Résistante, poète et journaliste, Madeleine Riffaud est décédée à Paris le 6 novembre. Celle qui refusa toujours de se considérer comme une héroïne fut pourtant une grande dame : résistante dès l’âge de 18 ans, torturée et condamnée à mort par les nazis, amie d’Aragon et d’Eluard, de Vercors et de Picasso, journaliste et envoyée spéciale de La Vie Ouvrière puis de L’Humanité en Algérie et au Vietnam, victime des attentats de l’OAS… Un parcours exceptionnel, une infatigable combattante jusqu’à la dernière heure : « Il n’y a aucune cause perdue, excepté celles qu’on abandonne en chemin ». Yonnel Liégeois
« Je ne suis pas un symbole. Je ne suis pas une femme extraordinaire. Ce que j’ai fait, des centaines d’autres, des milliers dans le monde, l’ont fait. Et vous le pouvez aussi ».
Madeleine Riffaud

La sentinelle d’un siècle de tempêtes
« Une héroïne s’en est allée. Son legs : tout un siècle de combats. Madeleine Riffaud, poétesse, résistante, ancienne journaliste à l’Humanité, est décédée ce mercredi 6 novembre. Elle était un personnage de roman, à l’existence tramée par la lutte, l’écriture, trois guerres et un amour. Une vie d’une folle intensité, après l’enfance dans les décombres de la Grande guerre, depuis ses premiers pas dans la résistance jusqu’aux maquis du Sud-Vietnam.
Il avait fallu la force de conviction de Raymond Aubrac pour qu’elle accepte de témoigner de son action dans la Résistance – « Je suis un antihéros, quelqu’un de tout à fait ordinaire. Il n’y a rien d’extraordinaire dans ce que j’ai fait, rien du tout », insistait-elle dans le documentaire que lui consacra en 2020 Jorge Amat, Les sept vies de Madeleine Riffaud.
Au crépuscule de sa vie, Madeleine Riffaud avait acquis une certitude : « Il n’y a aucune cause perdue, excepté celles qu’on abandonne en chemin »
« J’ai toujours cherché la vérité. Au Maghreb, en Asie, partout où des peuples se battaient contre des oppresseurs, confiait-elle. Je cherchais la vérité : pas pour moi, mais pour la dire. Ce n’est pas de tout repos. J’ai perdu des plumes à ce jeu. J’en ressens encore les effets dans mes os brisés. Mais si c’était à refaire, je le referais. » Ne jamais capituler, « réveiller les hommes » guetter dans l’obscurité la moindre lueur, aussi vacillante fut-elle : Madeleine Riffaud, reporter intrépide, poétesse ardente, fut dans sa traversée d’un siècle de tempêtes une sentinelle opiniâtre ». Rosa Moussaoui, L’Humanité du 6/11

