Festival de l’Hydre, un chantier ouvert !

Au Moulin de l’Hydre, à Saint-Pierre d’Entremont (61) les 6 et 7/09, la Fabrique théâtrale a tenu son troisième festival. Un événement à l’initiative de la compagnie Le K et des Bernards L’Hermite. Au programme, spectacles et concerts dont Molière et ses masques, la nouvelle pièce de Simon Falguières.

Au creux de la vallée du Noireau, affluent de l’Orne, l’ancien Moulin des Vaux autrefois filature puis usine d’emboutissage, renait. L’association les Bernards l’Hermite a coutume de s’installer dans des lieux désaffectés pour les transformer en espaces de création artistique (dernièrement La Patate sauvage à Aubervilliers). Ici, elle investit le site, rebaptisé Moulin de l’Hydre par Simon Falguières, membre et directeur artistique des Bernards l’Hermite. Sur un grand terrain boisé, idéal pour la culture potagère et l’installation d’un camping, s’élèvent deux corps de bâtiment. D’un côté, les anciens bureaux de l’usine ont été transformés en un lieu d’habitation. En face, ce qui fut l’usine a été rénové en espaces de répétition, de montage et de stockage de décors. Ils deviendront à terme un théâtre « pour faire des créations de grandes taille, hiver comme été » selon Simon Falguières, le rêve ouvrant sur les champs et la forêt. L’inauguration de cette « fabrique théâtrale », réunissant tous les métiers du spectacle, est prévue dans cinq ans

Un théâtre de proximité

La compagnie Le K organise des ateliers d’écriture et pratique théâtrale amateur, avec l’appui des communes avoisinantes : Cerisy-Belle-Étoile, Saint-Pierre d’Entremont et Flers, la ville la plus proche. Écoles et collèges y participent. Beaucoup d’habitants des villages alentour adhèrent au projet, certains collaborent au chantier pour construire un muret ou donner un coup de main pour les manifestations. 80 bénévoles ont contribué cette année à la bonne marche du festival : accueil, cuisines, parking, bar… Le centre dramatique national, Le Préau de Vire, a commandé cette année à Simon Falguières une pièce pour son « festival à vif » articulé avec le travail que mène la compagnie Le K auprès des lycéens de Nanterre et un chœur d’habitants de cette région vallonnée qui lui vaut le nom de Suisse normande. La Comédie de Caen va recevoir la dernière production de la compagnie, Molière et ses masques. Les artistes du Moulin souhaitent créer un réseau avec les festivals de Normandie… Le chantier de la décentralisation reste ouvert !

Pour le festival en extérieur, des gradins confortables ont été montés face à une grande scène adossée au mur de briques de l’usine. Aux fenêtres, la nuit, s’allument des projecteurs. Un deuxième espace de jeu a été aménagé dans le jardin attenant … Bravant la pluie normande, le public, nombreux, assiste à ces deux jours. Le prix d’entrée est libre, il vaut adhésion à l’association des Bernards L’Hermite. Les habitants de la région aiment raconter l’histoire de ce lieu qui a marqué des générations, ils se réjouissent de le voir revivre en apportant de la culture au pays. Les six membres permanents de la compagnie déterminent collectivement le menu des festivités. Simon Falguières y présente une création chaque année et veille à la mixité, n’hésitant à accueillir « des femmes avec des paroles relatives à leur combat ». Mireille Davidovici

Le moulin de l’Hydre, 660 Chemin du vieux Saint-Pierre, 61800 Saint-Pierre d’Entremont (Tél. : 09.80.91.56.44). lesbernardslhermite@gmail.com

 SILLAGES

BEAUFILS et RICORDEL

Sillages, un court spectacle de cirque a ouvert le festival. Quentin Beaufils et Léo Ricordel acrobates trampolinistes, accompagnés en live par la musicienne Zoé Kammarti se déploient sur une piste circulaire. Ils bondissent avec élégance, se croisent, grimpent sur les épaules l’un de l’autre ou poursuivent une trajectoire solitaire. Pendant qu’ils tournent en rond, mêlant portés, danse et acro-danse, des voix viennent donner sens à leurs déambulations. On entend des réflexions d’adultes sur le sens de l’existence et les traces que laisseront leurs vies. S’y mêlent celles d’enfants enregistrées à l’école élémentaire de Cerisy. Ils répondent à des questions : qu’est-ce que grandir ? Être vieux ? Que souhaiteraient-ils ? Certains aimeraient « une fête tous les jours à la cantine », « une piscine dans l’école » ou « avoir de super pouvoirs pour soigner les blessés ». Présents dans le public, les bambins réagissent à ces paroles. De fil en aiguille, la musicienne, munie de son violon, rejoint les circassiens sur leur agrès. À trois, la navigation se complexifie entre confrontation et échappées solitaires… M.D.

Créée en 2020, la Cie Nevoa présentait ici ce premier spectacle de 30mn, étoffé par la suite en une forme longue dédiée au plateau.

 VA AIMER !

DE et PAR EVA RAMI

Dans ce troisième « Seule en scène » (après, Vole ! et T’es toi), Va aimer !, l’autrice comédienne convoque de nouveau son double : Elsa Ravi. Au rythme effréné des aventures de cet alter ego, elle incarne une multitude de personnages. On y retrouve père, mère, grands-mères mais aussi l’institutrice ou ses meilleures copines. Depuis ses années d’école jusqu’à l’âge adulte, Elsa remonte vers les traumatismes de son enfance, trop longtemps tus. Le comique cède le pas à des scènes oniriques virant au cauchemar et, au fil de la sulfureuse traversée d’Elsa Ravi, Eva Rami peut rire de ses plaies. Venant du clown et du masque, elle excelle à changer de corps et de voix. Avec énergie et drôlerie, elle dénonce son viol et son inceste lors d’un faux procès qui fait écho à toutes celles qui osent aujourd’hui prendre la parole. Selon l’artiste, ce spectacle n’est pas la suite des deux premiers et révèle une facette plus intime de son Elsa. M.D.

