Torreton, au fil de Genet !

Au théâtre de la Ville/Les Abbesses (75), Philippe Torreton propose Le funambule. En compagnie des fildeféristes Lucas Bergandi/Julien Posada (en alternance) et du musicien Boris Boublil, la mise en piste du chant d’amour de Jean Genet à Abdallah Bentaga, son amant et acrobate. Du poème funèbre au discours sur le spectacle vivant, un texte percutant, un trio flamboyant.

Un chapiteau de cirque miteux, l’orage qui gronde et la toile qui risque de prendre l’eau…De part et d’autre de la piste, un fil de fer pas encore tendu, un homme assoupi sur un lit de fortune. Résonne une voix grave, profonde et presque caverneuse. Dans un filet de lumière, le poète soliloque. Sur la vie et la gloire, la mort au rendez-vous du saut périlleux arrière à dix mètres du sol, les regards complices d’un public ingrat ou amoureux : en coulisses l’artiste n’est rien, en piste il est tout ! Sous réserve de ne pas rater son pas de danse sur le fil, d’accorder mouvements du corps et battements du cœur, risquer sa vie juste pour éblouir…

La main du récitant effleure la peau du Funambule. Qui se redresse, beau, sculptural en son slip de scène, claudiquant d’un pied bandé, hésitant à braver son fil… L’un muet, l’autre bavard tandis que le multiinstrumentiste claque ses notes, piano-guitare-percussions, graves ou aigues, sombres ou lumineuses, pianissimo ou fortissimo. Chacun à son agrès, un original chant choral : pied souple mais ferme pour un équilibre parfait sur le fil (Lucas Bergandi/Julien Posada), voix claire aux intonations finement placées (Philippe Torreton), doigts agiles gambadant sur le clavier (Boris Boublil). Sous les lumières du chapiteau improvisé, salle des Abbesses au pied de la butte Montmartre, le trio décline son art à la perfection. « L’acteur prodige, qui a joué avec les plus grands noms du théâtre et du cinéma (…), se frotte ici à l’écriture enflammée et inflammable de Genet », commente Marina Da Silva, notre consœur et contributrice aux Chantiers, « une écriture avec laquelle on ne peut pas tricher, où la prise de risque de l’acrobate et le souffle du poète imposent la radicalité d’un jeu plus vrai que vrai ».

L’auteur des Bonnes et des Nègres, théâtre lui-aussi sur le fil entre amour et obscénité, écrit Le funambule en 1958, fulgurant poème pour Abdallah, son amant fildefériste. Qui chute, se blesse irrémédiablement et se suicide de désespoir… L’éloge du cirque et de ses artistes, du spectacle vivant en général pour ses contraintes et exigences, triomphes et désillusions, se mue de facto en chant funèbre d’une extrême flamboyance. Tendu sur son fil pour l’un, les deux pieds dans la cendrée pour l’autre, l’impromptu d’un dialogue inattendu, un spectacle d’une beauté et d’une profondeur sidérantes. Yonnel Liégeois, photos Pascale Cholette

Le funambule, Philippe Torreton : jusqu’au 20/03, du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 15h. Théâtre des Abbesses, 31 rue des Abbesses, 75018 Paris (Tél. : 01.42.74.22.77). Du 06 au 10/05 au Théâtre des Célestins, Lyon (69).

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