Une héroïne de la résistance
Elle avait 18 ans en 1942. Engagée dans la Résistance au sein d’un groupe de Francs-tireurs et partisans (FTP), son nom était Rainer. Madeleine Riffaud est morte, mercredi 6 novembre au matin, dans son appartement parisien, à l’âge de 100 ans. Avant d’être une journaliste, correspondante de guerre au Vietnam et en Algérie et une poétesse reconnue, elle fut une figure emblématique de la résistance à l’occupant nazi. Quoiqu’elle s’en défende, Madeleine Riffaud était une héroïne.
En 1944, dans les semaines qui suivent le massacre d’Oradour-sur-Glane (Haute-Vienne) perpétré le 10 juin par la division SS Das Reich, l’état-major de la Résistance FTP lance le mot d’ordre, « chacun son boche ». Le 23 juillet, un beau dimanche d’été, Madeleine tue sur un pont de la Seine – la passerelle Solférino – et en plein jour un sous-officier allemand. A bout portant. Deux balles dans la tête. « Ne pensez pas que c’était quelque chose de drôle. Ni quelque chose de haineux. Comme aurait dit Paul Eluard, j’avais pris les armes de la douleur (…) Il est tombé comme un sac de blé », écrira-t-elle par la suite.
Prise en quasi-flagrant délit par un chef de la milice qui se trouvait à proximité, elle est livrée à la Gestapo qui l’enferme rue des Saussaies. Là, pendant trois semaines, soumise à la question pour donner les noms des membres de son groupe, elle est torturée mais elle ne parle pas. Condamnée à mort, elle est incarcérée à la prison de Fresnes (Val-de-Marne)… Attachée, sans dormir, ni boire, ni manger, Madeleine Riffaud voit défiler devant elle des femmes et des hommes auxquels les SS font subir les pires sévices : une jeune femme à laquelle les tortionnaires coupent les seins devant son mari qu’ils vont ensuite émasculer, un jeune homme tabassé à mort à coups de barre de fer… « Ils me disaient, c’est ta faute si ces gens souffrent », se souvenait encore soixante-quinze ans plus tard Madeleine Riffaud. « J’étais sur le point de leur donner un petit quelque chose, mais si tu commences à parler, après tu balances tout », nous avait-elle raconté.
En 1954, une nouvelle guerre dont les autorités françaises refusent de dire le nom éclate au cœur de l’ex-empire colonial. L’Algérie s’enfonce à son tour dans un conflit qui prendra fin avec son indépendance en 1962. Envoyée spéciale de L’Humanité, Madeleine Riffaud couvre ces « événements ». Résolument aux côtés des partisans de l’indépendance, elle est visée par l’OAS, qui fomente un attentat contre sa personne en 1962 à Oran. Elle en réchappe au prix de mille contusions dont elle gardera des séquelles jusqu’à la fin de sa vie.
Madeleine Riffaud a fait en 2010 l’objet d’un documentaire réalisé par Philippe Rostan : Les Trois guerres de Madeleine Riffaud. Dans les toutes dernières années de sa vie, Madeleine Riffaud souffrait de cécité et son corps meurtri la renvoyait à ses douleurs. Yves Bordenave, Le Monde du 6/11

Résistante, journaliste et poétesse
La résistante Madeleine Riffaud est morte, mercredi 6 novembre, à l’âge de 100 ans, a annoncé son éditeur Dupuis, confirmant une information du quotidien L’Humanité, pour lequel elle fut correspondante de guerre. « Une héroïne s’en est allée. Son legs : tout un siècle de combats », a salué le journal, dans lequel elle a couvert les guerres d’Algérie et du Vietnam. Le 23 août, jour de ses 100 ans, Madeleine Riffaud avait publié le troisième et dernier tome de Madeleine, résistante (éditions Dupuis), ses mémoires de guerre en bande dessinée, avec Dominique Bertail au dessin et Jean-David Morvan au scénario.
Après la Libération, sans nouvelle de ses amis déportés, hantée par le souvenir des geôles, elle plonge dans la dépression comme elle le raconte dans On l’appelait Rainer. Touché par sa détresse, Paul Eluard la prend sous son aile, préface son recueil de poèmes Le Poing fermé, en 1945. Il l’emmène chez Picasso qui la peint – petit visage déterminé encadré par une chevelure brune et épaisse –, lui présente l’écrivain Vercors.
Elle débute comme journaliste à Ce soir, journal communiste dirigé par Aragon. Elle poursuit son travail à La Vie Ouvrière, elle couvre la guerre en Indochine où Ho Chi Minh la reçoit comme « sa fille ». Pour le quotidien L’Humanité, elle part en Algérie où elle échappe à un attentat de l’OAS (Organisation de l’armée secrète). Elle dénonce la torture pratiquée à Paris contre les militants du FLN (Front de libération nationale). Puis elle repart au Vietnam et couvre, pendant sept ans, la guerre. A son retour, elle travaille comme aide-soignante dans un hôpital parisien et dénonce, dans Les Linges de la nuit, vendu à un million d’exemplaires, la misère de l’Assistance publique. Franceinfo, le 6/11

