Yalla, l’impossible dialogue

Au théâtre de la Reine blanche (75), Deborah Banoun présente Yalla. Le dialogue impossible entre une jeune soldate israélienne, fusil mitrailleur en bandoulière et un adolescent palestinien, caillou à la main. Dans un dispositif scénique original, un spectacle fort émouvant et percutant.

Une longue table, à chaque extrémité une fille et un garçon tête baissée et les mains sur les yeux…Atmosphère sombre, silence de mort. Elle se lève, parle. Soldate novice, elle regrette presque d’être là, le doigt sur la gâchette. Ses compagnons d’arme l’ont prévenue, elle n’est ni à sa place ni à la hauteur. Dans les bureaux ou monter la garde à la caserne, oui… Elle refuse, elle a dit non, elle veut défendre sa terre, sa patrie. Quelle terre, à qui ? Le gamin la regarde, l’observe, la fixe. Il est chez lui, on l’en a chassé. Comme les grands, il veut récupérer ce qu’on lui a volé, peut-être cette maison ou cette plantation d’oliviers que l’on imagine au loin. Caillou en main, comme les anciens, comme sa mère qui tremble pour lui, il veut défendre sa terre, sa patrie. La peur au ventre, balle qui va siffler ou pierre qui va voler, ils entrecroisent leurs monologues. Paroles intérieures proclamées à voix haute, à tour de rôle, sans jamais se rencontrer ou dialoguer : bouleversantes et pathétiques, poignantes et dramatiques, une jeunesse sacrifiée, un avenir sabordé !

Le temps suspendu entre deux visions d’une même réalité, la tragédie dont s’est inspirée l’auteure Sonia Ristic. En mai 2011, lors de la commémoration de la Nakba (les Palestiniens chassés de leurs terres au lendemain de la création de l’état d’Israël en mai 1948), les exilés se massent à la frontière libano-israélienne. Une manifestation pacifique, pour toute arme des drapeaux, l’armée tire : une douzaine de morts et des centaines de blessés sous les balles de Tsahal. De chaque côté de la table, symbole de partage et de convivialité dans un ailleurs, les paroles fusent. Tantôt acerbes et violentes, tantôt douces et presque poétiques sur ce chemin caillouteux où chaque pas crisse, frontière imaginaire à la mort supposée… Peur et douleur nous sont contées, sans pathos superflu, pour l’une et l’autre la vérité d’un conflit qui les ronge et les dépasse. Jeune fille en uniforme, jeune garçon en jean, ne pourront-ils donc jamais se parler, dialoguer, peut-être s’aimer ?

 Entre foi en la terre promise et colère d’un peuple déraciné, Pauline Étienne et Mohamed Belhadjine maîtrisent leur jeu à la perfection. Le public est submergé, subjugué. Immergé surtout dans un dispositif scénique original, et fort prégnant, dont nous ne dirons mot. Yalla pour l’un, « en avant, allons-y » en langue arabe, Yalla pour l’autre que l’on peut traduire aussi en hébreu par « Dieu, le divin », résonnent cruellement à l’heure d’une nouvelle tragédie. L’humain foudroyé dans la plus sombre inhumanité lorsqu’une jeunesse torpille son futur dans la haine et la violence. Pierre et fusil à terre, nous osons croire encore en un regard partagé l’une envers l’autre. Yonnel Liégeois

Yalla, Sonia Ristic et Deborah Banoun : jusqu’au 20/04, les mercredi et vendredi à 21h, le dimanche à 18h. Théâtre de La reine blanche, 2bis passage Ruelle, 75018 Paris (Tél. : 01.40.05.06.96).         

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