Au Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis (93), Julie Deliquet présente La guerre n’a pas un visage de femme. L’adaptation de l’ouvrage de Svetlana Alexievitch, prix Nobel de littérature : les témoignages précieux de femmes jeunes qui s’étaient engagées pour combattre le nazisme. Un travail colossal de démontage-montage pour dix actrices formant un chœur, un oratorio au féminin.

L’ouvrage La guerre n’a pas un visage de femme paraît en 1984, dans la revue Octobre. Pendant une petite dizaine d’années, entre 1975 et 1983, Svetlana Alexievitch a parcouru l’Union soviétique pour collecter les témoignages de femmes engagées dans la « guerre patriotique », celle qui fit plus de 20 millions de morts en Union soviétique contre le nazisme. Elle rencontre des centaines de femmes, recueille précieusement leur parole qu’elle consigne. Beaucoup d’entre elles étaient des gamines à peine sorties de l’adolescence quand elles se sont engagées dans l’Armée rouge pour combattre le fascisme. Elles vont occuper tous les postes : brancardières, infirmières, conductrices de tank, aviatrices, tireuses d’élite… Dans des habits militaires beaucoup trop grands pour elles, elles vont faire preuve d’un courage incroyable. Mais la guerre finie, la victoire célébrée, elles vont se taire, rester dans l’ombre, invisibilisées par un récit historique écrit par et pour les hommes.

Svetlana Alexievitch a tout juste 30 ans quand elle rencontre ses interlocutrices, qui ont alors la cinquantaine. Elle parvient à établir une relation de confiance, peut-être parce qu’elle est une jeune femme, peut-être parce qu’elle est la première à s’intéresser à elles, ou les deux. Trente ans ont passé depuis la fin de la guerre et leur mémoire est intacte, leur parole d’une grande liberté. Elles se confient et racontent sans filtre les déflagrations intimes provoquées par la guerre : la peur qui vous tenaille, la douleur, l’euphorie, la mort partout, à chaque instant, à chaque pas, l’odeur putride des cadavres en décomposition, l’absence de règles, l’angoisse de se faire violer y compris par leurs camarades, la honte parfois de gestes de survie qu’elles sont incapables d’expliquer, les corps traversés de tremblements à l’heure de tirer, de tuer, leur sens de la débrouille, la solidarité et la sororité, cette « fraternité » qu’elles conjuguent au féminin sans le savoir.
Héroïnes de l’ombre, parole libérée
Elles écrivent un autre récit, un récit intime, incroyablement vivant, le récit d’une guerre terrible vécue par des jeunes filles qui ne regrettent rien et qui ne sont dupes de rien. Communistes de cœur et d’esprit, elles se sont battues contre le fascisme. Le livre de Svetlana Alexievitch a été publié, malgré des coups de ciseaux imposés par la censure, et connaît immédiatement un succès retentissant en URSS. On est en pleine perestroïka, la parole se libère. Gorbatchev saluera l’ouvrage et rendra hommage à ces héroïnes de l’ombre. En témoignant à cœur ouvert, elles ignoraient qu’elles accomplissaient là un travail mémoriel précieux. Directrice du TGP et metteuse en scène, Julie Deliquet a réalisé un travail de démontage-montage colossal qui réunit sur le plateau dix actrices. Dans un décor à l’identique jusqu’au moindre détail de ces appartements collectifs où s’entassaient des familles entières dans l’après-guerre, elles vont former un chœur, un oratorio au féminin.

Chacune des comédiennes joue sa partition avec précision, l’émotion à fleur de peau. Peu à peu, les confessions se métamorphosent en échanges vifs qui débordent. Les repères historiques se télescopent, l’Ukraine, la Russie, la grande famine sous le régime de Staline et la guerre de Poutine. Marie-José Sirach, photos Christophe Raynaud de Lage
La guerre n’a pas un visage de femme, Julie Deliquet : jusqu’au 17/10, du lundi au vendredi à 19h30, le samedi à 17h et le dimanche à 15h. Théâtre Gérard-Philipe, 59 boulevard Jules Guesde, 93200 Saint-Denis (Tél. : 01.48.13.70.00).
Théâtre National de Nice, CDN Nice Côte d’Azur, les 8 et 9/01/26. MC2-Maison de la Culture de Grenoble, Scène nationale, les 14 et 15/01. Les Célestins, Théâtre de Lyon, du 21 au 31/01. Comédie de Saint-Étienne, CDN, les 4 et 5/02. Théâtre de Lorient, CDN, les 10 et 11/02. Comédie de Genève, du 18 au 20/02. Malraux, Scène nationale Chambéry Savoie, les 25 et 26/02. Théâtre Dijon Bourgogne, CDN, du 3 au 7/03. Comédie de Caen, CDN de Normandie, les 11 et 12/03. Le Grand R, Scène nationale, La Roche-sur-Yon, les 18 et 19/03. L’Archipel, Scène nationale, Perpignan, le 27/03. Théâtre de la Cité, CDN Toulouse Occitanie, du 31/03 au 3/04. Comédie de Reims, CDN, du 8 au 10/04. La Ferme du Buisson, Scène nationale, Noisiel, le 14/04. Espace Marcel Carné, Saint-Michel-sur-Orge, le 17/04. Nouveau Théâtre de Besançon, CDN, les 22 et 23/04. La Rose des vents, Scène nationale, Lille Métropole Villeneuve d’Ascq, les 28 et 29/04. Équinoxe, Scène nationale, Châteauroux, le 5/05.





