En marge du festival d’Avignon (84), syndicats et professionnels du secteur font part de leur inquiétude et de leur colère. Les mesures budgétaires préconisées par François Bayrou vont aggraver une situation déjà critique. Du fait, notamment, de la rigueur imposée aux collectivités locales par l’État.

« En quel temps sommes-nous donc, qui voit des artistes jetés aux lions », écrivait le poète Robert Walser (1878-1956). En entendant l’autre jour cette phrase dans le spectacle du Théâtre du Radeau, on est saisi de vertige tant la question du poète résonne avec les temps actuels. Quelle est donc cette époque où l’on assiste, silencieusement, au démantèlement de ce contrat tacite, à la fois éthique, politique et social, qui a fait de la France le pays de l’exception culturelle ? Il flotte dans les rues d’Avignon un sentiment d’impuissance et de sidération qui l’emporte sur la colère pourtant à fleur de peau, qui n’attend qu’une étincelle pour jaillir. Mais les temps sont durs. Chacun essaie de passer entre les gouttes, de sauver sa peau, de gagner sa vie.

Ce sont d’abord les compagnies de théâtre qui ont lourdement payé la facture des premières coupes budgétaires. Ce sont pourtant elles qui sont en première ligne, sur le terrain, le fameux territoire tant vanté par madame la ministre, au plus près des habitants, dans les écoles, les centres sociaux, les Ehpad, les villages, les quartiers. Et même les campings, Rachida Dati n’a rien inventé. C’est aussi tout le travail de médiation, d’éducation populaire, celui qui forme les spectateurs de demain, des citoyens émancipés, qui est mis à mal. Et désormais, les structures – scènes labellisées, centres dramatiques – sont, elles aussi, impactées par des choix économiques d’une violence inouïe, loin des impératifs de la création et de l’action culturelle.

Une étude vient confirmer les pires des projections. Celle de l’Association des professionnels de l’administration du spectacle (Lapas) qui indique une baisse moyenne de diffusion des spectacles de 33 % entre les saisons 2023 et 2025. Une tendance qui se confirme avec une chute prévisible aux alentours de 57 % pour la saison prochaine. L’étude estime que près de 20 % des compagnies pensent arrêter leur activité d’ici trois ans et constate que le nombre d’artistes au plateau diminue : de 4,2 comédiens en moyenne, il tomberait à 3,6 la saison prochaine. On y lit aussi que 75 % des compagnies ont revu à la baisse leurs projets.
Des motivations idéologiques et électoralistes
La liste est longue des coups fatals portés à la culture. L’arrêt de la part collective du passe Culture, gérée par l’éducation nationale, décidé sans aucune concertation, a provoqué la suspension immédiate de projets en milieu scolaire. Ghislain Gauthier, responsable de la CGT spectacle, lors d’une conférence de presse à la Bourse du travail d’Avignon, a rappelé « les 96 millions en moins l’an dernier pour la création, les 50 millions en moins sur le ministère de la Culture cette année », auxquels il convient d’ajouter « les coupes massives opérées par certaines collectivités : celles des Pays de Loire ou du département de l’Hérault, mais aussi celles plus discrètes mais tout aussi impactantes de la région Île-de-France qui a amputé son budget culture de 20 % ». Le responsable syndical parle « d’un effondrement le plus souvent motivé pour des raisons idéologiques ». Et même électoralistes pourrait-on ajouter, avec la perspective des élections municipales qui se dérouleront dans un an.

Ces chiffres qui affectent profondément l’art, la création et le service public de la culture sont à mettre en regard avec d’autres, tout aussi significatifs. Le gouvernement a décidé d’économiser 40 milliards sur le budget 2026 de la nation en rognant, entre autres, sur la culture, les retraités, les chômeurs, la santé… Que représentent ces 40 milliards au regard du coût annuel des 211 milliards d’euros d’aides publiques aux entreprises ? Une commission d’enquête, conduite par les sénateurs Fabien Gay (PCF) et Olivier Rietmann (LR), vient de révéler une absence de transparence et de contrôle total de ces aides généreusement distribuées aux entreprises. Quand on aime, on ne compte pas, non ? Ainsi apprend-on qu’Auchan a bénéficié de 1,3 milliard d’euros d’allégements de cotisations sociales et de 636 millions d’euros d’aides fiscales, que Michelin a empoché 32,4 millions d’exonérations de cotisations sociales, 40,4 millions de crédit d’impôt recherche et que STMicroelectronics a perçu 487 millions d’aides diverses ; 211 milliards offerts au patronat, 40 milliards d’économies de l’autre… Le vis-à-vis est édifiant. Vertigineux.
La culture, variable d’ajustement
L’austérité budgétaire imposée par l’État aux collectivités territoriales, jusqu’ici peu visible, éclate au grand jour. Ce sont elles qui assument le plus grand financement de la culture. Or la culture n’est pas une compétence obligatoire pour elles. De ce fait, estime Ghislain Gauthier, « dans une économie contrainte, la culture sert de variable d’ajustement ». CQFD. Au Théâtre-Opéra d’Avignon, à l’initiative du Syndeac (syndicat des employeurs du théâtre), une rencontre – « Quelle culture pour les municipales 2026 ? » – a réuni directeurs de structures, compagnies et élus. Les élus présents (le maire de Montpellier, l’élue à la culture de Dijon, et le président de la Fédération nationale des élus à la culture) se défendaient de toucher au budget culture ou à la marge. Si tous les élus ne sont pas à blâmer, l’étude publiée par l’Observatoire des politiques culturelles, début juillet, indique que 47 % des collectivités territoriales ont revu à la baisse les budgets culture. Dans cette enquête, il ressort que 58 % des régions, 63 % des départements, 36 % des communes, 25 % des métropoles et 36 % des agglomérations avouent une baisse qui varie d’un endroit à l’autre. Entre constat amer et inquiétudes légitimes devant le péril de l’extrême droite, difficile pour l’heure de dessiner une stratégie commune tant l’accablement est grand.

Les propos d’Huguette Bello, la présidente de la région de La Réunion, réveillent alors les esprits. « Parler de politique culturelle, ce n’est pas seulement parler de budget, d’équipement, de programmation. C’est parler de citoyenneté, de lien social, de justice », affirme l’élue à la tête de l’une des régions les plus pauvres de France. Et de poursuivre « quand on parle de culture dans une commune réunionnaise, ce n’est pas un supplément d’âme. C’est un levier de survie démocratique. C’est ce qui permet de rester debout, de se dire qu’on compte, qu’on pense, qu’on rêve. C’est pourquoi nous avons donc fait à La Réunion un choix clair : la culture n’est pas une variable d’ajustement. C’est un acte politique (…) Si la culture est absente des programmes municipaux, alors c’est la démocratie qui se fragilise ». Marie-José Sirach





