Audrey Vernon, en zone poétique

Au Balcon d’Avignon (84), Audrey Vernon propose Comment traverser les sombres temps ? Le cabaret de la dernière chance, une zone poétique où la comédienne convoque Hannah Arendt. Un « seule en scène » qui fait sens et pique notre intelligence.

C’est l’histoire d’une comédienne qui voulait monter une comédie musicale sur Diam’s, une sorte de biopic sur une artiste qui a bataillé sec dans le milieu très mâle du rap, avant de mettre les voiles, au pluriel comme au singulier, de passer de « l’ultra-célébrité à la religion, du capitalisme à la spiritualité ». Et puis… Il y a eu l’Ukraine, Nahel, le réchauffement climatique, le massacre du 7 octobre, le déluge de feu sur Gaza. Le philosophe Adorno estimait qu’on ne pouvait plus écrire après Auschwitz. Mais « on est après Auschwitz, Hiroshima, Nagasaki, l’Irak, l’Ukraine, le Soudan, le Rwanda, le Congo et pendant Gaza », constate Audrey Vernon.

De Chantal Goya à Hannah Arendt…

Faire ou ne pas faire du théâtre quand un génocide se déroule à quelques milliers de kilomètres ? Quand la planète brûle, quand la Méditerranée est un cimetière à ciel ouvert. Et oh, comment ça va, le monde ? Seule en scène, Audrey Vernon brave tout, la lâcheté, la couardise qui enveloppent le monde dans un linceul d’hypocrisie. Et cherche des points d’appui, histoire de ne pas crever « de faiblesse » comme aurait pu dire Romain Gary ; histoire de ne pas sombrer dans la sidération, le défaitisme. Dans une salopette bleu travail, elle va convoquer le Big Bazar et Hannah Arendt ; Chantal Goya et Hannah Arendt ; ses crises existentielles, environnementales ou féministes, les travaux dans sa cuisine et Hannah Arendt, toujours.

Pour « traverser les sombres temps », Audrey Vernon a imaginé une comédie musicale, où la figure de la philosophe allemande en serait l’épicentre. Un biopic comme en raffolent les studios de Hollywood – elle voit déjà Meryl Streep remporter l’Oscar. Une constellation Arendt qui trouverait sa place entre la Grande et la Petite Ourse. Dans cette nébuleuse aux ramifications solides, on y croise Günther Anders, Walter Benjamin, Brecht, Tolstoï, Kafka, Dostoïevski. Demandez le programme !

Un bras d’honneur à la médiocrité ambiante

Les idées fusent dans ce cabaret de la dernière chance, salutaire bouffée d’oxygène contre visions anxiogènes. Audrey Vernon transforme la scène en une Zone poétique à défendre. Elle a trouvé ce point d’équilibre qui conjugue rire et intelligence. Parce qu’on sort plus intelligent, plus armé de ce spectacle qui fait un joli bras d’honneur à la démagogie et la médiocrité ambiante. Une heure et demie durant laquelle on aura traversé les temps sombres du siècle passé, et les sombres temps d’aujourd’hui.

Son spectacle se clôt sur un poème du poète palestinien Refaat Alareer, mort à Gaza sous les bombes israéliennes le 6 décembre 2023 :

« S’il est écrit que je dois mourir/Il vous appartiendra alors de vivre/Pour raconter mon histoire/Pour vendre ces choses qui m’appartiennent/Et acheter une toile et des ficelles/Faites en sorte qu’elle soit bien blanche/Avec une longue traîne/Afin qu’un enfant quelque part à Gaza/ (…) Puisse voir ce cerf-volant/Mon cerf-volant à moi/Que vous aurez façonné/Qui volera/là-haut/Bien haut/Et que l’enfant puisse un instant penser/Qu’il s’agit là d’un ange/Revenu lui apporter de l’amour/S‘il était écrit que je dois mourir/Alors que ma mort apporte l’espoir/Que ma mort devienne une histoire » Marie-José Sirach, photos Laura Gilli / Hamza Djenat

Comment traverser les sombres temps ?, Audrey Vernon : jusqu’au 26/07, 15h10. Théâtre du Balcon, 38 rue Guillaume Puy, 84000 Avignon (Tél. : 04.90.85.00.80).

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