Bryan Polach, les planches comme un ring

Sur les planches du Grand Parquet (75), Bryan Polach présente Violences conjuguées. L’acteur, metteur en scène et cofondateur de la compagnie Alaska explore la reproduction des violences familiales et sociétales. Pour révéler des liens dérangeants mais libérateurs.

« Je suis un peu comme certains poissons qui ne peuvent respirer que dans le mouvement ». Même assis à une table de café, Bryan Polach semble sur un plateau. Ou sur un ring. Regard aux aguets qui embrasse celui de ses interlocuteurs, mouvement imperceptible du corps qui pourrait aussi bien vous planter là. Une impatience qui vient de loin et qu’il a appris à apprivoiser. Sa vie d’acteur, auteur, metteur en scène commence au Conservatoire national supérieur d’art dramatique, dont il sort diplômé en 2004. Il se lance vite sur les planches et garde le souvenir mémorable d’avoir monté, en 2007, avec Léonie Simaga, Malcom X, un texte coup de poing de Mohamed Rouabhi ; puis l’Extraordinaire Voyage d’un cascadeur en Françafrique, coécrit avec Karima El Kharraze.

En 2016, il fonde la compagnie Alaska avec la dramaturge et autrice féministe décoloniale Karine Sahler, à partir d’une charte contre les discriminations de genre, d’origine et de handicap. Il a lui-même bataillé et s’est construit avec un bras qui ne veut pas répondre. « Cette question de l’altérité a traversé tout mon parcours de comédien et de non-comédien ». Au théâtre, au cinéma ou à la télévision, le jeu reste toujours un défi pour lui. Et une philosophie. Il pratique les arts martiaux – judo, boxe française – et le yoga Iyengar. Des outils pour se débarrasser de souvenirs encombrants de l’enfance et analyser la question de la violence et du rapport à l’autre : « Comment vit-on ensemble ? Comment fait-on corps, famille, nation ? » Il a toujours trouvé problématique la représentation de la violence au théâtre et voulu explorer « l’explosivité et la dangerosité des corps, leur vulnérabilité aussi ».

 Cela a donné Violences conjuguées, un texte puissant et troublant qu’il a écrit et interprété en 2017, à partir d’entretiens avec sa mère maltraitée par son père, et qu’il a repris comme on reprend le fil d’une conversation avec soi-même. Dans un lycée de Châteaudun en mai 2024, en Eure-et-Loir, laissant les élèves émus et estomaqués. Elle aurait dû se dérouler à la maison d’arrêt, mais la grève du personnel, déclenchée après l’attaque d’un convoi pénitentiaire dans l’Eure, a mis fin abruptement aux ateliers qu’il menait avec des détenus. Le spectacle donné ensuite en Avignon, lors du festival : un rendez-vous qu’il ne fallait manquer sous aucun prétexte, tant la puissance organique de son récit percute le spectateur ! Il en a cherché et trouvé le rythme et le souffle sous le regard de Bintou Dembélé, icône de la scène hip-hop : « Elle aussi travaille sur la mémoire du corps, sur les images que cela provoque chez l’interprète. Elle m’a apporté une légitimité à bouger ». On a du mal à croire que ce passionné de rythmes et de rap – il a monté et écrit les textes du duo Les Indics – ait besoin d’être conforté, mais on croit à l’affinité élective des rencontres.

Comme celle de Bertrand Sinapi, auteur et metteur en scène d’Après les ruines, une fiction-documentaire kafkaïenne dans laquelle a joué Bryan Polach. Il y interprète un personnage d’exilé confronté à la recherche d’un asile en Allemagne : « Un spectacle très concret sur la brutalité de l’arrachement à un pays, une famille. Une histoire écrite au plateau à partir de la collecte de paroles de réfugiés ». La violence traverse aussi 78.2 (l’article du Code pénal définissant les conditions des contrôles d’identité), la dernière pièce de la compagnie Alaska. Créée en 2021 à partir d’archives – celles des émeutes de 2005 et celles de la mort d’Adama Traoré – et après plus de deux années d’immersion à Clichy-sous-Bois et Mantes-la-Jolie auprès d’habitants, de policiers, de chercheurs et de militants associatifs, 78.2 interroge le fonctionnement, ou le dysfonctionnement, de la justice.

Toujours en mouvement et en action, Bryan Polach semble ne jamais s’arrêter. Créant à l’automne, à la Maison de la culture de Bourges où il est artiste associé, Ce qu’on a de meilleur, de Ludovic Pouzerate. Une pièce entre fiction et réalité qui revient sur la résistance de maraîchers en lutte contre un projet d’autoroute et la destruction de l’environnement. Sur la séquence politique actuelle, il peine à trouver ses mots. « Je fais partie d’une génération qui a des convictions mais qui ne s’est pas beaucoup battue ». En colère face « à la confiscation de la parole par les médias et au renversement idéologique qui absout donc le Rassemblement national de son antisémitisme pour ainsi faire de la France insoumise le vrai danger pour la démocratie ». Propos recueillis par Marina Da Silva

Violences conjuguées : du mercredi 11 au samedi 14/12, à 19h. Le Grand Parquet, 35 rue d’Aubervilliers, 75018 PARIS (Tél. : 01.40.03.72.23).

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