Une écriture froide qui brûle

Au théâtre de L’échangeur à Bagnolet (93), Gabriel Dufay met en scène Vent Fort. Une pièce du dramaturge norvégien Jon Fosse, prix Nobel de littérature en 2023, dont les œuvres sont régulièrement présentées en France. Une écriture, toute à la fois froide et incandescente, d’une incroyable puissance poétique.

Gabriel Dufay met en scène Vent fort, du Norvégien Jon Fosse, dont les pièces sont jouées en France depuis un demi-siècle. C’est toujours avec le même étonnement qu’on dresse l’oreille à l’écoute de ses textes laconiques, subtilement allusifs, empreints d’un mystère dû à son art poétique. On irait chercher la théorie des climats pour tenter d’expliquer cette écriture froide qui brûle. Un homme revenu d’un long voyage (Thomas Landbo) nous dit qu’il regarde par la fenêtre du quatorzième étage d’un appartement. Au fil d’un monologue semé de considérations insolites sur le langage, on saisit qu’il a perdu toute notion du temps et de l’espace. Il s’efforce de se souvenir de ce qui l’a amené dans cet appartement, où surgit une femme (Alessandra Domenici), qu’il reconnaît pour sienne, avec laquelle il aurait eu un enfant, qu’on ne verra pas. Puis on découvre le jeune amant (Kadir Ersoy) de l’épouse…

Se déroule alors un fait divers conjugal sensiblement tragi-comique, chorégraphié avec soin (conseils de Kaori Ito et Corinne Barbara). Les hommes s’empoignent, en viennent aux mains, la femme n’en peut mais. À la fin, l’homme désemparé, qui vient de revivre son passé ou de prévoir son futur dans un présent aléatoire, se jette dans le vide, du haut de la fenêtre d’où il a contemplé son existence. C’est si expressif, dans l’ordre métaphysique, qu’en terre catholique on jurerait qu’on vient d’assister à l’étape de purification d’âmes de défunts expiant leurs péchés. Des âmes, certes, mais furieusement organiques dans le jeu. À point nommé, une sorte de coryphée féminin (Founémoussou Sissoko) sillonne la scène en tous sens, faisant entendre, dans une pénombre savante, la voix chantée du destin inéluctable.

Après les rappels, Gabriel Dufay a déclaré que la réalisation de Vent fort n’a pu se faire qu’au prix de son endettement personnel. Il a lu le beau discours de Jon Fosse, lors de la cérémonie de son prix Nobel en 2023, où il affirmait, avec force, la défense de l’art. Quant à l’avenir du théâtre de l’Échangeur, de restrictions budgétaires constantes en menaces implicites, on le voit compromis, non loin de la disparition pure et simple. Ce serait là un nouveau chapitre de la forfaiture d’État, à l’encontre d’un théâtre dont les vertus culturelles et esthétiques ne sont plus à démontrer depuis belle lurette. Jean-Pierre Léonardini

Vent fort, Gabriel Dufay : jusqu’au 17/10, du lundi au vendredi à 20h, le samedi à 18h (relâche le 15/10). L’Échangeur, 59 avenue du Général-de-Gaulle, 93170 Bagnolet (Tél. : 01 43 62 71 20). Gabriel Dufay met également en scène, de Jon Fosse, Étincelles, au studio de la Comédie-Française jusqu’au 02/11.

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Classé dans La chronique de Léo, Littérature, Rideau rouge

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