Affrété par la ville de Montreuil (93), en partenariat avec le Mémorial de la Shoah à Paris, un avion a décollé en direction de Cracovie, l’ancienne capitale du royaume de Pologne. Destination ? Auschwitz-Birkenau, les camps de concentration et d’extermination. Une journée mémorielle en cette année du 80ème anniversaire de la libération des camps de la mort, le 27/01/1945, par l’armée rouge.

Un dimanche de mars, froid et sec, aux aurores… À bord de l’aéronef en direction de Cracovie, plus de 140 citoyens de la ville de Montreuil, venus des différents quartiers et d’origines diverses, lycéennes et lycéens avec leurs professeurs, le maire Patrice Bessac accompagné de plusieurs élus. Allison et Ambre, les deux référentes de cet atypique « voyage mémoire », ont alerté les participants : la journée sera harassante et stressante. Des ascensions et randonnées, longue est la liste de nos pérégrinations ! Des volcans balinais à l’Atlas marocain, des sommets alpins au désert saharien… Présentement, nous n’avons rien grimpé, nous avons plongé au plus profond de la cruauté, de l’inhumanité : une journée à Auschwitz-Birkenau ! Plus de 13km de marche pour le parcours de la mort, des dizaines d’escaliers à monter et descendre à la visite des différents baraquements…
Sur 42 ha, d’une superficie cinq fois plus grande à l’époque, le camp de concentration et le camp d’extermination, les deux dirigés par le sinistre Rudolf Hess : entre fumées des crématoires et barbelés des baraquements, son épouse s’y plaisait si bien en compagnie de ses cinq enfants qu’elle rechigna à quitter les lieux lorsque son mari fut rappelé à Berlin par Hitler ! Situé en Haute- Silésie, alors annexée par l’Allemagne, à 50 km environ de Cracovie, Auschwitz-Birkenau fut le plus grand complexe concentrationnaire et d’extermination du troisième Reich. D’abord camp de concentration pour Polonais et Russes à sa création en 1940, s’y ajoute le camp d’extermination en 1941. Le premier four crématoire est mis au point à Auschwitz, quatre (un cinquième en prévision) seront construits à Birkenau avec leurs annexes : salle de déshabillage et prétendue salle des douches !

Durant toute la visite, jamais la guide n’emploiera les termes chambres à gaz et personnes gazées, elle usera des mots assassinat (meurtre avec préméditation) ou mise à mort. En cinq ans, plus de 1 100 000 hommes-femmes et enfants furent exterminés (prisonniers polonais et russes au début, ensuite juifs, tziganes et handicapés), 900 000 le jour-même de leur arrivée au camp dans les wagons à bestiaux. D’un baraquement l’autre, d’une salle d’exposition à l’autre, l’horreur s’affiche en ses plus hauts sommets : 7 tonnes de cheveux coupés, des dizaines de milliers de chaussures d’enfants, des milliers de prothèses médicales, béquilles et cannes… Josef Mengele, l’ignoble docteur et bourreau aux monstrueuses expériences sur le corps d’humains vivants, a sévi en ces lieux. L’insoutenable est devant nos yeux, une vision qui donne chair et sang à tout ce qu’on a pu lire ou voir à la télé : comment prétendre que tout cela n’a jamais existé, que c’est un détail de l’histoire !

À la veille de leur fuite, les nazis ont voulu faire disparaître toute trace du génocide. Détruisant chambres d’extermination et fours crématoires de Birkenau, celui d’Auschwitz toujours intact. Demeurent les ruines, amas de pierre, de leurs forfaits… Grâce aux organisations juives et à la Pologne, au soutien de divers pays dont la France, le site est devenu lieu de mémoire, inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco. La reconstitution est impressionnante, les baraquements aménagés en divers musées émouvants et parlants. De la première rampe de débarquement des wagons où s’opérait la sélection, les 900 mètres du chemin qui conduit à la salle de déshabillage se font d’un pas lourd et pesant, silencieux. Le chemin d’une terrifiante politique d’extermination raciale, programmée et planifiée.

Ici, le wagon à bestiaux pour un long voyage dans la promiscuité et la pestilence, là-bas pour les rescapés de la sélection la salle des latrines à la vue de tous, à côté les dortoirs aux couchettes de bois superposées, litières de paille suffocantes de chaleur en été et glaciales en hiver… Dans cette région alors marécageuse et infestée de moustiques, sinistres mouroirs pour les internés atteints de typhus. À l’entrée du camp, les visiteurs passent sous l’emblématique et innommable portique « Arbeit macht frei » (Le travail rend libre) alors que notre marche sous un ciel clément nous a porté jusqu’à l’absolue déchéance humaine : pour la récupération des vêtements et effets personnels des condamnés à mort au profit des nazis, la salle de déshabillage trois fois plus grande que celle des supposées douches où étaient parquées et entassées les victimes, où étaient lâchées les pastilles de zikllon b !

Pour mémoire et refus d’un bégaiement de l’histoire, contre les camps d’internement à la mort programmée qui sévissent encore en divers pays, devant quelques dictatures en place qui ne disent pas vraiment leur nom, fouler le sol d’Auschwitz-Birkenau où les cendres des disparus ensemencent la terre ? Un acte aussi douloureux que salutaire, acte de résilience et de fraternité entre hommes et femmes, quelles que soient leur ethnie ou leur religion. Face à la résurgence prégnante de l’extrême-droite et des intégrismes, aux actes et propos antisémites répétés, aux saluts nazis décomplexés de divers politiques et puissants industriels, la vigilance s’impose. Qui ouvre et incite à la réflexion, invite à clamer haut et fort : plus jamais ça, un vibrant hymne à la vie pour tous, frères et sœurs en humanité ! Yonnel Liégeois
EN SAVOIR PLUS

À visiter : Le mémorial et musée d’Auschwitz-Birkenau. Le mémorial de la Shoah à Paris, celui de Drançy (93).
À lire : Si c’est un homme, Primo Levi. La nuit, Elie Wiesel. L’espèce humaine, Robert Antelme. Maus, Art Spiegelman. Être sans destin, Imre Kertész. Une jeunesse au temps de la Shoah, Simone Veil. Quel beau dimanche, Jorge Semprun. Le tort du soldat, Erri De Luca. La mémoire et les jours, Charlotte Delbo. Deux frères à Auschwitz, Léon Arditti. Où passe l’aiguille, Véronique Mougin. Ces mots pour sépulture, Benjamin Orenstein. Écorces, Georges Didi-Huberman.
À applaudir : La disparition de Josef Mengele, à la Pépinière théâtre.
À voir : Shoah, Claude Lanzmann. Nuit et brouillard, Alain Resnais. La vie est belle, Roberto Benigni. La liste de Schindler, Steven Spielberg. Au revoir les enfants, Louis Malle.







Une visite-hommage indispensable qui remet les pendules à l’heure en ces temps troublés. Ne pas oublier le nom polonais initial : Oswiecim … Phonétiquement transformé par les nazis pour la postérité de l’horreur.