Sur la scène du Tandem à Douai (59), Caroline Guiela Nguyen présente Lacrima. Le récit choral de ces ouvrières et ouvriers de l’ombre, ces couturières, modélistes, brodeurs au savoir-faire exceptionnel. Fierté et souffrances de chacune et chacun, dialogues justes, une totale réussite.

Du boulot, du travail, il en est question dans Lacrima, la nouvelle création de Caroline Guiela Nguyen,la directrice du Théâtre national de Strasbourg. Le créateur d’une maison parisienne de haute couture est choisi par la princesse d’Angleterre pour réaliser sa robe de mariage. Dans l’atelier sis 22 rue Saint-Honoré, le défi est de taille tant les exigences princières d’outre-Manche sont légion. À commencer par le délai, dix mois. La robe de la princesse représente « 4 688 heures de travail avant la tragédie », précise ce texte qui s’affiche sur un tableau. De Paris à Mumbai, en Inde, en passant par Alençon, dans l’Orne, Lacrima raconte la mondialisation et l’exploitation de la classe ouvrière, ici et ailleurs. Sur le plateau métamorphosé en atelier, tables, tissu, broderies, fils et aiguilles, mannequins, ordinateurs et ciseaux sculptent les contours d’un espace multidimensionnel. En quelques secondes, nous voici plongés dans l’ambiance quasi religieuse de cet open space parisien où l’artisanat côtoie les outils high tech les plus innovants. Ici, tout le monde se vouvoie, de la première d’atelier à la jeune stagiaire. C’est une grande famille, mais la hiérarchie est de mise.

À Alençon, les dentellières détiennent un savoir-faire inestimable, transmis de génération en génération. Ce sont elles qui auront le privilège et la lourde tâche de restaurer le fameux voile de mariée en dentelle précieusement conservé parmi les trésors de la couronne d’Angleterre. Quand on sait que 1 cm² représentait autrefois une journée de travail, la confection du voile avait nécessité dix années. À Mumbai, on trouve les meilleurs brodeurs au monde. Un seul homme est capable de broder les milliers de perles de nacre qui se superposeront au voile. Mais sa vue déclinant, il ne pourra aller au bout de son ouvrage… Derrière la fierté d’avoir été choisies, derrière cet amour du travail bien fait, derrière ces techniques ancestrales transmises au fil des siècles, ces petites mains sont la proie de commanditaires qui n’hésitent pas à leur imposer des cadences infernales, des coûts sans cesse au rabais et des normes « éthiques » d’un cynisme effroyable.

Carole Guiela Nguyen parvient à rendre palpables la fierté et la souffrance de chaque ouvrière, les dialogues sonnent juste, sonnent vrais. Actrices et acteurs sont au diapason de cette œuvre chorale. Tout est fluide dans les dialogues, dans les changements spatio-temporels qui s’opèrent à vue, avec le soutien d’une vidéo qui ne vient jamais entraver la parole. La metteuse en scène imprime un rythme, un souffle, ne laissant jamais le spectateur sur le bord de la route. Même si l’histoire intrafamiliale du couple dans l’atelier parisien dénote avec le reste par son côté pièce rapportée, Lacrima lève le voile sur les coulisses de la haute couture, sans accroc. Marie-José Sirach, photos Jean-Louis Fernandez
Lacrima : les 18 et 19/12 au Tandem, le mercredi à 19h30 et le jeudi à 20h30. Scène nationale d’Arras-Douai, Place du Barlet, 59 500 Douai (Tél. : 09.71.00.56.78).
Odéon – Théâtre de l’Europe, Paris, du 7/01 au 06/02/25. Les Célestins, Théâtre de Lyon, du 13 au 21/02. Théâtre national de Bretagne, Rennes, du 26 au 28/02. Les Théâtres de la Ville de Luxembourg, les 14 et 15/03. Théâtre de Liège (Belgique), les 20 et 21/03. Madrid, Centro dramatico nacional, du 28 au 30/03/25. Montréal, Festival TransAmériques, du 22 au 25/05/25.





