Christine Pawlowska, un livre à soi

Aux Éditions du sous-sol, réédition et biographie ressuscitent la figure de Christine Pawlowska. Autrice au milieu des années 1970 d’un seul roman, Écarlate, la chronique d’une adolescence écorchée vive. Paru dans le mensuel Sciences humaines (N°382, octobre 2025), un article de Jean-Marie Pottier.

L’œuvre unique, orpheline, celle qui est apparue comme la première d’un artiste avant de se révéler sa dernière, fascine. Pour quelles raisons son auteur n’a-t-il pas poursuivi ? Avait-il une seule œuvre en lui ou le destin s’en est-il mêlé ? Et parce qu’on ne peut pas toujours pleinement comprendre pourquoi les choses ne se font pas, une autre interrogation, très vite, surgit : puisque l’artiste n’a pas pu, ou voulu, continuer, pourquoi et dans quelles circonstances s’était-il lancé ? C’est le genre de questions que le journaliste Pierre Boisson s’est posé à la lecture de Écarlate de Christine Pawlowska. Un livre déniché dans une bibliothèque de vacances, et jamais reposé une fois passée sa première phrase définitive : « Jamais, jamais je ne deviendrai adulte. » Paru en 1974, ce roman remarqué d’une autrice de vingt-deux ans, son premier et son dernier, se retrouve réédité lors de cette rentrée littéraire en même temps que sort en librairies Flamme, volcan, tempête, une biographie de la jeune femme signée par ce rédacteur en chef du magazine Society.

À la sortie de Écarlate, son éditeur, le prestigieux Mercure de France, voit dans cette fille d’un mineur de fond d’origine polonaise installé dans la région d’Alès, « la prochaine étoile de la littérature française », peut-être. La presse, le critique Claude Mauriac et le romancier François Nourissier en tête, salue ce court livre, « un chef-d’œuvre du genre. Quel genre ? Le genre chef-d’œuvre ». Si l’on devait, au-delà du superlatif, réduire Écarlate à un genre, on parlerait de la chronique d’une adolescence tourmentée par une soif d’absolu : l’amour-haine pour une mère modèle et rivale à la fois, l’amitié passionnelle pour une camarade de classe, la première expérience sexuelle avec un garçon croisé un après-midi sur une plage (« En somme, il n’était rien arrivé »), une tentative de suicide comme on lance un dé (« J’avais tout de même dû mourir un peu »). Fidèle à son titre d’un rouge « trop rouge », le roman s’écorche de partout et ne cesse de saigner, des premières règles à la flaque sombre qui forme comme une auréole autour de la tête d’un motard couché mort sur le bitume. Il dessine un camaïeu de sentiments sur lequel on hésite à apposer le beau nom grave de tristesse, le vilain nom d’ennui, le pesant nom de frustration, celui plus lourd de colère – parce que ce n’est pas tout à fait cela, ou plutôt tout cela en même temps, et d’autres encore.

Des sentiments que l’on retrouve aussi à la lecture de la biographie sensible consacrée par Pierre Boisson à cette romancière hypersensible, tissée de comparaisons avec d’autres figures d’autrices comme Virginia Woolf, Sylvia Plath ou Annie Ernaux, qui publia elle aussi son premier roman, Les Armoires vides, en 1974. Christine Kujawa, de son vrai nom, écrit Écarlate à 18 ans alors qu’elle plonge tête la première dans une marginalité post-Mai 68 riche de promesses et d’impasses, tissée d’échappées plus ou moins belles et d’accalmies trompeuses, de révoltes et d’accès de dépression. De longs témoignages, ses fils et quelques proches, permettent à l’auteur de renouer le fil d’une existence ballottée et hantée de lourds secrets, jusqu’à sa disparition prématurée en 1996. Marquée aussi, du début à la fin, par la littérature puis par l’écriture, de manuscrits perdus ou refusés en poèmes inédits, ici ressuscités. Christine Pawlowska n’a publié qu’un livre, mais elle n’a jamais cessé d’écrire. Jean-Marie Pottier

Écarlate, Christine Pawlowska (Éditions du sous-sol, 112 p., 13€). Flamme, volcan, tempête. Un portrait de Christine Pawlowska, Pierre Boisson (Éditions du sous-sol, 224 p., 21€).

« Faire de Sciences Humaines un lien de savoir à un moment où l’histoire s’opacifie et où les discours informés se trouvent recouverts par un brouhaha permanent », Héloïse Lhérété, la directrice de la rédaction, s’en réjouit ! Au sommaire du numéro 382, un dossier sur Hypersensibles Comment vivre quand tout vous affecte ? et deux passionnants sujets (un entretien avec l’historien Gérard Noiriel, le portrait de Bell Hooks qui a bousculé le féminisme occidental). Dès sa création, Chantiers de culture a inscrit le mensuel sur sa page d’ouverture au titre des Sites amis. Un magazine dont nous conseillons vivement la lecture. Yonnel Liégeois

Poster un commentaire

Classé dans Documents, Littérature

Laisser un commentaire