Simon Abkarian et la belle Hélène

Jusqu’au 03/11, au Théâtre de l’Épée de bois (75), Simon Abkarian propose une Odyssée en Asie mineure. Un diptyque composé de Ménélas Rébétiko Rhapsodie et d’Hélène après la chute. De la musique des bas-fonds de la Grèce aux héros de la guerre de Troie, une joute verbale et royale entre la belle Hélène et Ménélas, Aurore Frémont et Brontis Jodorowsky.

« Hélène après la chute » aux arènes de Cimiez, 06/24. Théâtre National de Nice © DR – TNC

« Tu es mon invitée », annonce Ménélas en préambule, le roi de Sparte et éphèbe grec à la barbe bien taillée, « Je suis ta prisonnière », rétorque Hélène avec force détermination. D’une fulgurante beauté, celle qui a fui jadis avec Pâris, assassiné en ce jour de la chute de Troie, retrouve son époux et attend un verdict de mort en cette chambre des amours interdites. Une longue tunique noire pour la belle Hélène après la chute, un costume de roi triomphant pour lui… Seule règne la virtuosité des dialogues, nul décor sinon quelques micros et un piano d’où Macha Gharibian (en alternance avec Bettina Blancher) scande de la note et de la voix la rencontre du couple : la scène est plantée, la joute verbale peut commencer !

Simon Abkarian est coutumier du fait : revisiter les récits mythologiques ! Sur la scène du Théâtre du Soleil, déjà il nous avait subjugué avec son Électre des bas-fonds (trois Molière en 2020 et deux prix du Syndicat de la critique), déjà avec Aurore Frémont dans le rôle-titre… Sur les planches du Théâtre de l’Épée de bois, toujours à la Cartoucherie de Vincennes, il récidive, nous brossant encore un magnifique portrait de femme, vaincue certes mais non terrassée. Forte, combative, ne reniant rien de sa fuite avec Pâris dix ans plus tôt et de ses amours interdites, une femme, belle certes mais rebelle, qui veut être admirée, appréciée et aimée pour son être entier autrement que pour le seul désir des humains !

Blessé au cours de la bataille, Ménélas l’est plus encore de son amour contrarié et de la douleur qui l’étouffe depuis le départ de son épouse. Meurtri par une femme qui ne cède rien, future esclave peut-être mais toujours vaillante guerrière, « je ne me repentirai pas d’un crime que je n’ai pas commis, jamais je ne demanderai pardon ni à toi ni à aucun autre Grec », affirme-t-elle au péril de sa vie. La gloire de la victoire, la vengeance des armes, la fierté royale, la loi des puissants ? Futilités devant la perte de l’amour, de la femme de sa vie… Entre lyrisme et sensualité, un texte qui ne renie rien de la tragédie classique, une langue superbement maîtrisée, une Aurore Frémont irradiante de sensibilité, un Brontis Jodorowsky émouvant dans sa masculinité contrariée ! La pianiste rythme poétiquement le tempo de cet amour renaissant de sa chute entre blessures et fêlures : à la folie de la guerre et à la fureur des armes, sont préférables la fusion des cœurs, la passion des corps. Yonnel Liégeois

Une odyssée en Asie mineure, un diptyque de Simon Abkarian

Hélène après la chute (le superbe article de Jean-Pierre Léonardini, paru dans le quotidien L’Humanité en date du 21/10) : du mercredi au vendredi à 21h, le samedi à 20h et le dimanche à 16h30. Ménélas Rébétiko Rhapsodie, en début de soirée : du mercredi au vendredi à 19h, le samedi à 18h et le dimanche à 14h30.

Jusqu’au 03/11 au théâtre de L’épée de bois, Route du Champ de Manœuvre, 75012 Paris (Tél. : 01.48.08.39.74). Les deux textes sont disponibles aux éditions Actes Sud.

En janvier 2025, au Théâtre Nanterre-Amandiers (92), sera créé Nos âmes se reconnaîtront-elles ?, le dernier opus de la trilogie. Avec Simon Abkarian et Marie-Sophie Ferdane au plateau, accompagnés du compositeur et musicien kurde Rusan Filiztek (saz et oud).

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