Au théâtre des Gémeaux parisiens, Morgane Lombard présente Danton Robespierre/Les racines de la liberté. Sur un texte d’Hugues Leforestier, le dialogue puissant et intempestif entre les deux géants de 1789 à l’heure de la Terreur. Du théâtre historique de belle facture, qui ose interpeller nos sociétés contemporaines.

Tels deux monstres à la puissance verbale insoupçonnée, Danton et Robespierre se font face. Se disputant la parole, s’interpellant, vitupérant, gesticulant autour d’une longue table au bois nu… Presque une rencontre entre amis, dans l’intimité d’une folle époque, loin de leurs partisans qui deviendront prochainement de féroces opposants ! L’un, tel un roc, ne démord pas de son bon usage de la guillotine, l’autre ne cache point le choc à l’idée d’une démocratie bâtie entre mort et sang. Le débat s’engage, d’une haute intensité politique et philosophique.

Fusent alors les arguments de l’un et l’autre. Robespierre en est convaincu, les adversaires de la Révolution sont trop puissants, trop imbus de leurs privilèges et de leur pouvoir de droit divin pour tenter de les convaincre : c’est peine perdue, dialogue et persuasion sont d’emblée voués à l’échec ! Danton doute de l’efficacité d’une telle vision, d’autant que la peur gagne les rangs du petit peuple, artisans du bouleversement politique en cours. La preuve est là, d’aucuns ont déjà grimpé les marches vers l’échafaud. Personne ne semble épargné, personne ne peut se prétendre à l’abri de la sentence. Sous couvert d’une répression ciblée, tombent les têtes pensantes qui ont l’outrecuidance de s’opposer à la ligne de celui qui dirige le Comité de Salut public. Dictateur et réformateur ? Les termes sont trop lourds de sens pour différencier aussi radicalement Robespierre et Danton.

Le texte d’Hugues Leforestier joue intelligemment de la nuance, la complexité d’approche est au rendez-vous. L’un se sent contraint par les difficultés du temps présent pour imposer durablement le changement de régime, l’autre a le regard déjà tourné vers l’avenir, le bien-être et le bien vivre de chaque citoyen. Plus fort encore, sachant que tous les mots prononcés sont authentifiés de la bouche de l’un et l’autre, des thématiques d’une brûlante actualité envahissent alors l’espace théâtral : quid de la démocratie directe, quid de la place et du rôle des femmes, quid d’une économie de proximité à l’heure où le mot écologie n’a pas encore effleuré les mentalités ? Des questions-réponses qui se multiplient à l’envie au risque de la répétition, une mise en scène à la gestuelle sobre et efficace, une joute verbale qui rebondit par-delà les siècles pour interpeller le piteux spectacle démocratique qui se joue, ici et maintenant, sous nos yeux…

Nathalie Mann (Robespierre) et Hugues Leforestier (Danton) incarnent à la perfection les caractères opposés de leur personnage qui colorent leur rapport à la réalité. L’un, l’une devrait-on dire (!), spartiate et solitaire, l’autre jovial et bon vivant… Deux ogres à la personnalité bien différente, immergés dans la grande histoire en train de s’écrire, qui subiront au final le même sort. Une mise en perspective qui gagnerait peut-être force et vigueur dans un espace plus intimiste, en plus grande proximité avec le peuple-public. Une leçon d’histoire à laquelle il est bon de prêter l’oreille en ces temps controversés. Yonnel Liégeois, photos Francis Grojean
Danton Robespierre/Les racines de la liberté, Morgane Lombard : jusqu’au 03/01/26, le mardi à 19h et samedi à 15h30. Les Gémeaux parisiens, 15 rue du Retrait, 75020 Paris (Tél. : 01.87.44.61.11).





