Vassili Grossman entre en scène

Au Théâtre-Studio d’Alfortville (94) Gerold Schumann met en scène Vie et destin. Adaptée par René Fix, une vaste fresque romanesque qui valut à son auteur, le journaliste et écrivain juif soviétique Vassili Grossman (1905-1964), une effroyable cascade de déboires et de menaces, avant et jusqu’après la mort de Staline.

Vassili Grossman eut droit à tout : foudres de la censure, fouilles du KGB, trahisons d’éditeurs et de collègues écrivains. Dès ses débuts, il flirtait « entre le bannissement et les honneurs ». Ses écrits ne collaient pas au « réalisme socialiste ». Il fut célèbre en sa qualité de correspondant de guerre pour l’Étoile rouge, organe de l’Armée rouge, durant la bataille de Stalingrad et la découverte des camps nazis. Sur le front en Ukraine, il éprouve l’ampleur des massacres perpétrés contre les juifs, il apprend la mort de sa mère dans le ghetto de Berditchev, sa ville natale. Vie et destin passa en Occident dans la clandestinité sous la forme de microfilms, pour être publié en Suisse et en France.

Une mise en scène qui relève de la gageure

On se dit que porter en scène une telle somme littéraire relève de la gageure et que qui trop embrasse mal étreint, mais on n’oublie pas que le Russe Lev Dodine avait présenté en 2007 sa version de Vie et destin à la MC93 de Bobigny, avec de grands moyens. Gerold Schumann n’a pas les mêmes. Du moins sa réalisation tient-elle compte des enjeux majeurs de l’œuvre, mis en pratique par six interprètes (François Clavier, Maria Zachenska, Thérésa Berger, Vincent Bernard, Thomas Segouin et le guitariste Yannick Deborne). Ils ont à vite changer de personnage en annonçant la couleur : officier SS, officier soviétique, soldate russe, soldat allemand, Eichmann, femme ukrainienne, etc.

Parfois on s’y perd un peu, mais le climat tragique d’un temps de guerre totale, à l’héritage actuel si lourd, est alors synthétisé en ondes concentriques à l’aide de la vidéo qui cite, en noir et blanc, les ruines de Stalingrad, entre autres terribles épisodes historiques dans lesquels fut impliqué, à son corps défendant, Vassili Grossman. Lui qui osa dire : « En mille ans l’Homme russe a vu de tout, mais il n’a jamais vu une chose : la démocratie ». Jean-Pierre Léonardini, photos Jennifer Herovic

Vie et destin, Gerold Schumann : Jusqu’au 01/02, du mardi au samedi à 20h30. Théâtre-Studio d’Alfortville, 16 rue Marcelin Berthelot, 94140 Alfortville (Tél. : 01.43.76.86.56). Le 30/04, au Théâtre de l’Arlequin à Morsang-sur-Orge (91).

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