Peau d’âne et peau de chagrin ! 

Au Théâtre public de Montreuil (93), Hélène Soulié présente Peau d’âne-La fête est finie. Sous forme de procès fait aux pères abusifs, la plume de Marie Dilasser revisite le conte de Charles Perrault. Avec une volonté trop explicite qui rompt le charme.

Nous avons découvert Hélène Soulié avec MADAM, une trilogie au féminin entre fiction et documentaire. Membre active du mouvement H./F. en région Occitanie prônant l’égalité professionnelle dans les arts et la Culture, elle poursuit son engagement militant avec une version actualisée du conte de Perrault. Dans l’intérieur froid et propret de la maisonnée, une famille « normale » : le père, la mère et leur petite fille. Lui, perruque blanche, bon chic bon genre, est éditeur. Son épouse, femme au foyer tirée à quatre épingles, confectionne des cakes d’amour en fredonnant la recette chantée par Catherine Deneuve dans Peau d’âne, le film de Jacques Demy.  Leur enfant ne se fie qu’à la voisine, chez qui elle va soigner les animaux, et à Bergamotte, son inséparable âne en peluche… Quand la mère déserte le foyer (sans raison apparente), le père reporte ses désirs sur sa fille, « joue à la sieste » avec elle, la pare de vêtements féminins, la retient prisonnière et invite son ami, l’auteur libidineux du Roi porc, à reluquer sa jeune proie. C’est l’ogre dévorateur, le loup des contes de fée.

L’enfant n’en dort plus, s’affaiblit mais ne dit rien. Elle arrive pourtant à s’enfuir à la recherche de sa mère. La pièce bascule alors dans le féérique ! La petite roule en auto tamponneuse avec l’âne doudou, devenu Francis, une créature hybride et transgenre, figure de la fée providentielle. Dans la forêt, ici réduite à un maigre bosquet, ils rencontrent la Belle au bois dormant (Laury Hardel), qui milite pour sauver les arbres… Elle se joint à eux et le trio poursuit joyeusement sa route. La gamine, libérée de sa peur et de sa culpabilité, trouve auprès de ses amis les mots pour dénoncer son père prédateur. La mère sera retrouvée et tout est bien qui finit bien par un procès où les choses seront dites, l’inceste reconnu et le père condamné…

À la lumière de #metoo-inceste, Marie Dilasser et Hélène Soulié, tout en respectant la structure de Peau d’âne, vilipendent aussi le contenu de nos fictions séculaires ! Les frères Grimm, Charles Perrault mais aussi Jacques Demy en prennent ici pour leur grade. Et plus généralement, le patriarcat. L’esthétique glaçante de la première partie nous laisse un peu à la porte, malgré accessoires et meubles apparaissant et disparaissant, comme par enchantement. Le jeu distancié des six interprètes, tous excellents, rompt heureusement avec le réalisme du quotidien familial et apporte une inquiétante étrangeté à l’histoire. La deuxième partie séduit par son onirisme farfelu : tous les coups sont permis pour dénoncer le sort des petites filles maltraitées, sauvées par les fées et des princes charmants, le destin des reines qui meurent en abandonnant leurs filles à des marâtres, la pléthore de figures masculines monstrueuses qui peuplent les contes d’antan. Pour proposer des contre-modèles amusants : hybrides, trans, princesses racisées… sont les personnages d’un nouveau monde non-patriarcal !

Las, le charme de cette fable moderne « trouée de réel » est rompu par une volonté d’être trop explicitePeau d’Âne-La fête est finie donne la parole aux victimes et il est important de nommer un chat, un chat. Mais pourquoi le faire avec tant d’insistance ? Un tel didactisme est-il nécessaire quand, à cette matinée scolaire, les enfants réagissaient au quart de tour sans besoin de commentaire devant les épreuves subies par l’héroïne ? Mireille Davidovici

Jusqu’au 22/10 au Théâtre Public de Montreuil, 10 place Jean Jaurès, 93100 Montreuil (Tél. : 01.48.70.48.90). Du 27 au 29/11, au Théâtre de Lorient (56). Du 22 au 25/01/25, à la MC 93 de Bobigny (93).  Du 22 au 25/05, au Théâtre Nouvelle Génération de Lyon (69).

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Classé dans Le conservatoire de Mireille, Littérature, Rideau rouge

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