Ouvrier, en être ou pas ?

Aux Presses universitaires de Rennes, Pauline Seiller publie Un monde ouvrier en chantier, hiérarchies ouvrières dans l’industrie contemporaine. Sur le modèle des travailleurs des chantiers navals de Saint-Nazaire, un éclairage sur les membres d’une « aristocratie ouvrière » en déclin. Paru dans le mensuel Sciences Humaines (N°371, septembre 2024), un article de Frédérique Letourneux.

Au tournant des années 2000 paraît le célèbre ouvrage des sociologues Stéphane Beaud et Michel Pialoux, Le Retour de la condition ouvrière éclairant les conditions de travail et d’emploi des travailleurs de l’usine Peugeot de Sochaux. La thèse était dans le titre : le groupe des ouvriers de l’industrie n’a pas disparu et il importe d’y prêter attention. Pourtant, si aujourd’hui les ouvriers représentent encore le cinquième de la population active, c’est en bonne partie dans le secteur des services tandis que le noyau d’ouvriers industriels, figures historiques et symboliques de ce groupe social, se réduit. En s’intéressant aux travailleurs des chantiers navals de Saint-Nazaire, un des derniers bastions de l’industrie métallurgique française, la sociologue Pauline Seiller éclaire de façon singulière la condition d’ouvriers syndiqués et qualifiés, rares représentants d’une « aristocratie ouvrière » en déclin.

Pour autant, Pauline Seiller montre également de quelle manière ce groupe est traversé par de fortes tensions, avec d’un côté les « ouvriers maison » qui revendiquent un savoir-faire spécifique et les ouvriers des entreprises sous-traitantes, moins qualifiés et surtout plus précaires. Ces entreprises ont en effet de plus en plus recours à une main-d’œuvre internationale, via le statut de travailleur détaché qui permet d’embaucher des travailleurs européens à des conditions économiques beaucoup plus favorables.

L’analyse de ces mutations des conditions de travail et d’emploi permet en creux de souligner comment le groupe des « métallos » s’ingénie à défendre une légitimité professionnelle fondée sur la qualification. L’identité ouvrière se structure alors fortement autour de la valorisation d’une norme de virilité qui met à l’épreuve le corps, symbole de l’investissement dans le travail. L’identification au groupe est si forte que beaucoup recourent à la rhétorique de « la famille » pour décrire la vie sur les chantiers. Une identité liée à un fort ancrage territorial : « À Saint-Nazaire, tout le monde connaît quelqu’un qui bosse aux chantiers ». Frédérique Letourneux

Un monde ouvrier en chantier, hiérarchies ouvrières dans l’industrie contemporaine, Pauline Seiller (Presses universitaires de Rennes, 180 p., 20€).

Très éducatif, le dossier du n° 371 de Sciences Humaines : que masque la violence de l’enfant, comment y faire face ? Sans oublier, signé Frédéric Manzini, le décryptage bien instruit du parcours de Frantz Fanon, ce psychiatre né à Fort-de-France en 1925, solidaire de la cause algérienne et en révolte contre le colonialisme. Une pensée toujours ignorée et méprisée en France, « Je ne suis pas esclave de l’esclavage (…) Moi, l’homme de couleur, je ne veux qu’une chose : que cesse à jamais l’asservissement de l’homme par l’homme (…) Le Nègre n’est pas, pas plus que le Blanc » (in Peau noire, masques blancs), une icône aux USA instrumentalisée aujourd’hui par les mouvements identitaires… Dès sa création, Chantiers de culture a inscrit le mensuel sur sa page d’ouverture au titre des Sites amis. Un magazine dont nous conseillons vivement la lecture. Yonnel Liégeois

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