Revisitant son répertoire et vingt ans de carrière, Yves Jamait se souvient avec son Plancha Tour. Chantant le monde qui va et vient. Surtout le monde qui ne va pas bien, le temps qui file au lendemain de la soixantaine, la dernière tournée au bar, le blues des ruptures. Toujours avec le même plaisir à l’affiche.

Un brin de nostalgie au cœur, une chope de bière en main, la casquette toujours vissée sur la tête… C’était en 2016, c’est peut-être la dernière au bar, le bistrot va bientôt fermer, il n’empêche : le goûteur de demi qui ne fait jamais les choses à moitié donne encore de la voix, fidèle à ses habitudes ! Yves Jamait ? Une chanson populaire, dans la veine de ce courant entre réalisme et poésie. Des mots ciselés à la perfection, des mélodies qui s’accrochent aux oreilles, un artiste à l’image de ceux-là qui ont bourlingué de bistrot en cabaret à la rencontre de leur public, avant d’espérer faire un jour la une des media : le regretté Allain Leprest, Agnès Bihl, Loïc Lantoine, Zaz, Jehan…

« Que les media nous ignorent, je m’en moque », affirme sans détour le joyeux enfant de la Bourgogne, « les radios fonctionnent sur des critères aberrants qui nivellent tout, je préfère la scène, au moins je fais du spectacle vivant toute l’année ! ». Lui, le cuisinier de métier, ne se prend pas la tête, il a fait trente-six boulots avant de vivre de la chanson. Le succès, certes il l’apprécie, il y goûte telle une sauce réussie, toujours avec la même envie : qu’au final d’un concert, le public reparte heureux ! Le dijonnais de cœur ne fantasme pas sous les néons de la capitale, « je vais de temps en temps à Paris mais mon parcours est en province ». Avec L’autre, arpenter les routes de la France profonde plutôt que Paname…
Barbara, Brassens, Brel…
À l’appellation « chanson réaliste », le titi des vignobles esquive et préfère en rire, n’appréciant pas trop les classifications, souvent synonymes d’exclusion. « Un terme très péjoratif dans les media » pour celui qui préfère parler de cette chanson qui a du sens. À l’image de ces aînés qu’il prend plaisir à citer, une longue liste d’où émergent les noms de Barbara, Brel, Brassens mais aussi ceux de Béranger et du gars Ferré des années cinquante… Sans oublier Maxime le Forestier, l’idole de ses jeunes années ! « Je préfère miser sur l’intelligence du public », confesse celui qui sait manier l’humour entre deux chansons et parvient, pendant un concert, à faire partager son plaisir d’être sur scène. Avec Jamait, jamais de faux semblants, de la chanson brute peut-être, à cœur et à corps, mais aussi et toujours un divertissement sur de beaux accords, tels « Gare au train » ou « Même sans toi » extraits de la « Saison 4 »… Toujours aussi amoureux des duos, hier avec Zaz et sa propre fille, avec Sanseverino. Des concerts aujourd’hui où, Plancha Tour, il revisite vingt ans de carrière et son répertoire, repris en cœur par le public.

L’amour sur un fil, le temps qui file… Le chanteur aimerait bien « refaire la carte d’un monde disparu » ! Celui sûrement de ce temps où la chanson se baladait d’un trottoir à l’autre, de bistrot en bistrot, entre voix éraillée et piano du pauvre… Qu’on se le dise, même s’il refuse l’étiquette de chanteur engagé, il assume sans rougir ses origines populaires. Elles lui ont permis d’aiguiser son regard sur les aléas de la vie, de creuser un original sillon poétique. Qui mêle le cœur aux tripes, les coups de griffes aux plus jolis mots d’amour. « Chanter, c’est rendre compte de notre vie et de celle des autres en partant des émotions que cela fait naître en nous », confie-t-il. Au premier rang des sentiments, l’amour. Ou plutôt, très souvent, le désamour, comme une quête permanente pour un bonheur bien difficile à construire.
« Peut-on pousser l’introspection jusqu’à l’autre, et puis… d’abord, qui c’est l’autre ?
Celui qui se distingue de ne pas être moi ?…
C’est un mystère… Aussi étrange qu’un chien bleu…
N’est-on pas toujours le chien bleu de quelqu’un ?
Bon, comme ça, ça fait un peu sujet de philo, mais c’est ce truc là que j’ai fouillé, manié, pétri pour en extraire des chansons. Maintenant il faut les faire vivre, leur redonner leur oralité, les entendre, les chanter… ensemble… ça ne se fera pas sans l’autre…
Et l’autre c’est vous ».
Yves Jamait
Dans ce registre, l’homme à la casquette nous conduit ainsi dans les méandres d’histoires amoureuses rimant souvent avec fins malheureuses. Une ambiance sombre se dégage de ces chansons où le mal être et l’errance entraînent les âmes en détresse à noyer leur chagrin au fond d’un verre. Des trajectoires, des destinées que Fréhel, Piaf et d’autres ont chantées bien avant, il y a longtemps… Les moments tragiques de l’existence y sont décrits avec la même force, la même authenticité : chez Jamait, il y a cette faculté à porter un regard incisif sur les souffrances extrêmes, comme celui qu’il pose sur les femmes battues dans « Je passais par hasard ». Sans concession, il traite du malheur vécu au quotidien, évoque ce qui reste encore un tabou.

Avec lui, sans préméditation mais avec force conviction, toute une génération « chantiste » (Agnès Bihl, Karimouche, Sarclo, Carmen Maria Véga, Zaz…) remet au goût du jour la puissance emblématique de ces chansons qui contaient, à mots couverts ou crus, l’exploitation humaine la plus violente, condamnant à leur façon une société qui ne tourne pas rond. Dans la démarche pourtant, aucun signe partisan, si ce n’est celui de témoigner. « J’écris des chansons. Cela reste pour moi une création qui interpelle le sensible, transmet de l’émotion. Je le fais à partir de ce qui me touche, de ce que je connais de la vie », martèle Yves Jamait. Sans ignorer l’humour, le rire salvateur ! « OK tu t’en vas », clame le dijonnais, « c’est triste et ça m’ennuie. Mais si tu pouvais en partant descendre les poubelles »… Vocabulaire décapant, liberté de ton, esprit de révolte, puissance des sentiments !

En paroles et musiques, Yves Jamait illustre une belle page de la chanson française contemporaine. Sans casquette désormais mais toujours avec les mêmes convictions après vingt ans de carrière, onze albums et trois disques d’or… Une chanson ancrée dans la vie de tous les jours, une chanson qui ouvre au dialogue avec le public et privilégie la scène comme lieu d’expression. Yonnel Liégeois
Yves Jamait, la tournée : Le 01/02, Villefranche-sur-Saône (69). Les 02 et 03/02, Beaucourt (90). Le 08/02, Montbrison (42). Le 14/02, Saint-Aubin du Cormier (35). Le 07/03, Toulouse (31). Le 14/03, Namur (Belgique). Le 15/03, Genappe (Belgique). Le 21/03, Beaumont sur Oise (95).





