Mathieu Bauer voit rouge !

Au théâtre Silvia Monfort (75), Mathieu Bauer présente Palombella rossa. Le metteur en scène et cinéphile adapte l’un des premiers films de Nanni Moretti, au titre éponyme. Une invitation à remettre un peu d’utopie dans les rouages de la pensée politique.

À l’automne 1989 sort sur les écrans Palombella rossa, de Nanni Moretti. Le mur de Berlin n’est pas encore tombé. Le grand leader charismatique du Parti communiste italien (PCI) Enrico Berlinguer est mort quelques années auparavant, laissant son parti et la gauche italienne en proie à un grand désarroi. Cette même année, Moretti sillonne, caméra à la main, les réunions de cellule du PCI et saisit sur le vif les discussions, âpres, passionnées et passionnantes des militants à l’heure où la direction propose de changer le nom du parti : la Cosa est un documentaire de grande portée historique et politique. Ces deux films ont inspiré le travail de Mathieu Bauer. C’est tout autour de la piscine où se déroule l’étrange match de water-polo du film de Moretti que Mathieu Bauer a installé son petit monde. Sur le grand plateau du théâtre, les bords d’un bassin avec ses plots, ses lignes, ses gradins et sa petite buvette aux couleurs vives plantent un décor plus vrai que nature (scénographie Chantal de La Coste) tandis qu’une bande-son diffuse les bruits sourds, étouffés des cris des joueurs de water-polo qui plongent dans la piscine (création sonore d’Alexis Pawlak).

Rendez-vous manqué avec l’histoire

C’est Nicolas Bouchaud qui endosse le rôle de Michele Apicella, personnage principal de cette histoire. En peignoir ou en maillot, bonnet de bain sur la tête, il arpente les bords du bassin en proie à moult interrogations, comment être – encore – communiste à l’heure où tout semble partir à vau-l’eau. Notre héros est devenu amnésique suite à un accident de voiture. Son arrivée sur le plateau, un volant à la main, est un moment cocasse qui plonge sans pathos le spectateur au cœur du sujet. Michele Apicella tente de recoller les morceaux d’une mémoire trouée, souvenirs d’enfance et de militant s’entremêlent dans le désordre. Comme dans le film de Moretti, on assiste à la projection de la scène culte et terrible du Docteur Jivago où, dans ce tramway moscovite bondé, le rendez-vous raté entre Lara et Youri renvoie au rendez-vous manqué avec l’histoire.

Sur le bord du bassin, Apicella s’affronte avec sa fille, avec son entraîneur ; il répond à une journaliste venue l’interviewer mais celle-ci ne cesse de lui couper la parole, estimant que ses réponses sont trop longues ou trop complexes. La télévision berlusconienne imprime déjà sa marque de fabrique fascisante qui désormais a pignon sur écran partout dans le monde. L’heure est à l’entertainment, au divertissement, aux clashs et aux confessions scabreuses. La parole et la pensée politique n’y ont plus leur place : c’est le triomphe de la vulgarité. Alors sans transition, une chanteuse pousse la chansonnette (formidable Clémence Jeanguillaume). Du passé, mais pas n’importe lequel, faisons table rase. Apicella résiste, questionne, se questionne. Qu’a-t-il fait de sa vie ? Joueur de water-polo ? Militant communiste dont la seule trace est sa vieille carte du parti retrouvée au fond de la poche de sa veste ? Transformer le monde ? Mais pour quoi faire quand le socialisme réel a lui-même trahi l’utopie communiste ? Comment retrouver le sens du collectif ? À ce moment-là, le sens de l’histoire échappe à Apicella. Renoncer, ne pas renoncer…

Des interrogations à l’aune du monde d’aujourd’hui

Même si elle ne manque ni d’audace ni d’ambition, la mise en scène de Mathieu Bauer, toujours en work in progress, pèche à certains endroits par un trop-plein d’intentions, de peur de rater sa cible ? Louable tentative, quoi qu’il en soit, que de requestionner cette période là où d’aucuns s’étaient empressés de déclarer la fin de l’histoire. Mathieu Bauer s’interroge à l’aune du monde d’aujourd’hui, tentant, à la manière de Moretti à son époque, de se jeter à l’eau, de se débattre comme un beau diable avec ces questionnements qui sont les nôtres sur la gauche, le communisme, le libéralisme. Les ballons rebondissent là où on ne les attend pas et les joueurs ratent leur pénalité, l’arbitre siffle à en avaler son sifflet.

Palombella rossa n’est en rien désespérant mais nous incite à la jouer collectif, à remettre un peu d’utopie dans les rouages de la pensée politique, du courage (et il en faut), sans manichéisme et avec une pointe d’autodérision nécessaire. C’est déjà ça. On songe alors au dernier film de Moretti, Vers un avenir radieux et on se reprend à rêver un autre monde… Marie-José Sirach, photos Simon Gosselin

Palombella rossa, Mathieu Bauer : Du 03 au 14/06, du mardi au vendredi à 20h30, le samedi à 19h30. Théâtre Silvia Monfort, 106 rue Brancion, 75015 Paris (Tél. : 01.56.08.33.88).

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