Gilles Defacque, le clown est mort

La nouvelle est tombée : le 28 décembre, Gilles Defacque nous a quittés. Clown, poète et comédien, l’ancien directeur du Prato de Lille (59) a définitivement déserté les planches. Avec lui, pas de querelles de voisinage, cirque, théâtre et musique faisaient bon ménage ! Amoureux de Beckett, il a ouvert la piste aux grands textes, le nez rouge célébrant ses noces avec la scène contemporaine. Du rouge au noir, le rideau est tombé. Ultime hommage à l’immense artiste, Chantiers de culture publie l’article qu’il lui consacrait en 2018 à la création d’On aura pas le temps de tout dire au festival d’Avignon. Yonnel Liégeois

En piste, entrez l’artiste…

Directeur du Prato, cet étonnant Théâtre International de Quartier sis à Lille, Gilles Defacque entre en piste à La Manufacture d’Avignon. Le clown, poète et comédien s’excusant au préalable, puisque On aura pas le temps de tout dire ! Le récit d’une vie consacrée aux arts de la scène, contée avec humour et sensibilité, entre confidences retenues et passions partagées.

Une chaise, un bandonéon, une partition, sans les moustaches une tête à la Keaton… Il s’avance dans la pénombre, hésitant et comme s’excusant déjà d’être là, lui l’ancien prof de lettres devenu bateleur professionnel, surtout passeur de mots et de convictions pour toute une génération de comédiens ! Rêve ou réalité ? Il faut bien y croire et se rendre à l’évidence, pour une fois le passionné de Beckett n’a pas rendez-vous avec l’absurde, c’est bien lui tout seul qui squatte la piste et déroule quelques instantanés de vie sous les projecteurs… Comme un gamin, Eva Vallejo, la metteure en scène et complice de longue date, l’a pris par la main et Bruno Soulier, aux manettes de l’acoustique, l’accompagne en musique.

Un Gilles des temps modernes

Pas de leçon de choses ou de morale avec Defacque, il fait spectacle du spectacle de sa vie. Comme entre amis, sans jamais se prendre au sérieux mais toujours avec panache et sens du goût. Goût du verbe poétique, de la gestuelle sans esbroufe, du mot placé juste, de l’humour en sus, le sens profond du spectacle sans chercher le spectaculaire : simple ne veut pas dire simpliste, poétique soporifique, autobiographique nombrilistique. Un garçon bien que ce Gilles des temps modernes, plutôt Pierrot lunaire qui nous fait du bien, de sa vie à la nôtre, jouant du particulier pour nous faire naviguer jusqu’aux berges de l’universel : comme lui, croire en ses rêves, vivre de ses passions, sur scène pour quelques-uns et d’autres rives pour beaucoup…

Mes amours, mes succès, le désespoir et les heures de gloire… Éphémères peut-être mais des temps si précieux quand le plaisir de la représentation allume ou embrume l’œil du spectateur, d’aucuns l’ont chanté bien avant lui, il le déclame en un talentueux pot-pourri : les débuts de galère en Avignon, « M’man, peux-tu m’envoyer un petit bifton ? », la salle presque vide mais la tête pleine d’espoir puisque le copain a dit qu’il connaît une personne qui lui a dit « qu’elle allait parler du spectacle à une autre qu’elle connait et qui m’a dit que cette personne pouvait connaître quelqu’un que ça pourrait intéresser ».

Il est ainsi Defacque, une bête de cirque qui se la joue beau jeu, habitué depuis des décennies à braver tempêtes et galères, ours mal léché mais jamais rassasié de grands textes ou autres loufoqueries qui font sens, pour que rayonne sa belle antre internationale de quartier ! Le Prato ? Majestueuse, une ancienne manufacture de textile où l’on sait ce que veut dire remettre l’ouvrage sur le métier. Le poète a dit la vérité, le clown aussi, allez-y voir, il n’est pas encore mort ce soir ! (même s’il n’avait pas eu le temps de tout dire, en 2018, ndlr…) Yonnel Liégeois

À lire : Le Prato, un théâtre international de quartier (éd. Invenit, 25€). « Il fallait bien un beau livre, avec des photos, en couleurs, en noir et blanc, des dessins et des textes en toute liberté pour raconter, consigner l’aventure du Prato. Une aventure d’un demi-siècle commencée par un ­saltimbanque à la langue bien pendue, avec ou sans nez rouge, capable de jouer des classiques et des pas classiques, d’improviser à tout va, de danser, de sauter, de pirouetter, de se pendre aux rideaux et parfois même de grimper aux rideaux. Gilles Defacque, c’est son nom, est né dans une salle de bal-catch-cinéma que tenaient ses parents, en Picardie. On peut affirmer que, à l’instar d’Obélix, il est tombé dans la marmite du music-hall dès l’enfance. Mais c’est là leur seul point commun ». Marie-José Sirach

À voir : Un portrait de Gilles Defacque et du Prato. Par Gwenola David et Yannic Mancel, avec documents sur les 40 années d’histoires, vidéos de spectacles et de présentation du Prato, dossiers de spectacles, livrets de créations… Un documentaire « HORS-PISTE Gilles Defacque et le Théâtre du Prato », de Pierre Verdez en partenariat avec le CNC.

À visiter : Du 17/01/25 au 08/02/25, une exposition au Théâtre du Nord : Aujourd’hui c’est mon anniversaire ! « Pour l’exposition tu leur diras bien, tu leur expliqueras bien que c’est pas morbide, bien sûr il y a l’hôpital, il y a la mort, mais c’est le processus créatif qui ne peut pas s’arrêter. C’est pas morbide. C’est pas un hommage ». Gilles Defacque

« Gilles nous a quittés, (…) mais il n’a pas dit son dernier mot. Depuis sa chambre d’hôpital, il n’a cessé d’écrire des poèmes, de dessiner, de se filmer, de faire des photos, dans le but de proposer cette dernière exposition (enfin, qui sait, avec lui), comme un pied de nez à la mort elle-même ». Le Théâtre du Nord

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Une réponse à “Gilles Defacque, le clown est mort

  1. Reçu le 29/12, en fin de soirée :

    Chantiers de culture l’apprend, une bien triste nouvelle ! Gilles Defacque, quel artiste, toujours conscient du public et sans démagogie aucune. Impression qu’il en était, du public, et c’est de là, de ce cercle qu’il jouait : quelle présence au festival d’Uzeste, quelle humanité ! Beaucoup de larmes, de peine, ce soir. La mort du clown. Jean-Pierre Burdin

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