnol. Le théâtre qu’il porte, à travers plus de quarante textes (Le poisson noir, La vie imaginaire de l’éboueur Auguste G., Rosa Collective…), c’est celui de la Parole errante, selon l’image du « juif errant », confiera-t-il. La Parole errante, qui devient Centre international de création, ouvre ses portes en 1986 à Montreuil. Douze ans plus tard, missionnés par le ministère de la Culture, Armand Gatti et son équipe ouvrent la Maison de l’Arbre dans les anciens entrepôts du cinéaste Georges Méliès.

En mai 2016, le bail qui lie le conseil départemental de Seine-Saint-Denis à la Parole errante arrive à échéance, il n’est pas renouvelé dans les mêmes termes. Le risque qu’il soit fait table rase du travail de Gatti, du passé et du lieu, est important. Un collectif d’usagers (metteurs en scène, comédiens, libraires, écrivains, réalisateurs, musiciens, enseignants, éducateurs, militants) essaye d’imaginer un devenir pour le site. Il a écrit un projet nommé La Parole errante demain. Quoiqu’il advienne, laissons le dernier mot à son équipe : « De Gatti, Henri Michaux disait à leur première rencontre : « Depuis vingt ans parachutiste, mais d’où diable tombait-il ? ». La question reste ouverte. Gatti est à jamais dans l’espace utopique que ses mots ont déployé, celui où le communard Eugène Varlin croise Felipe l’Indien, où Rosa Luxembourg poursuit le dialogue avec les oiseaux de François d’Assise, où Antonio Gramsci fraternise avec Jean Cavaillès, Buenaventura Durruti avec Etty Hilsum, Auguste G. avec Nestor Makhno. Gatti, si on ne le sait déjà, on le saura bientôt, est l’un des plus grands poètes de notre temps et des autres ».

Armand Gatti, le rebelle aux racines italiennes, l’homme de parole, l’auteur de quelques cinquante pièces, s’en est donc allé. Une voix puissante s’est tue à jamais, passionnante et toujours passionnée. Faisant fi du temps qui ronronne à l’horloge du salon, laissant derrière elle le souvenir d’une vie aux moult rebondissements, créations et récits. Arrivederci l’ami, camarade Gatti ! Amélie Meffre

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