D’os et Dac, quel micmac !

Jusqu’au 21/07, au Petit Chien d’Avignon (84), Anne-Marie Lazarini propose L’os à moelle. La mise en voix des annonces parues dans l’hebdomadaire loufoque lancé en 1938 par Pierre Dac. Le saut dans un grand bain d’humour entre absurdité et délire assumé.

Divers numéros grand format de l’hebdomadaire en fond de scène, deux petits bureaux d’où émergent les têtes des trois protagonistes, rédacteurs éphémères de ce journal insolite au succès inattendu : en une seule journée, cent mille exemplaires vendus du quatre pages ! Un titre incongru déjà, L’os à moelle, qui attise la curiosité, soulève questions et soupçons. « Pourquoi ce titre ? et pourquoi pas… », répond Pierre Dac du tac au tac, sans autre explication. Une révolution journalistique en fait, ce 13 mai 1938, jour de parution du premier numéro : d’apparence austère, un véritable brûlot qui, sous couvert d’absurdité et de loufoquerie, renverse l’esprit cartésien, sème le trouble et le doute dans la tête des lecteurs. Avec une dose d’humour à décrocher la mâchoire d’un kangourou égaré sur la banquise, des articles de fond (que l’on râcle…), des recettes de cuisine (forcément épicée…) ou des petites annonces déjantées (la plupart rédigées par un débutant, Francis Blanche) : vente de pâte à noircir les tunnels, de porte-monnaie étanches pour argent liquide, de trous pour planter les arbres…

On demande cheval sérieux connaissant bien Paris pour faire livraisons seul

Il vaut parfois mieux passer hériter à la poste que passer à la postérité

Ce n’est pas une raison, parce que rien ne marche droit, pour que tout aille de travers

Quand on prend les virages en ligne droite, c’est que ça ne tourne pas rond dans le carré de l’hypoténuse

Tout avare de pensée est un penseur de radin

Le fait d’avoir la tête en feu n’exclut pas, toutefois et néanmoins, d’avoir le feu au cul

« Organe officiel des loufoques », chaque semaine l’hebdomadaire fait le bonheur de ses lecteurs, un canard déchaîné avant l’heure… D’autant plus qu’il n’a de cesse de rappeler régulièrement dans ses colonnes qu’Hitler n’a toujours pas réglé son abonnement ! En cette année des accords de Munich et de l’entrée des troupes allemandes à Vienne, Pierre Dac ne rate jamais l’occasion d’apostropher, voire de vilipender, les dictateurs en puissance. Jusqu’à passer une petite annonce significative : « Recherchons, mort ou vif, le dénommé Adolf. Taille 1m47, cheveux bruns avec mèche sur le front. Signe particulier : tend toujours la main, comme pour voir s’il pleut… Énorme récompense ». Le 31 mai 1940, une semaine avant que les Allemands n’envahissent Paris, paraît le 108ème et dernier numéro : « Il est bien connu que l’os à moelle se décompose au contact du vert de gris ». Après un long périple (Espagne, Portugal, Algérie) et diverses incarcérations, Pierre Dac rejoint alors la capitale anglaise. Pour animer les ondes de Radio Londres, incarner la célèbre voix des Français qui parlent aux Français : « Radio-Paris ment, Radio-Paris ment, Radio-Paris est allemand » !    

Il vaut mieux prendre ses désirs pour des réalités que de prendre son slip pour une tasse à café

Le crétin prétentieux est celui qui se croit plus intelligent que ceux qui sont aussi bêtes que lui

Si rien n’est moins sûr que l’incertain, rien n’est plus certain que ce qui est aussi sûr

Les pommes sautées par la fenêtre sont des pommes de terre qui se suicident

Celui qui dans la vie est parti de zéro pour n’arriver à rien dans l’existence n’a de merci à dire à personne

Un amour débordant, c’est un torrent qui sort de son lit pour entrer dans un autre

En ces jours d’imbroglios politiques, un tel spectacle a l’outrecuidance de nous signifier que le rire, l’humour peuvent être de formidables armes de résistance ! Le non-sens éclaire d’un puissant feu de projecteur les aberrations et désastres d’un monde en totale déshérence. Sur le plateau du Petit Chien, puisant dans l’imagination débridée d’Anne-Marie Lazarini, les trois comédiens (Cédric Colas, Emmanuelle Galabru et Michel Ouimet) s’y emploient avec force talent. Faisant vivre, rebondir et exploser sur scène les calembours et autres élucubrations du « Maître 63 », du Pape de l’absurde ! Entre humour et désespoir, tragique et dérision, derrière le bon mot perce la lucidité d’un homme qui, envers et contre tout, tenta de garder confiance en la force rédemptrice de l’humanité. De la seconde guerre mondiale aux conflits contemporains, la transposition s’impose, jeux de mots et sautes d’humour affichent leur cinglante actualité. Dérisoires signaux d’alarme, nous alertant qu’aux éclats d’obus sont préférables les éclats de rire ! Yonnel Liégeois

L’os à moelle, Anne-Marie Lazarini : jusqu’au 21/07, 16h. Théâtre Le petit chien, 76 Rue Guillaume Puy, 84000 Avignon (Tél. : 04.84.51.07). Les Pensées qui jalonnent l’article sont extraites de l’album Les pensées de Pierre Dac, illustrées par Cabu (Le cherche midi éditeur, 202 p., 15€). Chez le même éditeur, est parue l’intégrale des Petites annonces de L’os à moelle.

Les temps sont durs, votez MOU !

Pierre Dac et Cabu sont nés à Châlons-en-Champagne, à des années d’écart mais à seulement quelques centaines de mètres de distance. Le roi des loufoques est resté jusqu’à l’âge de 3 ans dans une ville qui s’appelait alors Châlons-sur-Marne et que, origines juives obligent, il voulait faire rebaptiser Chalom-sur-Marne.

Le père du Grand Duduche et du Beauf y a grandi et commencé sa vie professionnelle dans le journal local. Pendant ses jeunes années, il a nourri son humour naissant en dévorant des numéros de L’Os à moelle conservés dans le grenier familial.

S’il est vrai, comme l’a écrit Guillaume Apollinaire, que sous le pont Mirabeau coule la Seine, il est non moins vrai, comme l’a écrit le préfet de la Seine, que sur le pont Mirabeau ne poussent pas les mirabelles

Le leader du MOU (le parti du Mouvement Ondulatoire Unifié, fondé lors de l’élection présidentielle de 1965) et Cabu se sont rencontrés qu’une seule fois, en 1969, à Paris. Les voici à nouveau réunis à travers Les Pensées du maître 63, devenues des classiques, illustrées par des dessins en noir et blanc mais résolument hauts en couleur. Pour le meilleur, mais surtout pour le rire.

1 commentaire

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Une réponse à “D’os et Dac, quel micmac !

  1. Avatar de regis.frutier@laposte.net regis.frutier@laposte.net

    Mille bravos, cher Yonnel, pour cet excellent papier et cet hommage à Cabu et Pierre Dac !
    J’ai toujours adoré leur humour décapant et notamment les petites annonces de l’Os à Moëlle ! Du genre « vends tapis persan poussant des cris du même nom quand on marche dessus » : à mon avis, de telles œuvres devraient être remboursées par la Sécurité sociale  ! 
    Amitiés,  Régis Frutier

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