Les foulées de la mort

Au Théâtre du Troisième Type, le théâtre des 3T à Saint-Denis (93), le Morbus théâtre présente 2h32. Une pièce de Gwendoline Soublin, un hommage à Zenash Gezmu, la jeune marathonienne qui fut victime d’un féminicide en 2017. La course à pied en symbole de solidarité.

Pour que le nom de Zenash Gezmu ne bascule pas dans l’oubli définitif, le Murbus théâtre propose un spectacle au titre insolite, 2h32. On peut y ajouter 48 secondes pour être précis et pour dire le temps exact que cette Éthiopienne a réalisé au marathon d’Amsterdam en 2016. Selon la Fédération française d’athlétisme, le 2ème meilleur temps national cette année-là… Assassinée chez elle par un homme qui prétendait vouloir être son agent sportif le 28 novembre 2017, à Neuilly-sur-Marne en région parisienne : étouffée et frappée à coups de trophées, Zenash Gezmu avait 27 ans.

En 2014, 2015, 2016 elle avait remporté le marathon de Sénart. Une jeune femme menue, discrète et courageuse : deux fois par jour elle s’entraînait au centre d’athlétisme de Montreuil, elle venait d’intégrer le Stade français. Au lendemain de sa disparition, Nicolas Vallat, son ancien entraîneur, la décrit comme une femme déterminée. « Le club est sous le choc, elle faisait partie de la famille ici. On l’épaulait quand elle en avait besoin car il y avait toujours un peu cette barrière de la langue. C’était la grande sœur de certains, la petite sœur d’autres. Le choc est encore plus large : Zenash était connue sur toute l’Ile-de-France ». C’est l’histoire de cette sportive et de sa passion pour la course, que raconte le texte de Gwendoline Soublin, dans la mise en scène de Guillaume Lecamus et la création plastique de Norbert Choquet.

Sur le plateau, deux comédiennes, Sabrina Manach et Candice Picaud, et une marionnette qui symbolise la présence de la marathonienne. Non seulement elles donnent vie au personnage, mais elles sont un peu comme des dédoublements de l’action. Dans l’effort comme dans les déboires du quotidien, avant le drame. Pour tenter de poursuivre sa passion baskets aux pieds, Zenash Gezmu courait le jour et travaillait la nuit. Comme femme de chambre dans une chaîne d’hôtels, comme femme de ménage dans des bureaux… « S’inspirer de l’histoire de Zenash Gezmu, c’est ouvrir la malle à ‘’sujets’’: féminisme, violences faites aux femmes, immigration, précarité… », explique Gwendoline Soublin.

Après la mort de la jeune sportive, une foule de marionnettes en témoigne progressivement sur scène, voilà que des hommes et des femmes, de tout âge, de toute condition, sans un mot, chaussent à leur tour des baskets et descendent dans les rues. Comme en une manifestation solidaire. Comme dans un mouvement poétique qui rallie à sa cause, d’heure en heure, de mètre en mètre. Jusqu’aux policiers envoyés pour tenter de barrer la rue à ces manifestants qui courent, simplement et en silence. L’autrice a voulu « réinventer » l’histoire de Zenash Gezmu : « ce sera elle et pas elle. Ce sera ici, mais pas seulement ». Un spectacle fort, dans un élan d’humanité nécessaire. Gérald Rossi

2h32, Gwendoline Soublin et Guillaume Lecamus : jusqu’au 25/10, les jeudi et samedi à 19h30. Le théâtre des 3T, théâtre du troisième type, 14 rue Saint-Just, 93210 Saint-Denis (Tél. : 01.74.40.02.95).

Poster un commentaire

Classé dans Les flashs de Gérald, Rideau rouge

Laisser un commentaire