Au théâtre de La reine blanche (75), Laurène Marx présente Jag et Johnny. L’auteure et metteure en scène inaugure un style théâtral nouveau genre, le « stand-up triste ». Où l’on rit cependant en compagnie de Jessica Guilloud, lors de retrouvailles avec son chien Johnny et sa famille d’origine rurale.

Jessica, dite Jag, préfère ne pas prévenir ses parents lorsqu’elle décide de leur rendre visite à la ferme familiale. Pour éviter les refus ou remontrances, juste un coup de fil à sa mère pour qu’elle la récupère en voiture… Le dialogue entre les deux femmes se réduit au minimum, l’état de santé du cousin ou de la grand-mère, les potins du village… Jessica retrouve frère et sœur sans émotion particulière, ravie surtout de batifoler avec son chien Johnny malade du cœur. Une « famille de beaufs », comme elle la qualifie elle-même, sa famille dont l’immersion en épisodiques allers-retours lui permet de mesurer décalage et distance entre ce qu’ils sont et ce qu’elle est devenue.

Une transfuge de classe, selon l’expression consacrée, qui se remémore l’ambiance familiale dont elle est l’héritière : un beau-père qui ne cesse de la harceler, une grand-mère raciste et une tante homophobe… Elle raconte aussi l’alcoolisme d’un cousin, la maladie mentale d’un autre, les fêtes d’anniversaire à la salle communale, les rires grossiers et les histoires insipides narrées par les uns les autres. Un univers terne entre bouses de vaches et chemins boueux, sans éclaircie ni lueur d’avenir, des hommes et des femmes engoncés dans un quotidien sans relief. La seule embellie pour Jessica ? La tendresse et l’amour dans les yeux de son chien au cœur trop gros, qui va bientôt en crever. Un texte âpre, violent, sans concession, qui frappe là où ça fait mal : le désespoir d’une ruralité abandonnée des gouvernants et des pouvoirs publics, le mépris affiché à l’encontre des classes populaires, la misère sociale et la déchéance morale d’une population sans perspectives d’un ailleurs autre.

Laurène Marx orchestre la partition avec justesse. Seul un micro sur pied, des gestes mesurés, de judicieux clins d’œil au regard du public, quelques chansons fredonnées, Johnny le chien très présent dans l’imaginaire de la récitante… Le rire, bienvenu, évite de sombrer dans le pathos le plus morbide, la flûte traversière de Jessica Guilloud scande avec grâce ce « seule en scène » qui donne fort à penser. Sur le désir de « raconter toutes les histoires et pas juste celle qui nous arrange », sur les questions de classe et de féminisme, sur l’enjeu impérieux de ne point oublier d’où l’on vient sur le chemin où l’on va. Yonnel Liégeois
Jag et Johnny, Laurène Marx : jusqu’au 15/11, les mardi et jeudi à 21h, le samedi à 20h. La reine blanche, 2bis passage Ruelle, 75018 Paris (reservation@scenesblanches.com). Le 16/04/26, au théâtre Jean Vilar de Montpellier.





