En septembre 1947, naît le festival d’Avignon lors de l’exposition Une semaine d’art en Avignon. Futur directeur du TNP à Chaillot (75), Jean Vilar propose trois créations, dont le Richard II de Shakespeare dans la Cour du Palais des papes… Paru dans le mensuel Sciences Humaines, un article de François Dosse.

Jean Vilar, comédien et metteur en scène, veut, dans l’après-guerre, dépasser la frontière de classe qui subsiste au plan culturel entre l’élite et le grand public. Au Théâtre national populaire (TNP), il cherche à concilier le répertoire avec une mission de divertissement capable d’attirer un nouveau public. Son ambition : réunir ceux qui ont déjà le goût et la pratique du théâtre et ceux qui n’ont pas encore sauté le pas. Pour lui, le théâtre « ne prend sa signification que lorsqu’il parvient à assembler et à unir ». En 1955, une polémique éclate entre Jean-Paul Sartre et Vilar : le premier, qui défend l’idée d’un théâtre à thèse, politiquement engagé dans une stratégie de rupture idéologique, reproche au second sa pratique d’un théâtre bourgeois. Jean Vilar lui répond indirectement : « Pour moi, théâtre populaire, cela veut dire théâtre universel ».

C’est fortuitement que Jean Vilar a trouvé le lieu idéal pour réaliser son projet et créé le Festival d’Avignon qui émergera comme rendez-vous incontournable, avec des manifestations théâtrales des plus diverses. À l’origine, il n’est question que de programmer trois spectacles pour accompagner, en 1947, une exposition d’arts plastiques : « Avignon devient, dans l’imaginaire de l’équipe du TNP, un berceau, un tremplin, un puits de jouvence », écrivent Emmanuelle Loyer et Antoine de Baecque (1). Le Festival s’impose rapidement comme un site privilégié d’expérimentation, d’aventure créative avant de rejoindre le théâtre de Chaillot à Paris, qui accueille les représentations après l’été. Il est encore aujourd’hui le creuset séminal de la création théâtrale.

En ces années 1950 des débuts du Festival d’Avignon, l’expression théâtrale se renouvelle radicalement. Le théâtre de l’absurde d’Eugène Ionesco et de Samuel Beckett a déjà pris ses distances avec le psychologisme. En attendant Godot, la pièce du second, parue en 1952, met en scène l’isolement des individus et leur incapacité à communiquer dans un monde dénué de sens. C’est aussi le succès du principe de distanciation de Bertolt Brecht, qui rompt avec le procédé classique d’identification, et dont Roland Barthes se fait le fervent défenseur. Il soutient le TNP de Jean Vilar et contribue à travers ses articles à élargir son public. Dans le cadre de son activité de critique théâtral, il assiste, enthousiaste, à une représentation par le Berliner Ensemble de Mère Courage de Bertolt Brecht au Théâtre des Nations en 1955 : il voit dans le dramaturge allemand celui qui réalise au théâtre ce qu’il a l’ambition de faire en littérature.

À l’été 1968, la contestation de mai perdure et se radicalise encore en se déplaçant vers le Festival d’Avignon, faisant cette fois le procès de la politique incarnée par Jean Vilar. On l’accuse de s’être transformé en valet de la culture bourgeoise. Alors qu’il a concocté un programme particulièrement moderne avec le Ballet du 20e siècle de Maurice Béjart et la troupe du Living Theatre dirigée par Julian Beck et Judith Malina, il est la cible d’attaques virulentes. Jean Vilar voit fleurir sur les murs de la ville les affiches qui s’en prennent à lui, le « Papape » : « Les échauffourées dans les rues et sur la place de l’Horloge se multiplient, les CRS chargent à plusieurs reprises. Le Festival est devenu un meeting permanent (1) ». De la place de l’Horloge à la place des Carmes, l’effervescence est à son comble. Le public est appelé à investir la scène et le théâtre se déplace dans la rue, donnant naissance à un Festival parallèle, le Off. On revendique un théâtre gratuit, populaire, innovant, spontané et critique. Comme l’écrit Claude Roy, le 21 août 1968 dans Le Monde, les contestataires font payer à Jean Vilar l’échec politique et social de Mai 68. François Dosse
(1) Histoire du Festival d’Avignon, d’Emmanuelle Loyer et Antoine de Baecque (Gallimard, 648 p., 42€). Le théâtre, service public, de Jean Vilar, 80 textes rassemblés par Armand Delcampe (Gallimard, 568 p., 35€90). Le théâtre citoyen de Jean Vilar, d’Emmanuelle Loyer (PUF, 260 p., 18€). Avignon, le royaume du théâtre, d’Antoine de Baecque (Découvertes Gallimard, 128 p., 15€80).Le festival d’Avignon 2025, du 05 au 26/07.
Dès sa création, Chantiers de culture a inscrit le mensuel Sciences Humaines sur sa page d’ouverture au titre des Sites amis. Un excellent magazine dont nous conseillons vivement la lecture.





