Jusqu’au 31/08, à Bussang (88), Julie Delille monte avec éclat le Conte d’hiver de Shakespeare, traduit par Koltès : de la jalousie folle à la danse joyeuse ! La metteure en scène est la première femme à diriger le Théâtre du Peuple. Qui fête ses 130 ans l’an prochain…

Pour sa première programmation au cœur de Bussang, Julie Delille n’a pas seulement imaginé le Conte d’hiver pour la scène, mais rêvé de faire du Théâtre du Peuple un « lieu poreux au monde extérieur » depuis lequel penser « en compagnie d’artistes, de poètes, de chercheurs et des habitants du territoire ». Un engagement pour lequel elle était prête à tout quitter, sauf sa compagnie le Théâtre des trois Parques. Un appel du destin auquel elle répond corps et âme. Pour la metteuse en scène, investir Bussang est un projet total qu’elle veut construire à partir de l’écologie environnementale, sociale et mentale, qu’elle conjugue en trois axes : la saisonnalité, la sensibilité et l’organicité. Une nécessité qu’elle met aussi à l’œuvre poétiquement au plateau, secondée par la dramaturge Alix Fournier-Pittaluga et la scénographe Clémence Delille, pour tirer du conte tragi-comique de Shakespeare, traduit par Koltès en 1988 pour Luc Bondy, une fable mordante d’aujourd’hui où les femmes sont audacieuses et puissantes.
Vingt comédiens sur scène
On était impressionné par ses précédentes créations, qui se déroulaient dans une sorte de « boîte noire » pour un ou deux comédiens ; ici, elle en orchestre une vingtaine, dont quatre acteurs professionnels qu’ont rejoints, selon le protocole bussenet, les comédiens amateurs et des figurants, hommes et femmes. La pièce est l’une des dernières écrites, vers 1610, par le dramaturge britannique, en même temps que la Tempête, davantage représentée. Elle démarre dans le palais fastueux de Léontes (Baptiste Relat), roi de Sicile, qui reçoit, en compagnie de son fils et de sa femme enceinte, son ami d’enfance Polixènes (Laurent Desponds), maître de la Bohème.

Hermione (Laurence Cordier, subtile) va intercéder pour retenir Polixènes et suscite la jalousie folle de Léontes, convaincu que l’enfant à naître n’est pas le sien. Polixènes ne devra sa survie qu’à sa fuite éperdue. Hermione, arrachée à son fils Mamillius, est emprisonnée et accouchera d’une petite Perdita, promise à l’abandon. Le jour de son procès, la déclaration d’innocence du dieu Apollon arrive trop tard, tout a été anéanti. Les trois premiers actes déployés dans des boiseries et vitraux avec des temps de silence et des ruptures musicales originales signées de Julien Lepreux impressionnent. L’auteur-compositeur a créé une partition – traversée par la voix de Gaëlle Méchaly – où l’orgue occupe une place magnétique, même si l’alliance jeu-musique semble parfois interrompre la dynamique des acteurs.
Création, expérimentation et transmission
Lumières d’Elsa Revol et scénographie, costumes et point de vue sur les enjeux contemporains du Conte d’hiver captivent l‘attention et l’émotion du spectateur. On remarque particulièrement Élise de Gaudemaris, qui interprète Paulina, la fidèle et téméraire servante d’Hermione, et Sophia Daniault-Djilali, dans ses multiples rôles. Le public est en délire lorsque se produit l’ouverture tant attendue du fond de scène sur la forêt : la fête de la tondaison fait défiler un troupeau de brebis, à l’extérieur et à l’intérieur de la salle.

Après l’entracte, seize années ont passé. La pièce se révèle plus limpide et joyeuse, offrant un véritable espace de jeu et de danse aux interprètes, professionnels ou débutants, pour explorer les constructions et les contradictions de leurs personnages. Perdita, recueillie par un berger, en Bohème, est devenue une magnifique jeune fille dont Florizel, le fils de Polixènes, est tombé éperdument amoureux. Les deux jeunes gens devront s’enfuir pour pouvoir vivre cette passion transgressive, qui finit bien et répare le passé. Pour Julie Delille, les thèmes de la pièce confortent « la triple vocation de cet équipement unique : la création, l’expérimentation et la transmission ».

Si elle entend privilégier des temps de recherche, la nouvelle directrice veut aussi programmer au long de l’année diverses propositions sur le territoire. Jusqu’au 31/08, le public pourra voir ou revoir Les gros patinent bien d’Olivier Martin-Salvan et Pierre Guillois (qui dirigea le théâtre de 2005 à 2011), assister à des impromptus, à un récital du pianiste Jean-Claude Pennetier, aux premières Journées du matrimoine qui se dérouleront les 14 et 15/09. Marina Da Silva, photos Jean-Louis Fernadez/Pierrick Delobelle
Le conte d’hiver de Shakespeare, Julie Delille : Jusqu’au 31/08, du jeudi au dimanche à 15h. Théâtre du Peuple, 40 rue du Théatre du Peuple, 88540 Bussang (Tél. : 03.29.61.50.48).