Après un Molière et le festival d’Avignon, Va aimer ! est repris au théâtre de la Pépinière à Paris du 23/09 au 11/11.

DANUBE

DE et PAR MATHIAS ZAKHAR

En 2017, dans le cadre des Croquis de Voyage initiés par l’Ecole du Nord où il est élève-comédien, Mathias Zakhar suit le fil du Danube et de son histoire familiale. Un mois durant, il traverse l’Europe – Allemagne, Autriche, Slovaquie, Hongrie, Serbie et Roumanie – en train, en bateau, en stop… De la source à l’embouchure (« Le petit robinet est devenu une bouche où le Danube se perd »), il compose un récit rythmé comme La Prose du Transsibérien de Blaise Cendrars, avec des échappées poétiques à la Paul Celan : « L’Europe est un masque de papier qui porte le Danube en sourire ». Il retrouve au passage sa famille paternelle, hongroise : « Mon grand-père attend Dieu, assis dans les abeilles, et il chante ». Il plonge au cœur de cette Mitteleuropa aux langues et nationalités enchevêtrées : « Sarajevo, ses mosquées qui se frottent à ses églises, qui se frottent à ses synagogues, qui se frottent à mes mains (…) La rivière coule rouge, de tout le sang versé. (…) Et mon impuissance. Je suis un petit jouet de l’histoire dans une boîte. (…) Je comprends que je ne suis rien, je suis vide, prisonnier de la puissance du monde ». Au terme du périple, arrivé au kilomètre zéro, paradoxalement là où le fleuve se jette dans la mer après 2.882 kilomètres, « Le voyage est une longue quête vers un moi qui ne m’appartient pas », conclut-il. À l’heure où l’Europe vacille, l’histoire des peuples meurtris par des totalitarismes passés et à venir a nourri une nouvelle version de Danube. A partir de son texte initial, Mathias Zakhar a pris des chemins un peu hasardeux, il n’a pas encore trouvé le juste rythme de ce carnet de voyage mais il a encore le temps de le peaufiner ! M.D.

Tournée itinérante, organisée par le Théâtre des Amandiers à Nanterre (92), du 27/01/25 au 02/02.

MOLIERE PAR LES VILLAGES

« Une farce rêvée », Simon Falguières

En 1h20mn, avec Molière et ses masques, Simon Falguières brosse « La vie glorieuse et pathétique du célèbre Molière. Une vie romancée, inventée, mensongère sur ce que nous inspire le plus connu des chefs de troupe français. Nous ne sommes pas Molière mais notre art est le même ». Six comédien.ne.s jouent, sur d’étroits tréteaux, sans effets de lumière, dans des costumes de tous styles  puisés par Lucile Charvet dans les stocks de la compagnie. Les rideaux blancs qui flottent au vent sont les voiles d’un radeau imaginaire. La première partie de cette farce reconstitue douze ans de vie errante, quand la seconde récapitule, devant le dramaturge mort en scène dans le Malade imaginaire, les épisodes de sa carrière parisienne aux prises avec les aléas de la condition courtisane : « Fini la liberté, l’artiste de théâtre mange dans les mains du pouvoir ».  D’un bout à l’autre, alors que Molière lorgnait vers la tragédie, c’est la comédie qui l’emporte.

Simon Falguières a le don de décortiquer en de brèves saynètes avec masques et perruques l’Étourdi ou les contretemps, premier succès de la troupe : il le réécrit et le met en scène façon commedia dell’arte. Dans l’Etourdi, Victoire Goupil mène un train d’enfer à ses camarades en Mascarille, et sera tout au long de la pièce l’éternel valet impertinent, apportant la contradiction à ses maîtres, sur scène comme à la ville. Quand Jean-Baptiste chasse ses masques pour monter Nicomède de Pierre Corneille – un fiasco -, il les rappelle à l’entracte, afin de sauver par une comédie, un spectacle donné devant le roi et toute la cour. Simon Falguières s’en donne à cœur joie dans une version burlesque tournant en ridicule l’intrigue politique et les personnages de Corneille. On aura aussi droit à une brève leçon d’histoire de France, depuis Henri lV jusqu’à Louis XIV.. Avec, en supplément de la farce, quelques petits coups de griffes aux puissants d’hier et d’aujourd’hui comme savait déjà en donner Molière.

Changements de rôles et de costumes ne ralentissent pas le rythme trépidant et, aux côtés de ses partenaires multicartes, Anne Duverneuil est un Molière dynamique, ambitieux mais aussi l’amoureux de la jeune Armande qui se moque de lui-même en vieillard jaloux dans l’Ecole de femmes, ou encore l’homme celui qui restera fidèle à Madeleine jusqu’à son dernier souffle. Ses déboires amoureux et politiques se traduisent par une courte tirade du MisanthropeVoici une pièce courte enjouée, conçue pour l’itinérance ! La compagnie Le K envisage une tournée par les villages. Au printemps, la troupe se rendra à pied du Moulin de l’Hydre jusqu’à Caen, décor sur une carriole tirée par des chevaux. Elle jouera à toutes les étapes, en plein air ou à couvert en cas de pluie. M.D.

Du 25 au 28/09 : Transversales – Scène Conventionnée de Verdun. Novembre 2024 / Printemps 2025 : département de l’Orne, département de l’Eure, Flers Agglo, Bernay, SNA 27, Comédie de Caen … (à suivre)

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