Gérald Bloncourt, l’œil partagé

Jusqu’au 30/05, sur les grilles du square de la Tour Saint Jacques (75), la ville de Paris expose « Gérald Bloncourt, franc-tireur de l’image ». Opposant à la dictature en Haïti, expulsé et réfugié en France, il a conté en images cinquante ans d’histoire populaire. Un homme à la chaleur communicante, à la main fraternelle, à l’œil partagé : un poète, un peintre, un créateur !

Pour l’occasion, nous remettons en ligne l’article que lui consacrait Chantiers de culture lors de son décès en octobre 2018. À noter que photos et livre mural sont à voir aussi au Centre Pompidou dans l’expo Paris noir jusqu’au 30/06, à soutenir l’association Haïti Futur.

« C’était un conteur extraordinaire, mais aussi un militant très dur », témoigne Isabelle Bloncourt-Repiton, son épouse, en référence à l’engagement sans faille du photographe qui nous a quittés le 29 octobre, à la veille de ses 92 ans. « Son rêve de jeunesse ? Devenir peintre, mais il était trop militant et actif », ajoute-t-elle. Enfant métis de parents français, né le 4 novembre 1926 dans le sud d’Haïti, il crée en 1944, avec d’autres intellectuels, le Centre d’art d’Haïti, pour la promotion de la création artistique. Deux ans plus tard, en janvier 1946, il est l’un des leaders de la révolution des Cinq Glorieuses. En cinq jours, le pouvoir est renversé mais la junte qui s’installe traque les jeunes communistes. Gérald Bloncourt est expulsé. « Il est resté viscéralement attaché à son île », poursuit sa femme. « En 1986, quand la dictature est tombée, il a créé un comité pour faire juger les Duvalier. Il a fait tout ce qu’il a pu pour que ce type ne meure pas tranquille. C’est un combat qu’il n’a jamais lâché ».

À Paris, après son expulsion d’Haïti, il obtient des papiers sous la protection d’Aimé Césaire et se met à la photo. Embauché par le quotidien L’Humanité, il découvre les immenses bidonvilles de la région parisienne. Devenu reporter indépendant en 1958, il couvre la manifestation anti-OAS du 8 février 1962 qui fit neuf morts au métro Charonne. « Il s’est mis à photographier les conditions de travail », résume Isabelle Bloncourt-Repiton : il suit la construction de la tour Montparnasse (1969-1973), « étage par étage », et se fond dans la communauté portugaise, dont le destin lui tient à cœur. En 1974, il est à Lisbonne pour la Révolution des Œillets et immortalise les capitaines d’avril.

Photos et poèmes, des clics et des plumes

Dès lors, ses clichés fleurissent à la une de nombreux journaux : L’Express, Témoignage Chrétien, L’Humanité, Le Nouvel Observateur, La Vie Ouvrière à laquelle il restera fidèlement attaché : chaque année, jusqu’en 2017, il participe au repas fraternel des « Anciens » ! Malade depuis trois ans, « il a toujours continué à écrire, à dessiner », confie son épouse. Gérald Bloncourt avait achevé en avril une fiction aux accents autobiographiques, dans laquelle « il livre en quelque sorte son testament aux générations futures d’Haïti ».

Ma première rencontre avec Gérald remonte à la fin des années 1970, nos routes convergeront plus tard dans les couloirs d’autres rédactions, celles de Témoignage Chrétien et de La Vie Ouvrière. En ce temps-là, jeune rédacteur à Jeunesse Ouvrière, le mensuel de la J.O.C. (Jeunesse Ouvrière Chrétienne), un mouvement d’éducation populaire alors florissant, je croise le photographe. Sacoche en bandoulière, la démarche intrépide et le sourire bienveillant, il vient livrer ses photos ! Avec le don du partage qui le caractérisait, en actes et en paroles, il m’offre un jour les tirages noir et blanc de deux photographies que nous avions publiées. L’une quelque peu jaunie, l’autre mieux conservée, les deux ont suivi le cours de ma vie jusqu’à aujourd’hui, en dépit des heurts et des déménagements ! Elles symbolisent tout l’art de Gérald Bloncourt : son amour sans bornes des hommes et femmes debout, sa foi en l’avenir du monde et de la jeunesse, joyeuse ou mutilée,  son attention sans cesse renouvelée et jamais rassasiée aux « gens de peu ».

Gérald Bloncourt ? Plus qu’un photographe, un déclic fraternel qui savait aussi peindre l’autre et décliner le poème ! Yonnel Liégeois, avec Culturebox

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