Jusqu’au 21/07, à la Manufacture d’Avignon (84), Philippe Cyr propose Le poids des fourmis. Que faire lorsque les menaces semblent nous dépasser, dans un monde qui marche sur la tête ? À cette question, répond le texte à l’humour ravageur de David Paquet, dans une mise en scène sur fond de système scolaire en crise.

Le directeur du collège annonce « la semaine du futur », comme on lancerait une campagne publicitaire, dans un décor style club Med. Affalé sur une chaise longue, bermuda et chemise hawaïenne, il propose des élections aux élèves. Seront-elles l’occasion pour Jeanne et Olivier de changer le cours des choses ? La jeune fille est en colère : la cantine offre des lasagnes sans fromage, les cours du bourrage de crâne et une publicité dans les toilettes vante shampoings et produits de beauté. « Fuck you ! Je suis déjà belle », s’écrie l’adolescente en vandalisant le panneau. Espérant désamorcer sa révolte par le canal de la « démocratie », le chef d’établissement lui propose de se faire élire au conseil étudiant. Olivier, lui, ne se remet pas d’un cauchemar, on lui offrait « la Terre morte » en cadeau d’anniversaire. Que faire quand la planète brûle et que le système capitaliste attise l’incendie ? Les adultes ne proposent aucune solution à son « éco-anxiété », sauf une libraire farfelue qui lui recommande l’Encyclopédie du savoir inutile. Il y trouve matière pour se présenter lui-aussi aux élections.
Les petits devenus des poids lourds
Jeanne en pasionaria et Olivier en doux rêveur s’affrontent à grand renfort de discours. Las, ils seront coiffés au poteau par une troisième candidate qui promet des pizzas gratuites à tous… Élections, trahisons, tel est l’amer constat. Il n’empêche, nos deux héros ouvrent les yeux et s’allient pour aller plus loin, l’union fait la force. « Le Poids des fourmis est un appel à la solidarité. L’entraide, c’est contagieux et ça mobilise. Réunir les petits, c’est devenir des poids lourds« , conclut David Paquet. L’auteur québécois n’y va pas par quatre chemins. Dans ce texte destiné aux collégiens et lycéens, il se pose en lanceur d’alerte et prône l’indignation. « Si l’on pense à Rosa Parks, Martin Luther King Jr., Emma Gonzalez ou Greta Thunberg, c’est ce désir d’avoir un impact sur la société qui est au cœur du Poids des fourmis ».

Philippe Cyr s’empare de ce brûlot pour en faire une comédie acide, poussée jusqu’à l’outrance. Les acteurs jouent le jeu à fond, dans un décor des plus kitch et nous enchantent avec les accents chantants de la Belle Province. Les adultes, en costume de plage de mauvais goût, vivent dans une prospérité illusoire, sous un ciel d’incendie dans un îlot : autour, flotte une marée noire prête à les engloutir. Gaétan Nadeau est irrésistible en directeur flemmard et rusé, en patron crapuleux. Nathalie Claude fait la paire en poussant la caricature d’une mère écervelée ou d’une candidate vulgaire façon Donald Trump. Face à ces guignolades, Élisabeth Smith (Jeanne) a des élans de sincérité à la Greta Thunberg et un culot monstre, tandis que Gabriel Szabo (Olivier) compose un personnage timide et lunaire.

Le rire est au rendez vous, grinçant parfois mais nécessaire. Comment résister ? À la commande passée par le Théâtre Bluff, producteur de ce spectacle avec le CDN des Îlets, écrivain et metteur en scène y répondent par un réjouissant pamphlet. « Avec Le Poids des fourmis, je ne creuse pas un sillon, je mitraille l’horizon ! » proclame l’auteur. À voir, avec ou sans enfant. Mireille Davidovici
Le poids des fourmis, Philippe Cyr : jusqu’au 21/07 à la Patinoire, 10 h. Navette à 9 h 45 au Théâtre de la Manufacture, 2 rue des Écoles, 84000 Avignon (durée 2h trajet en navette inclus). Spectacle vu le 24/06, en avant-première au Théâtre Paris-Villette.





