La justice, selon Tanguy Viel

Au théâtre 11-Avignon (84), Emmanuel Noblet met en scène Article 353 du Code pénal. Le polar de Tanguy Viel, avec Vincent Garanger dans le rôle d’un meurtrier face à un juge d’instruction. Le coupable n’est peut-être pas celui qu’on croit. Un procès à décharge instruit dans une langue incisive et rythmée.

Pourquoi Martial Kermeur a-t-il tué Antoine Lazenec ? Il ne nie pas son acte et ne cherche pas à se justifier. Les preuves sont irréfutables : hors champ, avant l’entrée en scène des comédiens, on aura entendu le corps de la victime tomber à la mer, lors d’une partie de pêche dans la rade de Brest. Devant le juge qui l’écoute en silence, attentif, et le relance de temps à autre, l’homme va dérouler son histoire. De sa plume bien trempée, dans Article 353 du Code pénal, Tanguy Viel évoque la vie de ce cinquantenaire discret sur qui les déboires se sont accumulés. Réduit au chômage à la suite de la fermeture de l’arsenal de Brest, il vivote comme gardien d’un domaine municipal. Sa femme l’a quitté et il vit avec son fils Ce dernier, furieux d’avoir vu son père mordre à l’hameçon du promoteur véreux, va tenter de se venger en s’en prenant au bateau que Lazenec s’est payé avec le fruit de son forfait.

Un polar breton

En quelques traits de plume, l’escroc est campé : « cow-boy » envoyé par « la providence » avec sa grosse voiture, ses souliers pointus et sa chemise à col ouvert, sans cravate. Antoine Lazenec réussit à tromper son monde en vendant du rêve avec un projet immobilier mirobolant : la construction d’une station balnéaire dans la rade de Brest. De quoi séduire les habitants dans ce coin du Finistère, marqué en ces années 1980 par la désindustrialisation et abandonné des pouvoirs publics. « On était comme aimantés par le futur », dit Kermeur qui, lui, y laissera sa prime de licenciement, et l‘estime de son fils. Un soir de beuverie et de vent, le maire, qui a cédé à « ce fumier » le château, domaine municipal, et engagé de l’argent public dans l’affaire, met fin à ses jours. Pour Kermeur, la coupe est pleine, il décide d’« ostraciser » le scélérat.

 Vincent Garanger, veste de cuir et tenue modeste, fait profil bas devant l’élégante stature du juge (Emmanuel Noblet), mais, une fois lancé, il s’embarque, imperturbable, dans un récit circonstancié. Il cherche ses mots, hésitant. Le romancier les lui donne, ils sont sans apprêt mais bien pesés, et traduisent un regard lucide sur les choses et les gens.  « C’est la mer qui me l’a demandé », dit l’homme à propos de son acte tragique. Dans Article 353 du Code pénal, l’océan est omniprésent. Ses tempêtes, ses eaux troubles, ses rochers sombres battus par les vagues reflètent les états d’âme de Kermeur. Les ambiances marines apportent un éclat de poésie aux longues phrases sinueuses de ce personnage d’habitude taiseux. La rade de Brest, cet « océan moins l’océan », apparaît brièvement sur l’écran en fond de scène, derrière un décor qui évoque « un non chantier », les ruines du château qui a été rasé pour construire « Les Grands Sables ».

La tempête sous un crâne

Vincent Garanger donne chair à un flot déchainé de paroles, alternant avec la froideur d’un compte rendu judiciaire. Sans ajouter d’effets de style au texte, le comédien devient ce monsieur tout le monde marqué par la malchance et les effets de la désindustrialisation. On entend dans son long monologue, la frustration des laissés pour compte de la société, leur colère rentrée, prête à exploser. La confession chargée de douleur d’une personne coupable d’avoir cru aux promesses mensongères d’un spéculateur illustre la fracture entre les gens de la France périphérique et une élite déconnectée où l’argent et l’arrogance font loi. Le juge saura-t-il l’entendre ? Selon l’article 353 du code de procédure pénale : « La loi ne demande pas compte aux juges des moyens par lesquels ils se sont convaincus (…) La loi ne leur pose que cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs : avez-vous une intime conviction ? ».

Pour sa part, à l’unanimité, le public a tranché. Article 353 du Code pénal interroge la notion de culpabilité et incite à découvrir les romans de Tanguy Viel. Mireille Davidovici, photos Jean-Louis Fernandez

Article 353 du Code pénal, Emmanuel Noblet d’après le roman de Tanguy Viel : jusqu’au 24/07 à 21h45, relâche le 18/07. les 20 et 21/02, à 20h. Théâtre 11-Avignon, 11 boulevard Raspail, 84000 Avignon (Tél. : 04.84.51.20.10).

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Classé dans Le conservatoire de Mireille, Littérature, Rideau rouge

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