Jusqu’au 24/07, de la Vendée au Poitou-Charentes, Yannick Jaulin et les musiciens du Projet Saint-Rock battent la campagne. Un concert joué sur une scène mobile et repliable, remorquée par un tracteur. Un voyage au cœur de parlers oubliés.

Le comédien et conteur Yannick Jaulin revendique haut et fier ses origines poitevines et le parlanjhe dit aussi poitevin saintongeais,une langue d’oïl comme le gallo ou le picard. Lui qui n’a découvert le français qu’en arrivant à l’école se bat pour garder sa langue vivante, ainsi que tous les parlers en voie d’extinction sur ce territoire ou ailleurs. Ses créations s’inspirent librement de collecte des musiques, chants, danses et contes populaires. Dans Ma langue maternelle va mourir, il dénoue les fils de la domination que cache l’histoire des langues non nationales. Des parlers estampillés minoritaires et méprisés, des oralités menacées de mort annoncée. « Toute sa vie, mon grand-père a baissé sa casquette devant son maître, un noble loqueteux et dégénéré », dit-il. « Adolescent, je n’étais qu’un belou de la campagne, avec mes pat’d’éph et ma Flandria, sans aucune réflexion critique. On disait : « C’est d’même qu’ol aet », c’est comme ça ». La langue est donc devenue son cheval de bataille face aux langues dominantes qui, comme le soulignait Pierre Bourdieu, symbolisent un pouvoir qui ostracise l’autre. Il réinvente les classiques du conte populaire, interroge l’actualité et aborde des thèmes comme la mort (J’ai pas fermé l’œil de la nuit), les religions (Comment vider la mer avec une cuiller), la domination culturelle (Le Dodo), et plus récemment Ma langue maternelle va mourir et j’ai du mal à vous parler d’amour.
Une ferme pour jardiner la langue
Le Projet Saint Rock a choisi d’entamer La Tournée mondiale locale à Saint-Jean de Monts, dans le marais Nord Vendéen chez de vieux complices de l’artiste : l’association A.R.EX.C.PO, depuis les années soixante-dix s’est attelée à la collecte des langues et traditions du Marais Breton pour constituer un patrimoine vivant. Elle dispose aujourd’hui d’une bibliothèque de 12 000 ouvrages et 9 800 heures d’enregistrements sonores, 2400 heures de films ainsi que de fonds d’autres régions (Flandres françaises, Jura) … Un fond énorme qu’on peut trouver sur internet ! Yannick Jaulin a conduit son gros tracteur vert et déplié son plateau mobile à la Ferme du Vasais, rescapée du lotissement voisin. Les bâtiments ont été rénovés par des bénévoles, dans le cadre d’un partenariat avec la Mairie. Une belle écurie transformée en salle de conférence ou de spectacle, des granges et des annexes neuves permettent à A.R.EX.C.PO d’abriter ses collections et de mener ses activités : spectacles, cinéma, concerts, bals, initiation à la langue maraichine.

Comme à chaque étape de la tournée, une causerie autour de l’artiste précède le concert. Ici, elle est animée par les membres d’A.R.EX.C.PO. Il est question « la survie de la culture maraichine face à l’économie touristique ». Là où les « ébobés » demandent de la couleur locale, il faut proposer une culture vivante, loin de la caricature du paysan, dit Jean-Pierre Bertrand, l’un des fondateurs de l’association. « Pour qu’une culture existe sur un territoire, il faut de la création et non de la reproduction folklorique », acquiesce l’artiste : « I’est à vous de vous laisser crever ou pas ; si vous ne transmettez pas, vous êtes criminels, vous tuez votre langue ».

Il ne prêche ici que des convaincus : « Il faut que les patois portent sur des problèmes contemporains : foncier, luttes sociales, etc. », dit l’un d’eux. Car l’association s’acharne à créer des « cafés patois », proposer des comptines dans les écoles, à diffuser des jeux de la région, baptiser les rues de noms locaux, établir des lexiques… Depuis plusieurs années, Yannick Jaulin, lui, accompagne et parraine une nouvelle génération de conteurs et conteuses qui explorent d’autres formes de l’oralité. Il a, entre autres, fondé le Nombril du Monde, célèbre festival du conte de Pougne-Hérisson. Il se présente parfois comme faisant du « stand-up mythologique ». Un mélange de légèreté et d’érudition, de rappels historiques et d’anecdotes amusantes, hymne à la diversité et à la différence.
Une gueroée de musiciens et quelques parsouneïs
Jaulin et le Projet Saint Rock, sur leur tracteur-scène nous offrent un savoureux tour de chant d’une heure, qui oscille entre le folk, le rock, et le blues. Pascal Ferrari à la guitare électrique ou acoustique, Nicolas Meheust aux claviers et accordéon, ils développent un gros son qui laisse la part belle aux paroles de Yannick Jaulin, dans sa langue maternelle. En préambule, il se moque de ceux qui disent « Mais je ne vais rien comprendre !!! » et leur rétorque que personne ne se pose la moindre question en allant écouter du rock en anglais, langue mondiale et dominante.

Avec force diphtongues, il martèle les paroles répétitives de Faire la fête, réitérationsde sonorités d’un autre temps, à la façon du parler croquant des comédies de Molière. Après une transition à propos du SRAS (Syndrome Répétitif d’Attitude de Soumission), l’artiste se lance dans un Blues du beucheur de mougettes en hommage aux Maraichins de Vendée qui ont émigré dans les Deux-Sèvres pour travailler dans les plantations de haricots blancs. Les mots se glissent en douceur dans les mélodies, non sans rappeler les airs du répertoire québécois des années 70. Pas étonnant quand on sait que le saintongeais et le poitevin ont fortement influencé l’acadien, le cadien ou le québécois. « Le français de France se parle sphincter serré », plaisante Yannick Jaulin, « il n’est pas fait pour chanter le rock’n roll ! ». I’ame, (J’aime) passe en revue avec tendresse les petits et les grands bonheurs de l’amour et de la vie, et le chanteur nous explique que, dans sa langue il n’y a pas de « je » ni de « nous » pour conjuguer les verbes. Le poitevin se contente d’un « i » qui signifie il, elle, je et nous… Toute une mentalité.
L’universel, c’est le local moins les murs
Il y a dans ces chansons, tous les mots « qui ne voulons pas mourir » et que le projet Saint Rock sauve de l’oubli, quand le poitevin saintongeais est répertorié, dans l’Atlas Unesco, parmi les langues en danger dans le monde. Ce spectacle redonne une fierté à ceux qui ont dû faire un trait sur leur patois et leur culture, avec les résultats que l’on sait dans ces périphéries abandonnées des services publics. Dans une ambiance chaleureuse, baignée par la fraicheur des grands arbres, chacun d’où qu’il vienne se souvient qu’il a des racines. « L’universel, c’est le local moins les murs », disait l’écrivain portugais Miguel Torga (1907-1995). Pour lui, au-delà de tout localisme, c’est au sein d’une fraternité faite de convictions et d’échanges que naît la culture. Une philosophie que ces généreux artistes partagent avec le public, le temps d’un soir d’été. Mireille Davidovici
La tournée se poursuit jusqu’au 24 juillet (Informations, dates et réservations sur la page La Tournée). Livre CD : Jaulin et le Projet saint Rock (manuel de résistance en langue rare).