Franc-tireuse de tous les combats
Résistante à 18 ans, poétesse, reporter de guerre, amie d’Éluard et de Hô Chi Minh, elle a vécu mille vies. Nous l’avions rencontrée chez elle, à Paris, en 2021. En août dernier, elle avait fêté ses 100 ans. Ce qui l’intéressait surtout, c’était de pouvoir célébrer les 80 ans de la libération de Paris, dont elle conservait un vif souvenir. Entrée en résistance à l’âge de 18 ans sous le nom de « Rainer », poétesse, reporter de guerre, amie d’Éluard et de Hô Chi Minh, Madeleine Riffaud semble avoir vécu mille vies, et survécu à toutes. Elle est morte ce mercredi 6 novembre. Atteinte de cécité depuis quelque temps, elle avait ouvert sa mémoire au scénariste Jean-David Morvan. Qui, depuis 2021, raconte avec Dominique Bertail son édifiant parcours dans une formidable série dessinée (Madeleine, résistante, éd. Dupuis).
La BD, dont le troisième tome est paru l’été dernier, donne à voir notamment comment elle avait été, à 19 ans, capturée après avoir abattu un sous-officier allemand, puis torturée par les miliciens français et la Gestapo. De l’un de ses bourreaux, qui la forçait à observer d’autres personnes se faire torturer, elle disait : « Il a déclenché quelque chose en moi. J’ai pensé : “Ah oui ! tu veux que je regarde, eh bien je vais le faire, et tout retenir, le moindre détail. Et si j’ai la chance de m’en sortir, je raconterai tout” ». Avec elle, une voix essentielle s’est éteinte. Juliette Bénabent, Télérama le 6/11

Hommage à Madeleine Riffaud
En 2023, le Centre d’histoire de la résistance et de la déportation, le CHRD sis à Lyon, consacrait une grande exposition en hommage à Madeleine Riffaud. Une exposition dédiée à un personnage au destin hors du commun, Madeleine Riffaud , jeune fille et résistante, poète et combattante, femme et monument, infatigable raconteuse d’histoires. Madeleine a croisé la route d’auteur attentifs et amoureux, le scénariste Jean-David Morvan et le dessinateur Dominique Bertail qui se sont assigné comme mission de faire le récit de ses 1000 vies.
A partir des planches originales de leur BD « Madeleine, Résistante », d’objets et de documents d’archives issus des collections personnelles de Madeleine Riffaud et de celles de grands musées de la Résistance français, l’exposition proposait de suivre le parcours de Madeleine et son engagement politique inébranlable, toujours d’actualité. Le CHRD, 14 avenue Berthelot, 69007 Lyon

Madeleine Riffaud et La Vie Ouvrière
En 1949, Madeleine Riffaud est engagée comme journaliste à La Vie ouvrière, l’hebdomadaire de la CGT tiré à un demi-million d’exemplaires et dirigé par Gaston Monmousseau, où elle avait publié son premier poème anticolonialiste dès novembre 1946 et où elle écrira jusqu’en 1958 (en 1956, elle sera nommée Grand reporter). Au printemps 1952, elle est envoyée en reportage en Algérie pour trois mois, dans le droit fil de ses enquêtes et articles publiés en 1951 sur les conditions de vie des travailleurs algériens en France métropolitaine. Ses reportages montrent le fossé entre la richesse des colons et la pauvreté des autochtones, entre le discours républicain enseigné à l’école et les inégalités sociales et civiques « insoutenables » constatées dans le pays. Son second voyage en Algérie a lieu en septembre 1954 pour couvrir le séisme d’Orléansville du 9 septembre 1954, qui fit 1250 morts et 3 000 blessés, où elle constate plus de secours aux habitants d’Orléansville que pour ceux des villages arabes alentour.
Son témoignage nourrit La Folie du jasmin – poèmes dans la Nuit coloniale, recueil de poèmes écrits de 1947 à 1973. En France, La Vie Ouvrière a lancé en arabe et en français un appel « à la solidarité avec nos camarades algériens ». Elle décrit les chaînes de solidarité, passant par les dockers de Marseille et d’Oran, pour apporter les dons du peuple français aux familles arabes touchées par le drame. Partie en Indochine, Madeleine Riffaud devient correspondante permanente du journal. En août 1958, elle intègre le quotidien L’Humanité, chargée de couvrir la guerre d’Algérie. Yonnel Liégeois





